• Comment l'artiste (Alain Lacoste)

      Alain Lacoste

     

    Comment l'artiste (Alain Lacoste)

     

    Est-ce que les mots art et artiste ont pour vous de l’importance ?

    J’ai presque envie de donner deux réponses opposées.

    Lors d’un échange de lettre que j’avais avec lui, Robert Tatin termi­nait la sienne en disant : tu sais bien qu’il n’y a que ART, en écri­vant art avec des grosses majus­cules. Je serais assez d’accord avec ça puisque j’y ai consacré une partie de ma vie. Mais par contre, on peut dire aussi que l’art est un peu monopolisé, en France et même dans le monde, et qu’on peut très bien ne pas vouloir faire partie de cet art tel qu’il apparaît. On peut estimer alors que l’art n’a pas du tout d’importance. C’est l’opinion la plus courante, il suffit de voir à Laval, quand une galerie ferme, personne ne s’offusque.

    Quels sont pour vous les devoirs spécifiques de l’artiste envers la société (s’il y en a) ?

    La foutre en l’air !

    Quels seraient, à l’inverse, les devoirs de la société envers les artistes ?

    Aucun, sinon reconnaître que l’ar­tiste effectue un travail comme un autre.

    Cette question me ramène, là aussi, à un de mes agacements actuels. Ou bien on nous a com­plètement ignorés - c’est peut-être ce que veut dire Lise Tatin quand elle explique que l’on a laissé son mari faire ce qu’il voulait et que nous étions donc dans un pays formidable, spécialement en Mayenne, mais on peut aussi ap­peler cela de l’indifférence, et si c’est l’indifférence qu’il nous faut... eh bien... chapeau ! - ou bien au contraire quand on s’occupe de nous... dans certains milieux même, on dit que l’art brut (celui que je pratique) n’est plus de l’art brut (un art confidentiel demeu­rant plus ou moins caché) et que c’est le vent, la mode qui porterait l’art brut. Moi, dans mon coin, je ne le sens pas tellement, le vent, et quand il me porte c’est plutôt dans le but de distraire les gens. On nous montre comme une cu­riosité, comme quelque chose d’as­sez accessible et de distrayant, d’­humoristique... Un peu comme au cirque. C’est un peu agaçant, à la longue...

    Ce que je sens, c’est qu’on est de plus en plus dans la prolongation de ce que Dubuffet a appelé l’art brut. Des jeunes et des gens de ma génération qui pratiquent un art de cette sorte, il y en a de plus en plus. Mais ce n’est pour autant que l’on parle tellement d’eux dans les grands médias.

    Est-il important pour vous qu’un artiste puisse, sur le plan maté­riel, vivre de son art ?Comment l'artiste (Alain Lacoste)

    Oui, bien sûr. J’aimerais que ce soit le cas pour beaucoup de gens que je connais et qui sont aussi intéressants que ceux qui vendent très cher dans les galeries.

    Quelle valeur marchande attri­buez-vous à votre travail ? Comment le négociez-vous ?

    Il y a longtemps que j’ai renoncé à vivre de mon travail de peintre. Je n’ai aucune notion de la valeur de ce que je fais. Ça dépend des jours. Quand j’en ai marre je vends ça très peu cher- c’est le cas le plus souvent. Et puis d’autres fois je me dis ça va peut-être venir, alors je vise plus haut. Je me souviens d’une conversation avec Jacques Reumeau qui m’avait dit que le musée de Laval possé­dait certaines de ses peintures - il essayait ainsi de se rassurer sur la voie qu’il avait choisie - et puis une autre fois il m’a dit qu’il venait de vendre une toile 3000 francs, à l’époque ça m’avait paru vraiment pas excessif et moi, maintenant, quand je veux mettre un prix im­portant je repense à Reumeau et à ses 3000 francs.

    Comment vous-même procédez-vous ? Quel est votre statut so­cial ?

    J’avais un métier par ailleurs, et maintenant je suis retraité.

    Quel regard portez-vous sur les autres artistes ?

    Il y a les gens dont ceux qui font la loi dans le milieu se sont oc­cupés et il y a les autres. Pourquoi Combas, par exemple, qui vient de l’art brut et de Cobra - tout ce qu’on aime - a-t-il été choisi, et pas d’autres ? Ou bien il y a un ex­cès extraordinaire qui aboutit à des spéculations dont on sait les inconvénients, ou bien c’est la mi­sère. Ça ne va pas.

    Vous sentez-vous concerné par leurs questionnements, ou leurs problèmes ?

    Bien sûr. Depuis presque le bibe­ron je m’intéresse à la peinture, alors, les questionnements et les problèmes je les connais.

    Je lisais récemment des propos du peintre Antonio Saura, qui vient de mourir, qui disait que toute sa vie il avait entendu dire, périodiquement, que la peinture était finie, et que pourtant cela ne s’était pas produit. Car la peinture est consubstantielle à l’homme. Moi qui m’intéresse beaucoup à la préhistoire, je sais que c’est alors qu’elle est apparue, et ce ne sont pas les intellectuels d’aujourd’hui, face à quarante mille ans de pein­ture, qui vont me faire croire qu’elle est finie. Peindre, dessiner sont des besoins de l’enfant et de l’homme, et cela continuera jusqu’à la disparition de l’espèce.

    Je suis tellement dans une espèce de chamanisme, à voir dans des formes qui préexistent et qui me concernent, que je suis sûr que chez presque tous les hommes il y a ça. Même si on en reste au rêve, dans les feuillages, dans les ro­chers, dans les nuages, tout le monde a constaté cela, on voit des formes, eh bien le saut dans la peinture c’est prendre un instru­ment pour les souligner, ces formes. C’est une chose qu’il y a dans l’homme, de faire ainsi.

    Quelle serait pour vous la réus­site? 

    Finalement, j’ai beau être un peu amer, des fois, depuis quelques années je suis moins isolé et les amitiés que j’ai dans le monde de la peinture me suffisent. Mais sur un plan social c’est une autre question...

    Comment l'artiste (Alain Lacoste)

    En tant qu’artiste vous sentez-vous engagé dans la cité ?

    Oui, quand même, par certains petits côtés. Par exemple quand je vois dans la campagne un rond point particulièrement inutile je me dis que s’il y avait une sculp­ture au milieu ce serait déjà mieux qu’un pot de fleurs... Mais à part ça... et dans la mesure où j’ai dit qu’il fallait foutre la société en l’air...

    Imaginez-vous qu’à l’heure ac­tuelle, où nous vivons, un artiste puisse se sentir brimé ?

    Oui.

    L’art brut, au sens de Dubuffet, se réfère à des gens qui étaient telle­ment dégoûtés du peu de regard des autres  qu’ils finissaient par dire aux visiteurs qui ne les connaissaient pas : c’est pas moi qui ai fait ça, ça ne regarde per­sonne, foutez-moi la paix. En fait, ils étaient écœurés. Mais moi, je n’ai jamais ressenti ça à ce point-là. Des fois ça me tenterait presque mais je reste accroché à l’idée que c’est pour communiquer qu’on fait ça. Mais si la communication ne s’établit pas sérieusement on peut ressentir une brimade.

    La peinture est aussi une théra­pie. Chaque fois que j’ai eu des ennuis, c’est ça qui m’a tiré d’af­faire. J’ai eu l’occasion de dire déjà que plus on était enquiquiné, plus on fait une peinture gaie. Par exemple, Van Gogh, j’ai toujours trouvé sa peinture gaie. Si on ne savait pas que Van Gogh a eu tous les ennuis qu’il a eus - jusqu’à se flinguer - on trouverait sa peinture d’une vitalité extraordinaire. Pour ma part, dans les pires moments, c’est là que j’ai fait les choses les plus gaies... Parce qu’il y a la rage qui, dans le geste, peut avoir des côtés bénéfiques.

    Quelle sorte de solidarité voyez-vous possible entre les artistes ?

    Comment l'artiste (Alain Lacoste)

    Ça me fait penser à Van Gogh, et à Chaissac aussi, je crois, qui avaient rêvé de faire une commu­nauté d’artistes. Jusqu’à présent ça n’a jamais marché. Quand les individualités sont trop fortes il est difficile d’envisager des commu­nautés vivables.

    Bien-sûr, quand j’apprends qu’un peintre est dans la mouise j’y suis plus sensible.

     

    Propos recueillis le par j-c Leroy, Août 1998 (in Tiens n°6)

     


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