• "Personne ne voit" (rencontre avec Barbâtre) -2

    Barbâtre

     

     ENTRETIEN DU 26 MARS 2004

     

    "Personne ne voit" (rencontre avec Barbâtre) -3
    Barbâtre : Nature morte avec une grande boîte verte, 1984, Pastel, 68x106 cm






    Entretien du 26 mars 2004

     

    Puisque tu me surprends en plein travail, je vais dire un mot de l’effacement. Parce là tu es en train de me prendre en train d’effacer quelque chose sur un pastel que j’ai commencé hier. L’ajustement des pièces les unes par rapport aux autres est pour moi très important, or il ne me convient plus aujourd’hui, donc j’efface. Mais je sais que dans l’effacement quelque chose disparaît de moi, c’est-à-dire du vouloir, de la volonté de la composition ou de la disposition des objets. Par l’effacement, le nouveau dessin recouvre certaines traces, et il y a un brouillage d’une piste – je n’aime pas le mot « piste » – disons qu’il y a un brouillage et de ce brouillage, de ces accidents peut naître quelque chose d’autre qui n’est pas voulu. C’est dans cet exercice d’effacement, de recomposition, que ça se passe. Mais la composition, elle dépend à ce moment-là du hasard et de la matière qui a été mise. Il y a alors une ossibilité de se laisser aller. C’est pour cela que j’aime beaucoup ce mot d’effacement parce que le moi intervient moins. Je pense que ça a joué un rôle déterminant chez Matisse, à un moment donné dans sa vie, aussi bien que chez Picasso. La technique traditionnelle ne convient pas pour cela, donc il est évident que la peinture a changé aussi de nature.

    L’effacement est donc constructif. L’an dernier à la même époque, en février, à la Gendronnière (près de Blois, temple de Deshimaru, où il est enterré), c’est-à-dire donc un temple zen, j’ai animé un stage sur la peinture chinoise, à partir de mon travail sur le sans-appui. Il y avait des stagiaires qui n’étaient pas forcément des peintres, mais il y avait aussi des professeurs de dessin. Je leur ai fait copier des reproductions. Des Seurat, par exemple. Ils travaillaient avec des calques, des crayons de couleurs, chacun selon son tempérament, avec ses maladresses. Lors de la phase suivante, je leur en faisais effacer une partie, de telle sorte que ne se trouvaient mis en valeur que les accidents. À partir de ces effacements et de ces accidents particulièrement expressifs, ils travaillaient. Il y aurait beaucoup à dire sur l’effacement…

    Qu’est-ce qui fait qu’un Chardin et tous ces peintres d’alors sont absolument uniques ? C’est qu’ils introduisent la transparence, par des glacis, par toutes sortes de procédés, des vernis. Ce qui donne de la profondeur ou un volume l’éclairage. À partir du moment où on ne met plus ça en pratique – Matisse ou Picasso cherchant tout à fait autre chose dans la technique – alors toute cette vision s’effondre, et rien ne l’a remplacée. Et on est tombé dans une vision plate. On voit plat. En plus, les peintres travaillent maintenant d’après photographie, un document mort. Il y a là quelque chose de perdu et qui n’est plus compris. Ce qui explique sans doute qu’il y ait si peu de peintres qui soient adhérents à une petite association qui s’appelle l’ARIPA (Association pour le Respect de l’Intégrité du Patrimoine Artistique). Il s’agit de quelques peintres qui se sont réunis pour pousser un cri d’alarme vis-à-vis des restaurations abusives. Restaurations où on enlève tout, notamment tous ces glacis. Et donc toute la raison d’être de ces tableaux disparaît. Non seulement les restaurateurs sont ignorants à un point tel qu’ils ne savent pas ce qu’est une peinture à l’huile et qu’ils l’abîment complètement, mais les peintres eux-mêmes ne savent pas et se désintéressent totalement de la chose, si bien qu’on assiste actuellement à un vandalisme inimaginable, à une destruction du patrimoine pictural tel qu’il est irrémédiable, parce qu’on ne peut pas repeindre après, c’est fini, ce qui a disparu a disparu, dans l’indifférence la plus totale. Nous, les quelques-uns qui protestons, les restaurateurs de tableaux nous haïssent. Il n’y a pas dialogue possible. 

    À l’époque où j’étais lycéen à Laval, avec mon camarade Jean-Pierre Bouvet, nous étions passionnés par deux peintres. L’un c’était André Messager, un peintre de la fin du XVIIIe. Et l’autre c’était Robert Tatin.

     

    André Messager était, je crois, natif de Laval. Au musée il y a un fond assez considérable de dessins, de dessins aquarellés, des paysages essentiellement. Ce peintre était capable de dessiner des paysages avec un premier plan -une barrière disons- un peu plus loin un rocher, un peu plus loin une maison, un peu plus loin ceci, un peu plus loin cela, et pour finir un bosquet qui était parfaitement défini. Et tous ces éléments qui s’échelonnaient dans la profondeur étaient parfaitement définis selon leurs valeurs, c’est-à-dire que la barrière au premier plan était d’un trait noir, parfaitement défini, l’arbre qui était dans le lointain était d’un trait plus fin mais parfaitement défini aussi. Donc il y avait une perception de la valeur des choses qui était surprenante. On sentait que la main avait travaillé avec l’œil, ce qui pour moi a eu une importance énorme. Parce qu’en dessinant sur nature c’est le projet que j’ai toujours eu, de pouvoir créer la distance. Je suis à la fin ou à la maturité de ma vie, de mon travail et je suis inconditionnellement convaincu de la nécessité pour mieux voir, de dessiner sur nature. C’est extrêmement important. Quand on travaille d’après photographie c’est une catastrophe, parce que c’est un document plat. Tu ne peux pas exercer ton œil si tu n’es pas face aux objets. Je travaille des natures mortes mais avec les objets que j’ai sous les yeux, parce qu’il peut y avoir 4 ou 5 cm entre deux objets et la valeur est déjà différente. Et si tu travailles sur cette valeur-là, c’est très important.

    Morandi est arrivé à une telle finesse dans les valeurs que le sens de sa peinture se révèle par cela, parce que les objets sont très près les uns des autres et les valeurs sont parfaitement respectées. Et quand il inverse les valeurs ou qu’il va faire un vide là où c’est le premier plan il ne peut être perçu que si tu vois l’étalonnage des valeurs. Mais les gens ne le voient pas. Les peintres ne le voient pas. Pas plus. Personne ne voit.

     

    "Personne ne voit" (rencontre avec Barbâtre) -2

     

     

    Distinguer les valeurs, pour moi ça a été fondamental. À un moment donné j’ai plutôt laissé courir mon imagination, ce qui est une catastrophe. Giacometti faisait poser quelqu’un de face, et la valeur du point du nez est différente de la valeur du plat de la joue. Et il constate que la distance entre le point du nez et le plat de la joue est grande comme le Sahara. Qu’est-ce que ça veut dire ? Il y a une discontinuité qui s’installe, une rupture où s’introduit autre chose qu’une profondeur kilométrique. Là, on touche à quelque chose qui est de l’ordre du vide, dont Giacometti s’est bien gardé de prononcer le nom. C’est de cela qu’il s’agit. Cette dimension qui est celle de la peinture chinoise n’est accessible, à mon sens, que dans la mesure où l’œil respecte cette règle des valeurs à laquelle je suis plus que jamais attaché.

     

    Le contexte lavallois était très curieux. Il y avait beaucoup de peintres. J’ai appris les rudiments de la peinture à l’huile près d’un restaurateur de tableaux, Georges Pottet, qui habitait rue de la gare, marchand de couleurs qui restaurait des tableaux. Un type adorable. L’autre, du point de vue romantique, c’était Henri Trouillard. Et puis Philippe Le Gouaille, qui habitait rue des chevaux. Il connaissait bien les primitifs flamands et peignait merveilleusement. Et l’homme était très gentil. Et puis il y avait toutes sortes de personnes très étonnantes, des retraités, un huissier de justice, toutes sortes de gens qui, du fait qu’ils étaient de la ville du Douanier Rousseau, s’autorisaient à peindre. Ils peignaient comme ils l’entendaient, avec des résultats extravagants. Ils recopiaient des paysages en cartes postales, mais avec une dimension onirique… et avec beaucoup de soin. Ces gens-là n’avaient aucune envie d’exposer. C’est par le plus grand des hasards que tu les rencontrais. 

    Tatin était une légende vivante à Laval. On racontait sur lui des choses extravagantes. Quand il est rentré du Brésil, il a fait une démonstration. Avec des élèves, ils sont tous arrivés à cheval et habillés en cow-boy, et ils tiraient aux pistolets. Dans Laval, imagine ! Ils ont traversé la ville, jusqu’à la porte Beucheresse, pour rendre hommage au Douanier Rousseau. Il y a des photos de cela…

    Mon problème, c’était alors de trouver un maître. Non pas pour apprendre le métier mais quelqu’un qui m‘indiquerait le secret de la peinture, l’au-delà de la peinture. J’avais des intuitions, des petites révélations, me disant qu’il y avait un autre espace, mais je me demandais qui allait m’apprendre, me montrer ça. Il n’y a pas de recette, il n’y a pas de formule mais il y a un accès.

    Je suis parti en Italie. Je suis allé en Espagne, en Belgique pour rencontrer la peinture, les peintres. J’allais aux expositions. Les peintres se rencontraient très facilement à l’époque. En Espagne j’ai rencontré Antonio Saura et son frère qui n’avait pas encore fait de films. C’était facile de rencontrer les peintres. Par exemple à Paris, pratiquement tous les soirs je voyais Giacometti, mais je n’ai jamais osé l’aborder. Et puis, à l’époque, qu’est-ce que j’aurais pu lui dire ? Autant maintenant je vois son travail, autant à l’époque je ne le voyais pas. Si j’avais été plus mûr… J’étais beaucoup plus enthousiasmé par les derniers feux du surréalisme. Et d’ailleurs, Giacometti c’était l’homme, c’était le mythe, mais sa peinture n’était pas vue. Il faut lire les comptes rendus d’un ami de Giacometti qui faisaient des photos chez lui et chez Picasso. Et les propos de Picasso sur Giacometti sont détestables.

    Un jour, je suis allé à un salon à Paris, au Musée d’Art moderne, qui était dirigé par une Lavalloise : Mme Bordeaux-Le-Pecq.

    À l’époque on allait voir les nouveautés de la peinture dans les salons. Et dans cette exposition je vois le grand tableau qui s’appelait La Source et qui était une sorte de Niagara en gouttes de pluie avec de minuscules personnages en bas, qui tenaient des fleurs et qui se baignaient dans une euphorie absolument inimaginable où tu ne savais dans quoi tu étais. Et cette source, on ne savait d’où elle venait. C’était peint par gouttelettes. Surprenant. Je vois ce tableau et je me dis : c’est extraordinaire, le type qui a peint ça, il est là où je voudrais aller. Et je regarde la signature, c’était Robert Tatin. Alors je me suis dit : le maître que je cherchais partout il était sous la main, il était lavallois. Ma surprise a été énorme. Il faisait à sa façon, bien ou maladroitement, qu’importe, mais il savait, et je voyais qu’il savait.

    Très peu de temps après, je l’ai rencontré, je faisais une petite exposition à Laval, rue de la gare, chez ce monsieur Pottet. Tatin est venu. Il a démoli mon travail. Ça l’a mis dans une rage pas possible parce que, parmi les tableaux, il y avait un hommage à Dubuffet, alors il devait y avoir des rivalités avec Dubuffet. Mais on a pris un verre, on a sympathisé. Il m’a dit : viens me voir à la Frénouse. Et après, tous les étés, j’allais passer un mois ou deux à la Frénouse. C’était minuscule, il y avait la bicoque et une grande statue : La Vierge. On était trois. Lui, sa femme Liseron, et moi. J’ai même amené une fois un ami, très efficace à manier le ciment, à faire les sculptures. C’était entre 1966 et 1970. J’ai été le premier à l’aider. Je me donnais des moments de loisir où je dessinais et où même je peignais à l’huile. Il m’a appris beaucoup de choses mais surtout il m’a appris à travailler à contre-jour. C’est-à-dire que lorsqu’on peint de face, on a le soleil dans le dos qui éclaire l’arbre et toi, le peintre, tu es au centre. Mais si tu peins à contre-jour, l’éclairage est derrière l’arbre, ce qui est au centre c’est l’objet, et toi tu es en dehors, à la périphérie. Le problème c’est d’arriver au fait que l’arbre fait obstacle à la lumière, arriver à voir — par cette métaphore de l’éclairage à contre-jour — que la lumière est à trouver quelque part, dans la lumière de la lumière, le chemin de la lumière. Je me souviens que Tatin parlait du soleil comme d’un lampion.

    Nous avions des conversations à l’infini. Ça commençait le matin et ça durait jusqu’au soir.

    Il avait une grande admiration, une grande passion pour Seurat, et tous les dessins de Seurat sont des dessins à contre-jour (sauf les trois derniers). Cet apprentissage du travail à contre-jour a été déterminant. C’était, sans qu’il le sache, un accès à la peinture chinoise.

     

    "Personne ne voit" (rencontre avec Barbâtre) -3

    Barbâtre : Nature morte avec un cageot et une trompette de la mort, 1982, Pastel, 68x77 cm

     

    Quand nous étions enfants, nous passions nos vacances à Noirmoutier et nous avions des voisins galeristes à Paris, rue Bonaparte. Je peignais là-bas et lui m’a dit : quand tu viendras à Paris, je te présenterai à un professeur de la Grande Chaumière – À l’époque il était pas question d’aller aux Beaux-Arts. On s’inscrivait aux Beaux-Arts pour avoir droit aux tickets restaurant, mais l’enseignement des Beaux-Arts était honni. D’abord il n’y avait plus d’enseignement. Il n’y avait pas d’aventure possible en passant par là alors que maintenant les jeunes peintres sont diplômés des Beaux-Arts.– Il m’a présenté à Gœtz, lequel était un des rares peintres qui faisait des pastels à l’époque. Lequel se désespère de pouvoir enseigner quoi que ce soit — me dit-il — à ses élèves. Il me dit qu’ils sont incapables de comprendre ce que peut être l’unité colorée d’un tableau. Et comme les élèves n’y comprennent rien, il leur faisait mélanger de la terre verte — qui est une couleur un peu neutre — à toutes les couleurs, pour obtenir un ton général, une unité dans le tableau. Dès qu’il m’a dit ça, ça a été terminé. Je ne l’ai plus jamais vu. Il n’y avait rien à apprendre avec quelqu’un qui raisonnait comme ça. Je n’avais rien contre lui, mais je savais que je perdrais mon temps. Mais j’ai perdu tout autant mon temps, parce que c’est long de trouver ce que l’on est, soi.

    Ce qui dominait à l’époque c’était le surréalisme. Ça permettait d’exploiter ses phantasmes. J’ai peint des croûtes absolument ignobles, avec des anges fondant du ciel…

    – Il y avait encore des peintres surréalistes en activité ?

    ‑ Oui, oui, ils étaient tous vivants.

    On voyait Man Ray, Duchamp, Masson, Brauner… Mais je ne les ai pas vraiment fréquentés. Et puis il y avait cette peinture chinoise qui me posait question. Je me souviens qu’en Italie, hormis la peinture byzantine, rien ne me parlait (la peinture de la Renaissance ne me parlait pas). De Cimabue, le Crucifix qui a quasi disparu avec les inondations de Florence. Il y a dans cette peinture byzantine quelque chose qui a été perdu, perdu par l’Occident. Au profit d’autre chose… du psychologique, qui se passe dans un décor.

    Pour la peinture chinoise, il fallait trouver par où rentrer. Lors de ce stage de l’an dernier, j’ai repris une boutade de Cézanne. Un jour on lui a demandé, à la fin de sa vie : « qu’est-ce que vous conseilleriez à un jeune peintre ? » Il a dit : « qu’il peigne le tuyau de son poêle ». Ça a l’air d’un truc complètement tarte. En fait, peindre un tuyau de poêle, c’est peindre un arbre, un cylindre. Comment le peindre ? Le peindre traditionnellement, avec un éclairage à l’extérieur et une ombre, c’est comme ça que l’on donne un volume. Mais si on travaille dans le sens de la peinture chinoise, il n’y a pas d’ombre, il n’y a pas d’éclairage, il ne peut pas y avoir de volume, comment faire ? Donc à ce moment-là on regarde comment un Chinois peint un tronc d’arbre et on commence à comprendre qu’il s’agit d’autre chose. On a affaire à un jeu fond-forme, forme-fond, avec des ruptures, toutes sortes de possibilités qui sont autant d’accès.

    Il faut commencer par un bout, et le bout par lequel j’ai commencé ça a été ça : «comment peindre le tuyau de son poêle ?»

    Il fallait commencer par un fil et ensuite tirer un fil du tapis et tout le dessin viendrait avec. Par ailleurs, pour sortir des phantasmes abstraits et surréalisants, il fallait trouver l’objet qui interpelle (je n’aime pas ce mot). À ce moment-là, j’habitais près des Halles. Les Halles n’étaient pas encore déménagées à Rungis. On vendait des cagettes de cous de poulets. Il y avait des cagettes entières de cous de poulets. Et le rose du cou de poulet, le rouge de la crête, quand il verdissait au niveau du bec, c’était extraordinaire. Mais surtout il y avait des roses d’un raffinement étonnant. En marchant dans la rue Montorgueil, il y avait beaucoup de marchands de quatre saisons. Au coin de cette rue il y avait un volailler qui recevait des cages entières de lapins vivants et il les tuait et dépouillait les lapins devant nous, en une minute. Il y avait une façon terrible de les tuer, il les prenait par les pattes de derrière et par le cou, et toc, il les étirait d’un coup sec. Ensuite il les vidait et les préparait en une seule minute, si je me souviens bien. Tout ça dans la rue. Je me souviens de l’arrivée de camions de têtes de veaux, et après, dans les entrepôts, les têtes de veaux posées à même le sol, avec des rats qui couraient autour… Donc, l’objet premier, ça a été un cou de poulet.

     

     

    – Songeant à cette exigence de travailler d’après nature, je voulais savoir si tu avais travaillé en dehors de ton atelier.

    – Quand j’avais 18 ans, à Laval il y avait le grand boulevard extérieur qui partait des Trappistines et qui allait jusqu’au château d’eau. Un grand boulevard planté de platanes qui marquait la limite extrême de la ville. Entre l’hospice et le boulevard extérieur, c’était encore des champs.

    – Là où est l’hôpital maintenant ?

    – Oui. C’était des champs. Et dès qu’on franchissait le boulevard extérieur c’était la campagne. Il y avait à l’époque les fours à chaux de la Maison Gerbault. C’était gigantesque comme un château fort, et des carrières. Ça a été détruit, comblé. C’était le Bourny. Il y avait des carrières de marbre que l’on extrayait pour faire la chaux. Un ancien four à chaux avait été transformé en équarrissage et, moi qui adorais Soutine, qui adore toujours Soutine, je te jure que ce n’était pas piqué des vers. Des flots de sang, des tripes… J’allais y travailler tous les jours. C’était mes débuts dans la peinture. J’avais 18-19 ans.

    – Tu étais loin de tes questionnements dont tu viens de parler ?

    – Non, pas vraiment. Il y avait plein de questionnements mais il n’y avait pas d’ordre dans les questionnements. C’était dans tous les sens.

    – Ces questions sur la profondeur, elles sont venues après ?

    – Non. C’était inné. Ce n’était pas conscient. Le problème, c’était, et ça reste. C’est ça l’esprit de la peinture chinoise. Il y a un savoir-faire mais il n’y a pas de méthodes. Il y a des accès mais il n’y a pas de méthodes.

    Giacometti, du début à la fin, de quoi il est parti ? Dans quelle interrogation ? Comment il a trouvé ? Comment il n’a pas trouvé ? Et pareillement pour Morandi. En consultant le catalogue raisonné de son œuvre on peut voir qu’il n’a pratiquement jamais perdu le fil. 

    Mais quantité de peintres perdent le fil en cours de route !


    Propos recueillis par J-C L.

    Tiens n°13, 2006.

     Voir Lettre de Marie-José Mondzain à Barbâtre (1993).



































     

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