• Choc des cultures, des CRS à l'opéra !

    M. Lochu, sur la répression policière

    Comme il se doit dans une démocratie consensuelle, le 10 juin dernier une grosse manif d’individus naturellement normaux venait acclamer les députés réunis dans leur Palais Bourbon, des escadrons de CRS déguisés en CRS, participaient aux festivités, rien que des prolétaires des secteurs privés et publics qui chantaient, du plus profond de leur cœur : « Raffarin démission, Chirac en prison. » Alors, on ne sait ce qui s’est passé exactement, mais il semble bien que certains parmi les CRS aient émis des vapeurs telles que les manifestants ont cru qu’il s’agissait de gaz lacrymogènes. La mauvaise nourriture donnée à ces guerriers serait donc à l’origine de cet affreux « malentendu ». Toujours est-il que les joyeux normaux (parce que bien nourris) manifestants se mirent à courir, de peur d’être obligés de manger l’infect ordinaire des péteurs casqués. Mais ceux-là, marris d’être incompris, les coursèrent en les arrosant copieusement pour les rafraîchir en cette soirée de canicule, pour se faire aimer, donc. Cependant l’accoutrement du CRS ne le rend pas très avenant, il en souffre, ayons vite une pensée pour lui… ça-y-est ! Donc, les CRS crièrent alors aux manifestants : si on allait à l’opéra ? Une partie de la foule seulement saisit le message surprenant, mais ces 200 personnes furent très touchées et acceptèrent l’invitation des messieurs mélomanes. Et tout ce beau monde alla à l’opéra. Bien sûr, c’était une visite impromptue, tout à fait sans façon. Le public enslipé de soie parut certes offusqué de voir surgir un tel éparpillement de gens frustes, dont certains entonnèrent l’internationale. Puis des policiers retrouvèrent les CRS, et ils insistèrent tous pour emmener quelques manifestants sans leur dire qu’ils allaient tous jouer à « garde-à-vue ». La représentation de Cosi fan tutte n’avait pas repris, c’était dommage de rater ça. Un généreux inspecteur promit un walkman à un CRS particulièrement vexé de manquer la grande musique. Par ailleurs, une certaine incompréhension causa quelque empressement mal calculé de part et d’autre, on glissa quelques bracelets bien serrés pour faire mal aux poignets des plus gentils, on poireauta des plombes, puis des cars emmenèrent les heureux élus vers la salle de jeux, au son enjoué des sirènes. Les hommes et les femmes furent séparés, ce qui est tout à l’honneur des policiers, car la vertu est évidemment ce qu’il y a de plus précieux dans ces moments délicats. Pour les participants, le jeu consista à rester de longues heures sans manger, sans uriner, sans déféquer, et sans un seul pavé à balancer (c’est ce qui fut le plus pénible, nous confièrent certains), enfermés qu’ils étaient dans cette salle de jeux modeste mais sûre (caserne Berthier, Paris, 17e). Dans la nuit, les participants eurent l’occasion, sinon de dormir (faut pas rêver !), du moins de répondre à une brève interview menée rondement et de remplir, un par un, une grille de loto qu’ils dédicacèrent aux quémandeurs assermentés, mais malheureusement pas un ne gagna le gros lot, il y a des nuits comme ça. Des empreintes furent relevées, des photos d’identité prises, bonjour le petit oiseau de toutes les couleurs ! Tout ça sans rien payer, formidable ! Les drilles furent ensuite disséminés dans tout Paris, des petits groupes de quelques personnes furent ainsi gardés dans divers commissariats de la capitale de la France, qui est si jolie dans sa diversité. Ceux qui avaient un peu d’argent sur eux eurent le droit de commander un sandwich, qu’ils viennent se plaindre ! Dans l’après-midi du lendemain ils étaient presque tous relâchés, sauf deux qui présentaient un danger particulier… L’un avait un canif dont il avait fait usage pour trancher son pain peu avant la manif, comportement éminemment suspect, nous en conviendrons. L’autre, un porte-voix très aiguisé aux entournures, arsenal redoutable probablement classé dans les outils antidémocratiques, on ne sait plus très bien. Ce qu’on sait c’est que les policiers ont effectué une perquisition à leur domicile, ce qui ne semble pas réglementaire, mais que serait le pouvoir s’il n’y avait ses abus ? Ce qu’on sait c’est que la communication n’est pas le point fort des policiers, ils préfèrent laisser leurs victimes dans un état qu’ils connaissent bien : l’ignorance. Ce qu’on sait c’est que les policiers sont très doués pour cet amusement très bon enfant qui consiste à distribuer des quolibets, des vannes d’un goût exquis, en faisant preuve d’une culture politique digne du jeune regretté Guy Lux. Ce qu’on sait c’est que ces journées passées au poste ont valu à un camarade de perdre son emploi. Comme quoi la méthode Raffarin est parfois contre-productive, et ça, vraiment, on ne le savait pas !

    Parmi les manifestants réprimés, maltraités par les forces de l’ordre (nouveau ?), calomniés par les médias (de l’ordre), il paraît que d’aucuns réclament une sorte de referendum où la question serait posée, de savoir si la devise républicaine est toujours : liberté, égalité, fraternité ? Est-ce Mozart qui leur monte à la tête ou la république qui descend à ce point dans leur estime, la démocratie consensuelle ? On se le demande. Comme si on ne le savait pas !

     

    M. Lochu

    in Le Mouton fiévreux (1ère série) n°8 (2003)


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