• À propos de

    Denis Schmite      Claude Esnault 

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    Qu’est-ce qu’une particule si ce n’est un point dans l’espace-temps ? L’espace infini de Mondrian qui a évacué le temps, espace infini puisqu’il peut se prolonger sans limite hors du tableau, est ponctué de points d’intersection de droites, donc de particules, ou encore de Zéro-branes qui sont des branes sans dimension...donc des points. Malevitch, c’est vrai, réintroduit le temps et par conséquent le mouvement, mais ce n’est pas la ligne ni les formes qu’elle aimante qui bougent, c’est l’espace qui les entraîne dans son expansion. Chez Malevitch, l’espace n’est donc pas infini puisqu’en expansion, et ce qui est saisi sur la toile, fraction de l’espace, c’est un stade de l’expansion qui s’étendra très vite hors du cadre, ou du non-cadre. J’aime le carré noir en tant que masque absolu de la Réalité, peut-être, ou plus sûrement de sa représentation, de son ombre, l’image, ou bien encore, et plus prosaïquement, en tant que cache-sexe de vérités universelles non montrables et/ou génératrices de terreur, LE grand trou noir. Le carré noir qui dissimule le trou noir. Je me souviens d’avoir vu dans une exposition artistique, je ne sais plus où, une assez grande photographie, de je ne sais plus qui, qui faisait une référence intelligente, et humoristique, au carré noir, et qui s’intitulait du reste « Carré noir »...enfin, il me semble. On y voyait le sexe d’une femme, ou plutôt sa fourrure pelvienne taillée en carré qui se détachait parfaitement sur son ventre et le haut de ses cuisses tout blancs, le carré noir sur fond blanc, le fameux « Quadrangle ». Un superbe fragment qui résumait tout ! Ce grand mystère caché, source de désir et surtout d’angoisse pour l’homme, comme vous l’avez si justement fait remarquer en glissant au passage une allusion judicieuse à John Wheeler, le maître des trous noirs, et à son théorème de calvitie, ici parfaitement démenti, dit-il en gloussant à la manière d’une jeune vierge pas farouche du tout. Et jusqu’à Marcel, pas Duchamp, Moreau, ce chantre de l’écriture femelle et de la femme scripturale, de s’interroger magnifiquement à propos du sexe féminin: « On a l’impression que ce que l’univers, de son origine jusqu’à nos jours, a porté de menaces s’est réfugié ici, dans le plus petit espace, s’y est serré, noué, volontairement privé de lumière », et d’ajouter superbement «Qui oserait admettre...qu’il ne peut y avoir de connaissance éblouissante sans l’intuition de son obscure monstruosité ? » (). J’adore Marcel ! Le noir c’est comme le hasard, c’est ce qui se dérobe à la connaissance, que l’on suspecte et que l’on voudrait éclaircir, et qui pour l’instant génère de l’angoisse, ou plutôt qui la réveille cette angoisse, celle des caves et cagibis de notre enfance, celle née du questionnement limbique sur l’avant naissance et l’après mort, celle des désirs obscurs ou de la perte de la présence, car l’absence, ou la disparition, du désiré peut ouvrir un gouffre à la noirceur sans fin. Hormis les frénétiques du sabbat, il n’y a guère que Jean de la Croix qui trouve une totale sécurité dans l’obscur, mais son cœur, il est vrai, est éclairée et guidée par le feu dévorant de sa passion... «A oscuras y segura...¡oh dichosa ventura !... ¡Oh noche amable más que el alborada ! » () etc. etc...En physique l’encore mal connu et le totalement inconnu sont noirs, trou noir,

    matière noire, énergie noire, tout comme en cybernétique et en psychologie, pour ne pas parler de la ténébreuse psychanalyse, la psychologie des profondeurs, la fameuse boîte noire de laquelle aussi les illusionnistes font s’envoler des nuées de colombes blanches et où se déroulent tant d’autres choses merveilleuses, ou profondément inquiétantes. Enfin, le peintre et le photographe ont emprunté à la nature sa boîte noire, la camera obscura, sans lui verser un quelconque droit, car il est certain, que bien avant les Hommes et bien avant Platon, un rai de lumière passant par une infime fente entre deux rochers, un trou noir, ait projeté une image inversée de l’extérieur sur la paroi d’une grotte obscure, une boîte noire. Dans le grand Tout, le trou noir, le carré noir et la boîte noire entretiennent une étroite collaboration.

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    Le Maître en modernité m’écouta avec cette espèce de patience qui lui était propre, une patience nerveuse, une patience aux franges de l’impatience, car il lui restait tant et tant de choses à dire...

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    Pour ce qui est de la boîte noire, poursuivis-je après la prise d’une ample respiration, c’est chez un autre artiste que j’en trouverai une illustration troublante, chez l’épisodique ami que j’ai cité déjà lors de notre conversation sur les Vanités. Vous vous souvenez sans doute de ce personnage étrange rencontré dans une toute petite salle veloutée, sise dans une rue perdue de cette abominable ville festivalière, la Sodome spectaculaire, personnage étrange par ses obsessions vaniteuses ainsi que par la forme qu’il donnait à celles-ci dans les textes qu’il mettait en actes ou dans ses performances souvent funèbres. J’ai perdu de vue cet ami pendant plus de dix ans, et puis nous nous sommes retrouvés presque par hasard, au détour d’un texte, sorte de dialogue mélancolique entre moi-même et moi-même, où vous interveniez aussi, mélancoliquement, et dans lequel il apparaissait pourtant. Il est devenu alors un peu moins épisodique. Sur son large dos de tâcheron, de chemineau, il avait transporté sa boîte noire, car il en avait une bien à lui, une vraiment singulière, en divers endroits de sa région d’origine avec plus ou moins de bonheur...et de déconvenues, inévitables les déconvenues pour un homme comme celui-ci, pour finalement la déposer dans une longue bâtisse paysanne à moitié ruinée, une longère, entre un parc à vaches et un champ de céréales. En ce lieu, il mit de côté la forme théâtrale pure, ou plutôt il la métamorphosa, par des propositions de nature performative faites de textes poétiquement et philosophiquement labyrinthiques, de meubles encore plus compliqués dans leurs montages et leurs démontages que ceux de la période festivalière, aux franges de la complexité, de références artistiques considérablement enrichies, foisonnantes, et totalement entremêlées, en fusion dirons-nous, propositions qu’il nommait « perlaborations », concept puisé dans le Laplanche et « popularisé » par le Lacan. Restaient la boîte noire, vraiment noire celle-là, et...le fil rouge. Mais

    d’abord, qu’est-ce que peut bien être une boîte noire théâtrale ? La couleur des murs de la salle, ou plutôt son absence, accentuée par des éclairages en nombre délibérément insuffisant? Le réceptacle de pensées profondes et sombres, d’actes violents et de textes obscurs ? La boîte noire est-elle matérielle, une salle aux murs de nuit, ou purement conceptuelle, la nuit de l’âme humaine piégée entre quatre murs ? Tout théâtre véritable est une boîte noire et j’insiste bien sur le mot « véritable ». La boîte noire du théâtre véritable est un peu comme un écrin à bijoux qu’on aurait oublié dans un tiroir parmi les vieilleries et les inutilités, et sur laquelle on retomberait un jour, par surprise, pour ne pas dire une nouvelle fois hasard, car le hasard n’existe pas. Sérendipité farfouilleuse quand même ! Dans le théâtre véritable, la boîte noire est, à l’instar des autres boîtes noires, un mystère, et à la différence de presque toutes les autres, un miracle. On sait ce qui entre à l’intérieur, un auteur, un ou des comédiens, un metteur en scène, voire un scénographe, parfois une seule et même personne disposant de tous les talents comme mon ami, et on sait ce qui en sort, une proposition artistique, pièce de théâtre ou autres formes plus sophistiquées encore, performance ou perlaboration. Comment ce qui est entré a-t-il bien pu se transformer en ce qui est sorti ? Comment le vil plomb est-il devenu vif or ? D’ailleurs, pas si vil que ça le plomb, incivil plutôt car difficile à déplacer, le Ministère et ses administrateurs civils n’apprécient pas le poids du théâtre véritable ni la cérébrale densité de ceux qui le fabriquent, c’est du lourd ! Pour en revenir à la question, nous autres, voyeurs aux oreilles grandes ouvertes, ne le savons pas, ou ne le voulons pas savoir. C’est le mystère véritable ou lequel nous voulons préserver. Pour faire court, le mystère c’est la Création. Le miracle quand il se produit, et avec mon ami il se produit toujours, ou presque, se manifeste dans l’arrêt total du temps, ou presque, comme à l’approche de l’horizon d’événement d’un trou noir, pour reprendre une image qui vous est familière, et dans la perte de tous les repères spatiaux. La boîte noire du théâtre véritable, et particulièrement celle de mon ami, est une singularité au sens de la Physique, où le temps est suspendu et où l’espace se développe intérieurement, c’est-à-dire qu’il se cérébralise, un espace multi-synaptique dans la boîte noire qu’est notre crâne, une dimension supplémentaire. Dans les perlaborations de mon ami, les meubles se montent et se démontent, puis se remontent, les pantins de bois et les poupées de cire se placent puis se déplacent, s’assemblent puis se désassemblent, avant de trouver ce qui pourraient bien être leurs places dans un nouvel assemblage, mais on ne sait jamais trop (trouver une place pour qui ou pour quoi et où ?), des vidéos démarrent et puis s’arrêtent, avant de reprendre, des textes en fragments, ou au contraire presque in extenso, sont prononcés, puis recouverts par d’autres, les phonèmes s’en mêlent alors, tyranniques, et puis s’emmêlent dans les sèmes, les signifiants étouffent les signifiés, puis le silence paraît s’imposer, avant d’être brutalement rompu par une musique sans fin et dont on n’a pas entendu le début, donc une musique atemporelle, sans début ni fin, mais solennelle à tout coup, peut-être trop car elle épaissit presque

    inutilement l’obscurité de la salle, le noir de la boîte noire. Les ors du Baroque, la spatialité du Suprématisme, le matérialisme du Constructivisme, la noirceur du cinéma expressionniste allemand, la pureté formelle des avant-gardes théâtrales polonaises, les prétentieux slogans godartiens, s’entrechoquent, s’amalgament, s’épuisent les uns les autres, se complètent merveilleusement parfois. Il arrive que les regards bleus des saints des grands polyptyques moyenâgeux, en extase ou en conversation, saintes par nature ces conversations, s’oublient dans les orbites vides des crânes vaniteux de Philippe de Champaigne car, il ne faut jamais l’oublier, la boîte noire est la grande matrice de la Vanité...et de la Mélancolie. Enfin et surtout, un bon mot qu’il aimerait je pense, plus cavalier celui-ci, il y a beaucoup de Dada dans le Duchamp. La boîte noire du théâtre véritable est un lieu de nulle part n’appartenant à aucun temps. Lorsqu’il vous invite dans sa boîte noire, mon ami, il vous guide, tel un Hytlodée, dans un voyage en Utopie, et pour le même prix, c’est-à-dire pour Rien, jusqu’en Achronie. C’est là, à la fois le mystère, celui de la création, et le miracle, celui de la suspension et de la transportation, et c’est lui seul, mon ami, compositeur et chef d’orchestre, humble machiniste aussi, grand prêtre et son sacristain qui lui tend les burettes, tournevis ou maillet, tout à la fois, puissant chaman et père de tous les saints, qui organise tout ce capharnaüm de ressentis, avec une volonté absolument non-linéaire, presque jusqu’à la négligence, qui appuie sur les boutons des lumières, qui déclenche les machines à images et à sons, qui construit et déconstruit les meubles, jusqu’à l’ultime, ainsi que les assemblages d’un hétéroclisme inouï, compositions absolument alogiques, à la Malevitch évidemment, qui ajuste et désajuste ce qui doit l’être ou pas, qui fabrique les comédiens de bois, qui désarticule ou réarticule les poupées à la Bellmer, comédiennes également à la nudité troublante, qui allume les bougies à la mémoire de...des enfants morts, crieront-ils tous, se référant au Drame, le roman familial tragique. Kindertotenlieder ! En musique les bougies ! Non !...qui allume les bougies à la mémoire de tous les Hommes qui naissent. Et puis, soudain, surgit le cordon rouge, en grosse bobine que mon ami déroule, tranquillement, placidement, précautionneusement, pour le ré-enrouler, avec la même lenteur méditative et les mêmes délicatesses, autour des objets et des âmes. Un personnage devenu tout à fait familier, dans le théâtre véritable de mon ami, ce fil rouge qui relie tout à tout, les objets et les morceaux d’objets, fauteuils et drôles de cercueils qui sont aussi des chaises, des cercueils assis comme il les nomme, fusion dans son esprit de la Madone à l’enfant et de la Pietà, les personnages de cire et de bois, les angelots qui volettent au milieu des papillons, ou l’inverse, et tout ce qu’il y a eu avant, et tout ce qu’il y aura après, et tout ce qu’il y a autour de cet avant et qu’il y aura autour de cet après. Car le fil rouge est une corde ouverte, ouverte sur l’avenir, une corde qui a l’une de ses extrémités enroulée autour d’une infime portion d’espace-temps, la naissance, et dont l’autre s’étire avec l’expansion de l’œuvre et de la vie de mon ami, la Une- brane de son Opus magnum. Ce fil rouge est-il partie prenante du mystère ou

    bien du miracle ? Résolument du miracle ! Ce n’est pas qu’un artifice de mise en scène. Le fil rouge est un transgresseur de l’espace et du temps et tout repose sur lui. C’est le personnage essentiel du théâtre « véritable » de mon ami, Hamlet dans Hamlet, parce que c’est le sexe démultiplié, tendu jusqu’à l’infini, d’Œdipe, précisément perforateur de l’espace et du temps, et simultanément, et paradoxalement, le grand Unificateur, Œdipe est dans tous les hommes, chez les femmes c’est Electre, et ce n’est pas pire, unificateur de toute l’œuvre de mon ami, pièces de théâtre, performances, perlaborations, œuvres plastiques, poèmes, qui ainsi constitue le Grand œuvre en reliant tout à tout. Opus magnum. A plusieurs reprises, dans diverses performances et perlaborations, mon ami avait ce fil rouge autour de la taille et il le déroulait à partir de lui-même, ou bien il l’y l’attachait fermement et donc, par ce geste, il se liait étroitement au Tout. C’est ainsi que j’ai compris que la boîte noire était un ventre, un utérus, et même, comme elle était noire cette boîte, que c’était un utérus en deuil, en fait tout utérus qui a enfanté est un utérus en deuil, et que le cordon était ombilical, une grosse veine partie du ventre qui reliait mon ami à la boîte et à tout ce qu’elle contenait, qui unissait toutes les choses entre elles, matières à représentation et accessoires de la représentation, et les choses avec les gens, ces voyeurs aux oreilles grandes ouvertes, et qu’elle irriguait en fait tout le processus créatif, qu’elle drainait le mystère, et qu’en tant qu’émanation de la boîte elle participait au miracle, mieux elle était le miracle puisque extension de la boîte noire elle même. Quelques images, exemplaires s’il en est ces images, car je sens votre perplexité, proposai-je au Maître en modernité qui se grattait la tête. Pour sa perlaboration la plus récente, mon ami a pris prétexte du Thomas l’obscur de Blanchot, et il s’est attaché tout particulièrement à son premier chapitre, pour approfondir son analyse de ce qui est chez lui un peu plus que des résidus d’Œdipe, le bain mortifère dudit Thomas ayant beaucoup à voir avec un plongeon désirable dans le liquide amniotique en vue d’une noyade exquise. A partir de là, mon ami a écrit un superbe texte sur le ventre de la mère, celui de la sienne de mère et celui de toutes les autres, la naissance pitoyable des Hommes et ses conséquences absolument tragiques, naître c’est mourir bien sûr, et puis ce texte, entrecoupé de bouts de Derrida et de Deleuze, il l’a enregistré, avec les accents d’un Cuny lisant Claudel, pour qu’il soit dit en voix off pendant que lui manipulerait, comme à son habitude, tout un tas d’objets, qu’il s’absorberait, par exemple et surtout, dans le montage d’un énorme meuble très compliqué tout fait de couvercles de petits cercueils ouvragés en moucharabieh, meuble qui s’avèrera au final être un hybride de trône de la Madone et de fauteuil de gynécologue d’où dégoulineront sept enfants, des pantins suprématistes à têtes de tulipe plus ou moins colorées, ajustement d’humbles bouts de bois pourtant. Il y aura inévitablement un petit cercueil-assis, Œdipe-Hamlet, figuration de mon ami-lui-même, qui peinera à trouver sa place, mais qui finira par la trouver quand même, au milieu de cet assemblage formidable et monstrueux. Simultanément, il remplira un cadre modeste, fait de quatre lattes de bois toutes

    simples, de carreaux sortis d’un linge blanc comme des couches d’un nouveau- né ou d’une jeune accouchée, puzzle d’un paysage de Turner tout fait de brumes dorées sur lequel il projettera des images surréalisantes de Delvaux puis son portrait à lui, comme un Christ à lunettes qui auraient emprunté sa barbe broussailleuse et sa tignasse blanche à Karl Marx. La Véronique du théâtre véritable ? Restent des bouts de fil rouge plus ou moins en pelotes, posés ici ou là, qui ont servi à lier des choses ou non, et puis un très long cordon blanc qui s’enroule comme un serpent autour du fauteuil, qui se glisse dans le moindre de ses interstices, partout, python sorti de la mer (de la mère ?) et qui étouffa Laocoon et ses fils, un cordon ombilical non sanguinolent pour qu’il se détache bien dans ce capharnaüm magique. S’insinue alors une musique lancinante, pur produit de la mystique d’Arvo Pärt, mon ami aime Pärt, moi modérément je l’avoue, tandis qu’une bougie est allumée au sommet d’une sorte de tourette très effilée, la lanterne des morts héritée du Moyen Age, cheminée aspirant les âmes vers le ciel, phare pour les voyageurs attardés, parfois objet d’effroi et de répulsion pour les vivants, qui trouve des échos parsemés dans la boîte noire au cœur même des construction. Et toujours, cette musique lancinante, quelque peu pompeuse, qui n’en finit pas. C’est alors que la porte s’ouvre sans ménagement et que la lumière jaillit, et avec la lumière la salle se volumétrise à nouveau, s’hyper-spatialise au point que ses murs qui se désobscurcissent paraissent se rapprocher les uns des autres, les meubles compliqués qui révèlent les traces de leur façonnage, les cercueils en moucharabieh, les poupées de cire et les pantins de bois peinturlurés, les cadres baroqueux de faux or, les anges de plâtre écaillé et les papillons en papier mâché, les morceaux de bougies encore fumeuses, jusqu’à l’ombilic rouge ou blanc, apparaissent enfin pour ce qu’ils sont vraiment, des artefacts de théâtre déjà usés et poussiéreux, comme atteints de fatigue après la représentation, la boîte noire s’est dissoute en même temps que l’illusion, et le temps redevient tyran. Dehors il est loin de faire nuit, c’est encore une fin d’après-midi aimable, mais on a, nous les voyeurs aux oreilles grandes ouvertes, quand même vieilli d’une heure ou deux. Il ne faut jamais trop croire aux miracles car les miracles ne sont rien de plus que des mirages pour les assoiffés. L’Art, ultime refuge et sublime subterfuge ! Repli régressif vers le ventre/boîte noire et illusion auto-entretenue d’un paradis perdu !

    Bon ! Tout ce que vous racontez là c’est joliment intéressant, je le reconnais volontiers, mais ça ne nous fait pas beaucoup avancer pour autant, me dit le Maître en modernité, calmement, de ce calme qui lui était propre quand il l’était, calme je veux dire, un calme aux franges de l’agacement, car il lui restait tant et tant de choses à dire...

    Ce ne sont que des images, lui répondis-je un peu navré. Je l’entendais bien ainsi, me répondit-il, mais des images accompagnées de plein de mots, probablement trop, probablement davantage que moi-même je n’en puis utiliser...mais revenons-en, je vous prie, à la Réalité, cette illusion peut- être, c’est à démontrer encore, qui nous tourmente, aux cordes et aux particules,

    et puis à Malevitch et quelques autres aussi, et reprenons ENFIN le FIL de notre délicate et obscure conversation. 
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    Denis  Schmite (2017)

     

     


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