• AUTOUR de la cosmogonie/cosmologie d’Hildegarde von Bingen (V)

    Denis Schmite 

    Chapitre : Physique, Astrophysique, Métaphysique

     

    Sous-chapitre : Introduction à L’INFINI

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    Hildegarde von BingenBon ! Bon ! Vous nous égarez là encore ! gronda le Maître en modernité. Moi, je voulais parler de la géométrie de l’Univers et, vous, vous réclamez une nouvelle géométrie politique, plus ou moins pour éviter l’Apocalypse si je vous ai bien suivi, comme si c’était là une affaire possible. Toujours, la Politique ! Vous êtes incorrigible ! On ne peut pas rectifier la nature humaine par la Politique, l’Histoire n’a cessé de nous l’apprendre, comme on ne peut pas vous corriger, vous. Il faut vous laver la tête de toutes ces choses ! Il vous faut faire place nette pour accueillir de nouvelles idées et de nouveaux savoirs. Revenons, je vous prie, à notre sujet, je veux dire à l’Univers de Hildegarde von Bingen, et voyons ce que l’on peut encore en retirer au regard de nos connaissances actuelles. Bon ! Tout d’abord, par rapport à la géométrie, entre l’euclidienne et la fractale, et même après la fractale, il en existe pas mal d’autres, et des pas toujours faciles, vous pouvez me croire, géométries projective, différentielle, hyperbolique, elliptique, non commutative, et j’en oublie sans doute, la plupart, mais pas toutes, cherchant peu ou prou à confirmer ou à infirmer le cinquième postulat d’Euclide, celui où il est dit que dans un plan et par un point extérieur à une droite il ne passe qu’une seule parallèle à cette droite, version Proclus tout à fait claire, car il ne l’a pas énoncé du tout comme ça, Euclide (1). Une obsession que ce cinquième postulat pour les mathématiciens-géomètres ! Il les aura occupés pendant des siècles et des siècles ! A ce propos, la Géométrie, je suis surpris que vous n’ayez pas évoqué Mauritz Cornelis Escher, un artiste singulier qui est tombé tout jeune dans une marre de Mathématiques, un ami du physicien Roger Penrose qui aura exercé sur lui une réelle influence, mais influence réciproque en fait, Escher qui a passé sa vie à concevoir sur le papier, par le dessin et par l’estampe, cette dernière principalement réalisée à partir de la gravure sur bois, des architectures et des formes géométriques impossibles, pour certaines largement inspirées du ruban de Möbius, l’un des mathématiciens avec Lobatchevski et Bolyai, Minkowski, Klein, Riemann aussi, bien sûr, et puis Poincaré avec son disque, et toujours Penrose, lui avec son triangle, mais pas Mandelbrot semble-t-il…, car Escher n’a fait qu’effleurer les fractales, intuitivement et précocement, tous gens de hautes mathématiques auxquels il se réfère régulièrement et plus ou moins explicitement. Lui, Mauritz Escher, à la différence de Lorenz Stöer duquel vous venez de me parler, était un grand dessinateur, mais pour le moins très compliqué et donc très intriguant. Pourtant, Escher, lui il affirme qu’à l’école il était mauvais élève, qu’il n’a jamais eu la moyenne en Mathématiques, que le dessin lui a toujours posé problème et qu’il n’a jamais pu se fier à sa « faculté imaginative », qu’il a donc toujours nécessité des modèles pour faire œuvre originale. Mais ce sont les mathématiciens, les physiciens, et aussi les cristallographes, on verra pourquoi les cristallographes, qui se sont intéressés à son œuvre, bien avant les galeristes et les critiques d’art. Pour ma part et préalablement, vous l’aurez déjà compris évidemment, l’Art n’entre que marginalement dans mon système de références, en gros je ne suis absolument pas spécialiste en ce domaine, je n’y connais pas grand-chose et même pour ainsi dire rien, déclara le Maître en modernité dans l’un de ses surprenants accès de modestie. Non ! Je ne peux véritablement discourir que sur l’œuvre d’artistes sensibles aux penseurs non seulement de leur époque mais aussi et surtout ceux qui s’affranchissent du temps, les VRAIS penseurs, scientifiques et/ou philosophes, c’est-à-dire sur l’œuvre d’individus qui labourent à leur manière, artistique, les champs du Savoir (2) tels Kazimir Malevitch et bien avant lui Hildegarde von Bingen…mais il y en a plein d’autres et vous-même en avez cités plein. Escher, donc, exprime une sensibilité particulière pour les Mathématiques en général et la Géométrie en particulier. C’est là quelqu’un qui a l’INTUITION de la Géométrie, tout comme Malevitch avait eu l’intuition des forces de l’Univers. « L’intuition éclaire et se rattache à la pensée pure » comme il disait, le divin Kazimir, vous vous souvenez ? (3). Pour Escher, les lois mathématiques « existent indépendamment de l’intellect humain ». Elles sont dans la Nature, ou l’Univers, comme on voudra. Le plus que l’Homme intelligent puisse faire est de les trouver là où elles sont…et de les comprendre. On a déjà discuté autour de cela nous deux, je veux dire de la réalité de l’Univers, réalité exclusivement mathématique pour de nombreux représentants des sciences dures, et ce à partir de quelques réflexions qu’a pu émettre Brian Greene, tout juste avant que nous n’abordions la ou les « visions » de Giordano Bruno, vous vous souvenez ? (4)

    Ce jour-là j’étais appelé à me souvenir de beaucoup de choses et ça n’était vraiment pas facile. Tellement avait déjà été dit ! Comment se souvenir de tout ?

    Et donc c’est sur ces bases mathématiques, continua le Maître en modernité, qu’Escher conduira inlassablement ses deux explorations majeures, je veux parler de la Tessellation et de ses principes, d’une part, de l’Infini et de ses différentes approches possibles…ou impossibles, d’autre part. Mais, n’allons pas trop vite en besogne ! Posons les bases des bases ! Très tôt, il est profondément impressionné par les trompe-l’œil et les grisailles du Moyen Âge tardif et de la Renaissance, puis par les plafonds aux ciels insondables du Baroque, insertion tout à fait magique, pour ne pas dire miraculeuse, d’une troisième dimension dans un espace à deux dimensions. L’illusion poussée dans ses extrémités puisqu’ici l’œil est effrontément trompé. A l’école d’Art appliqué de Haarlem, il apprend avec passion la gravure sur bois et, au fil d’une série de voyages, il s’imprègne des paysages de l’Italie ainsi que de son architecture, et puis surtout des mosaïques mauresques de l’Alhambra à Grenade. Tous les ingrédients sont là ou presque, ne reste plus qu’à les accommoder à la sauce mathématique. La TESSELLATION ! Elle sera présente dans presque toutes les œuvres de tous ses âges, le conduisant à imaginer les métamorphoses les plus folles, donnant vie à l’inerte et des ailes aux poissons et des nageoires aux oiseaux, l’enfermant dans des cycles irraisonnables en compagnie de créatures fantasques, créatures-tesselles, particules d’une vie sans sens aucun mais déferlant dans tous les sens, qu’il fera cracher par l’œil infinitésimal d’un vertigineux vortex, dériver dans son courant spiralé avant de s’engloutir en lui, enfin elle le jettera haletant à portée des rivages inatteignables d’un univers pourtant précisément circonscrit. L’INFINI dans le FINI. La Tessellation (5) constitue bien sûr une porte d’accès à la Géométrie, tout comme l’y autorisait la marqueterie pour certains artistes de la génération de Stöer, si je vous ai bien suivi. Et puis avec elle il y a quelque chose d’incontestablement musical. La Tessellation est un rythme, c’est là la grande leçon qu’il aura retenue de l’Alhambra. Cependant, si « les Arabes sont maîtres dans le remplissage de surface avec des figures congruentes et qu’ils ne laissent aucun vide », il reprochera aux Andalous de ne retenir, et à l’Islam de n’accepter, que les figures géométriquement abstraites. Lui, ses images il les veut peuplées d’oiseaux, de poissons, de reptiles et parfois d’humains d’un autre âge, d’avant ou d’après. Jamais il n’y aura d’abstraction chez Escher. Ce qu’il réalisera c’est un « All-over » mais sans l’abstraction (6). Et puis, Escher n’est l’homme d’aucune mystique et il le proclame. « Je n’ai jamais tenté de représenter quelque chose de mystique…j’ai passé mon temps à exprimer des concepts en termes visuels… » (7). Des concepts, certes, mais bizarrement et obstinément figuratifs. Ce qu’il veut révéler c’est la poésie qui se cache dans les Mathématiques, la poésie mathématique des structures spatiales, les relations, poétiques parce que mathématiques ou l’inverse, qui peuvent s’établir entre les points, les surfaces et les espaces. Pour cela il convoquera nombre de mathématiciens, ou bien il les redécouvrira de façon tout à fait intuitive, tout du moins c’est ce qu’il affirme, afin de bâtir les grilles qui lui serviront de trames pour ses œuvres compliquées, édifier des architectures incroyablement impossibles, ou pour inventer le mouvement perpétuel, celui du Monde ou de l’Univers, et ainsi ouvrir sur des infinis par définition incommensurables. Voilà ! C’est un peu brouillon pour le moment, j’en conviens, mais je me propose d’entrer dans le vif du sujet…si toutefois vous m’y autorisez.

    Je l’y autorisai…évidemment.

    Maurits Cornelis EscherDonc, Mauritz Cornelis Escher est un homme intéressant au sens où je l’entends moi, poursuivit le Maître en modernité, c’est-à-dire en tant que géomètre totalement intuitif, c’est du moins ce qu’il affirme, mais aussi en tant qu’artiste qui fait un peu plus qu’effleurer certains concepts-clefs tel que l’Infini et qui « finalement », oserai-je dire, s’interroge sur... ce qui fait notre perception des choses d’ici-bas. Je m’explique. Cela n’a jamais été avancé ni par lui ni par aucun autre, du moins à ma connaissance, mais je le crois fortement adepte ou expérimentateur acharné, intuitif peut-être, de la Gestaltthéorie, la psychologie de la forme, dont l’holisme et l’émergentisme constituent les principes de base, principes que j’ai déjà amplement abordés à propos de certaines « intuitions » philosophiques d’Hildegarde von Bingen. Le tout est différent de la somme de ses parties mais une partie ne trouve son sens que dans le tout etc. etc. On s’accorde à dire que la « gestalt » est une forme SIGNIFIANTE, une forme structurée qui fait sens, une forme qu’on perçoit immédiatement et dont il est difficile de se défaire pour avoir un autre angle de vision. Il existe des images ambigües bien connues, celle de la vieille femme et de la jeune femme par exemple, mais moi je leur préfèrerai le cube de Necker, du nom du cristallographe qui l’a décrit, Louis-Albert Necker, parce que j’y reviendrai au cube de Necker. Quand on veut dessiner un cube sur une feuille de papier, c’est-à-dire un volume sur un plan, ou encore un objet 3D sur un support 2D, on fait avec son crayon très exactement douze traits dont deux coupent deux autres. Pour faire savant, on parlerait d’un certain type de perspective « axonométrique », la perspective cavalière, c’est-à-dire d’un système de représentation fait de parallèles déjà évoqué dans nos discussions autour de De Stijl et de Malevitch, mais moi je préfèrerai parler de cube « fil de fer », c’est plus immédiatement compréhensible. Donc, avec ses douze traits de crayon on obtient un volume, un cube vu de trois quarts. Ce qui est saisissant c’est que la très grosse majorité des gens voit ce cube légèrement de dessus, or il y a deux perceptions possibles, l’une effectivement légèrement de dessus et l’autre légèrement de dessous. La très grosse majorité des gens n’ont pas cette seconde perception. Faites le test vous verrez par vous-même ! La première perception est « culturelle » bien que je n’aime pas le mot. C’est comme si elle était incrustée dans le cerveau et qu’elle interdisait de disposer de la seconde. Ce genre d’objet pose de façon entêtante une série de questions, sur la réalité de nos perceptions, que voit-on vraiment lorsqu’on regarde les choses ? sur la Réalité tout court, puisque le cube de Necker n’est pas un cube mais une série ordonnée de douze traits de crayons, et sur ce qui est constitutif de nos savoirs, de la Connaissance, le cube de Necker est un cube puisqu’on l’a décidé mais que vaut une connaissance « décidée » ? « En réalité », il n’est pas toujours aisé d’opérer ces « basculements de pensée » dont vous vous glorifiez en affirmant que vous en êtes coutumier. Je dois avouer qu’avec l’image de la jeune femme et de la vieille femme, j’ai pratiquement mis des années avant de voir se profiler la vieille, mais il est vrai aussi que je me sens davantage attiré par les jeunes que par les vieilles, crut bon de préciser tout en ricanant le Maître en modernité. Bon ! On sera amené à en reparler du cube « fil de fer » de Necker, je vous le dis ! Beaucoup, y compris le commentateur de l’œuvre d’Escher, le mathématicien Bruno Ernst, cherche à classer celle-ci dans des catégories chronologiques et thématiques, des petites boîtes sémantiques et temporelles bien pratiques, et obligatoirement arbitraires, mais ce qu’il faut reconnaître à Escher c’est une extrême fidélité à ses « concepts ». Lorsqu’il en tient un il ne le lâche plus, ainsi la Tessellation et les cycles, les métamorphoses aussi, traversent-ils son œuvre entière, ou presque. Tout commence quand même avec ce qu’Escher lui-même appelle LE « conflit » existant entre la représentation, l’image en trois dimensions, et le plan de la représentation, la feuille à deux dimensions, qui est une vieille histoire de l’Histoire de l’Art, évidemment, mais que lui traite sous la forme de trompe-l’œil surréalisants. « Drawing Hands », Mains dessinant, par exemple. De quelques traits de crayons figurant une manchette sur une feuille de papier fixée par des punaises au bureau, ou au mur, émerge une main gauche, tout à fait réaliste, tenant un crayon qui dessine une manchette d’où émerge une main droite, tout à fait réaliste, qui tient elle aussi un crayon et dessine la manchette d’où émerge la main gauche. « Reptiles », autre exemple. Soit un bureau couvert de tout un tas de menus objets qu’on trouve régulièrement sur un bureau, tout un tas de machins qui encombrent, un calepin à côté d’une minuscule plante grasse, un flacon bouchonné avec un verre, un gros volume fermé, un petit livre ouvert, un presse papier en forme de polyèdre, en l’occurrence un dodécaèdre, une équerre qui relie l’épais volume au dodécaèdre comme un pont, une timbale en étain destiné à recevoir une gomme et des trombones, et puis un cahier à dessin, que le gros livre et le presse-papier maintiennent largement ouvert, et sur la double-page une espèce de pavage fait de crocodiles stylisés et étroitement imbriqués les uns dans les autres, blancs, gris, noirs, une tessellation. Un petit saurien émerge de la dernière tesselle et rejoint une file d’autre sauriens qui, à la queue leu-leu, grimpent sur l’épais volume, empruntent le pont, grimpent triomphant sur le polyèdre en relâchant un épais nuage de vapeur de leurs narines largement ouvertes, sautent sur la timbale et redescendent pour se fondre à nouveau dans le dessin-pavage. Donc, tout un circuit, pas très compliqué en fait, mais fourmillant de thèmes ou de « concepts » : le conflit des dimensions ou l’énigme du passage d’un monde à un autre, la métamorphose, dessin de saurien à saurien bien réel, mais tout de même caractère illusionniste de la représentation, le CYCLE qui se traduit dans un mouvement perpétuel naissance-dissolution-renaissance. Et puis, après un voyage à Malte, « intuition » que d’autres géométries sont possibles, des géométries non-euclidiennes (8), la géométrie elliptique, ou sphérique, de Bernhard Riemann par exemple, dont l’adoption se traduit par des grilles préparatoires beaucoup plus compliquées, de monstrueuses déformations, des enflures, des renflements, des inflations, ou des vagues plus ou moins spiralées, des courbures, de ce qu’il est convenu d’appeler le « Réel », tant dans la perception que l’on peut en avoir que dans sa représentation artistique. « Print Gallery », Galerie d’estampes , une lithographie, une image troublante faisant appel à un procédé ad infinitum. Malte ! A proximité du port une galerie d’art qui expose des gravures et un jeune homme qui contemple l’une d’entre elles qui figure une vue du port de Malte avec en bordure une galerie d’art qui expose des gravures et un jeune qui contemple l’une d’entre elles qui figure une vue du port de Malte etc. etc. Un processus ad infinitum donc, mais pas seulement ! C’est là une image toute faite de courbes qui se développe un peu comme un vortex ayant pour centre, œil du maelström, la fenêtre de la gravure par laquelle on voit le jeune homme contemplant l’estampe, ou plutôt où on devrait le voir, mais aussi… deux mondes qui s’interpénètrent, le monde de la galerie et le monde de l’estampe, et puis encore celui de l’intérieur, intérieur de la galerie, intérieur de la gravure, pensée du jeune homme, et celui de l’extérieur, la vue de Malte et de son port. La vue du port de Malte se construit à partir de la gravure comme une inflation de celle-ci qui écraserait peu ou prou le toit de la galerie dans laquelle se trouve le jeune homme et de là elle se développerait dans une manière de volute entraînant la déformation des façades des bâtiments les plus proches pour s’allonger enfin, comme un alanguissement, dans une espèce de normale banalité, un quai du port de Malte. INTERPÉNÉTRATION DES MONDES, un « concept » escherien récurrent et ici riemannien. Escher n’a jamais fait directement référence à Riemann. Ce sont les mathématiciens qui, considérant son image « Print Gallery », ont proclamé qu’il s’agissait dans le cas d’espèce d’un espace riemannien, c’est-à-dire un espace fait de courbures et de géodésiques (9) qui, au passage, est l’espace-temps de la Relativité générale d’Einstein. Maria Isabel Binimelis Bassa, quel nom magnifique ! énonce clairement les choses : « Dans la théorie de la relativité d’Einstein la géométrie de l’espace est une géométrie riemannienne. La lumière voyage selon les géodésiques et la courbure de l’espace est fonction de la matière qui le compose » (10). Voilà ! Mais, par espace il faut comprendre espace-temps, c’est-à-dire quatre dimensions, trois d’espace et une de temps, et pas seulement trois. A l’époque, Escher était-il totalement au fait de ces choses ? Totalement, c’est peu probable, lui-même est loin de dire le contraire…à l’époque. « Riemann est complètement au-delà de moi et les mathématiques théoriques aussi, sans parler de la géométrie non-euclidienne », va-t-il jusqu’à affirmer. Doit-on le croire sur parole ? C’était un homme d’intuition, et curieux avec ça, ne l’oublions pas, et puis après il a rencontré Penrose, et Ernst aussi, et son savoir s’est considérablement enrichi bien sûr. Le cœur de l’estampe, l’œil du maelström, le lieu de la fenêtre de la gravure contemplée par le jeune homme, est en fait un TROU BLANC. Pourquoi ? Il n’y a pas d’intention mystique, ni même métaphysique, d’Escher. Non ! Comme je l’ai indiqué Escher se défendait de toute intention de ce genre. Tout simplement, il ne disposait pas d’outils suffisamment précis, de crayons et de pointes à graver suffisamment fins, pour mener à terme le processus ad infinitum. Il explique simplement qu’arrivé en ce point « tout était devenu si détaillé qu’aller plus loin eût été impossible ». Il se heurtait ici à une impossibilité technique de représenter l’Infini. Voilà ! Il a profité de ce trou blanc pour y apposer sa signature, pourquoi pas ? et c’est, somme toute…plutôt amusant.

    Le Maître en modernité s’arrêta subitement donnant le sentiment de rechercher l’inspiration en même temps que sa respiration. Il toussota de façon un peu inquiétante ce qui traduisait toujours chez lui un certain énervement, une réelle excitation. Moi, je résolus de me tenir coi. Puis après s’être raclé quelque peu la gorge, il reprit tout aussi subitement.

    Maurits Cornelis Escher : Convex and Concave (1955)Mauritz Escher fouille en permanence les lois de la perspective classique, multiplie souvent les points de fuite, croise les verticales et les horizontales, opère des plongées et des contre-plongées, passe du Nadir au Zénith, des abysses au firmament, crée sans cesse de nouveaux angles de vue et provoque des vertiges, pour finalement dans la même image faire coexister deux ou trois mondes, chacun avec sa Physique propre, et introduire chez nous le doute par rapport à ce que nous autorisent à saisir nos sens. Mondes multiples donc et qui s’interpénètrent. Des créatures étranges peuplent ces mondes, des qui volent, des qui nagent, des qui volent et qui nagent, des qui rampent, des qui gravissent des escaliers interminables, des qui rampent et qui gravissent, en formations serrées et à double sens, emportées par des flux invisibles et irrésistibles, double sens d’une vie sans sens, sans même recherche de sens, entraînées par des courants incompréhensibles et continus, tesselles-particules d’une mosaïque vivante ou usagers comme décérébrés empruntant comme mécaniquement des escaliers qui ne mènent nulle part. Certains se posent quand même, ici ou là, des vraiment bizarre, le Simurgh (11) ou bien les sirènes d’Ulysse, certains fatigués qui se mettent à penser, à réfléchir peut-être sur ce qu’ils vivent et voient, mais c’est rare. Le plus souvent ce sont des oiseaux noirs et blancs qui s’imbriquent les uns dans les autres tout en volant à contresens, des poissons qui dérivent et se métamorphosent en oiseau, ou non, mais qui dérivent, qui sont irrésistiblement emportés par des flux d’énergie, des poissons-volants qui le sont tout autant, des humains désindividués et anonymes qui montent et descendent des escaliers, ou plus surprenants encore des « roulés en boule » (« curl-up »), sorte de lézards annelés ou de scolopendres à gros yeux noirs tout ronds, mais à six pattes, qui se déroulent pour en faire tout autant mais dans une géométrie très particulière, un cylindre torsadé par des sinusoïdes inverses, des portions d’ellipses (12).

    « Gravity », Gravité. Une image, une lithographie là encore, où s’interpénètrent trois mondes ayant chacun sa propre gravité. Trois mondes avec quantité d’escaliers dont les trois principaux, qui constituent la structure, ou la charpente, de l’image, forment un gigantesque triangle équilatéral. Ces trois escaliers débouchent sur des plateformes qui donnent accès à des portes ouvrant sur des terrasses ou des jardins arborés dans lesquels des personnages sans traits, têtes d’œufs à la Chirico, peuvent se promener, déjeuner, ou rêver peut-être. Seize personnages au total, serviteurs et servis, grimpent ou descendent les escaliers, ou se reposent sur les plateformes, ou bien encore empruntent les portes d’accès aux terrasses. MAIS…chaque côté du triangle équilatéral constitue un monde à part entière et chaque escalier a deux faces avec des marches correspondantes, ce qui fait que dans un monde on peut monter ou descendre par l’une des faces, tandis que dans un autre on peut faire la même chose mais sur l’autre face. Les personnages de mondes différents, bien que nombreux sur un espace aussi restreint, ne se croisent jamais et donc il ne peut pas y avoir de collision des mondes. Les circulations se font le plus naturellement « du monde » et sans étonnement de la part des circulants. Ce qui est un plafond dans un monde est un mur avec fenêtre pour un autre, ce qui est une porte palière ici est une trappe de cave de bistrot ailleurs, tout est sens dessus dessous mais dans un certain ordre quand même. Dans les architectures d’Escher, on l’a fait comprendre, il y a des escaliers partout et on peut s’interroger sur ce symbole particulier. Peut-être ne cherche-t-il qu’à exprimer la dynamique du Monde ? Tout est toujours en mouvement, partout, mais seul l’escalier parvient à imprimer une dynamique à un élément aussi statique que l’objet architectural. L’escalier impose son mouvement vertical. Quand on est devant soit on monte, soit on descend.

    Cette réflexion n’engage que vous, me permis-je d’intervenir. Je ne connais pas très bien Escher, ni sa vie ni son œuvre, je le confesse, mais je crois savoir qu’il avait entrepris des études d’architecture, très vite abandonnées du reste, et que lors de ses voyages en Italie et ailleurs il a fait des tas de croquis d’édifices et de perspectives urbaines qu’il a réutilisés par la suite dans bon nombre de ses gravures en proposant des angles de vue tout à fait novateurs. Escher était un maître de la perspective, je crois que nous sommes d’accord sur ce point. Plus généralement, l’architecture, la vraie, n’est que vibrations, tensions et souffles, par le découpage de ses façades et l’ampleur de ses volumes. Elle n’est jamais statique. Si l’architecte est le compositeur, le chef d’orchestre de l’architecture, la vraie, c’est la lumière et ses jeux. L’escalier n’est qu’un interprète parmi d’autres, même si Escher, dans ses images, lui accorde bien souvent, trop souvent peut-être, un rôle de soliste. C’est un outil privilégié pour les géométries complexes et les illusions optiques. Mais, il est vrai aussi que certains escaliers, ou leur substitut artistique, la rampe spiralée du Guggenheim de Central Park par exemple (13), peuvent constituer la colonne vertébrale d’un édifice majeur, et parfois, telle la rampe dessinée par Wright, un ascenseur vers le soleil apollinien, hypnose d’Icare.

    Bon ! Bon ! maugréa le Maître en modernité, avant de poursuivre sur le chapitre strictement architectural, je souhaiterais revenir à la Tessellation et aux multiples usages qu’a pu en faire Escher, de pleine connaissance ou de façon intuitive. La Tessellation est une division rythmique de l’espace, je l’ai déjà dit, et c’est ce qui a tant fasciné Escher, évidemment. Il a fait quantité de croquis des mosaïques andalouses et à partir d’eux il a analysé les mouvements des tesselles, translations, rotations, glissements, homothéties (14), et les combinaisons de ces mouvements. Il a procédé à leur « lecture » comme on ferait d’une partition musicale. Une mosaïque comme une musique étant une totalité bien supérieure à la simple juxtaposition de ses composants, tesselles ou notes, Escher a apporté beaucoup de soin à l’homogénéité, à l’harmonie, de ses propres compositions, ses gravures. Au moyen de la Tessellation, il a développé les thèmes qui lui étaient chers, ses « concepts » artistiques, les métamorphoses, les cycles, l’interpénétration des mondes, mais il a aussi lancé un défi à la perception. Expérimentation du gestaltisme (15).

    « Day and Night », jour et nuit, une gravure sur bois, offre une vue plongeante, propose le survol, d’un paysage campagnard avec des champs en damier, des parcelles bien définies, un petit village agglutiné autour d’un clocher, et une large rivière enjambée par un pont, en compagnie de canards sauvage. A première vue. La partie gauche du paysage est en pleine lumière et la partie droite est dans l’ombre. Le vol des canards est double. Des blancs qui viennent de la gauche et des noirs qui viennent de la droite, et par conséquent dans le ciel des canards-tesselles qui s’imbriquent parfaitement mais à contre-sens. A y regarder de plus près, les canards noirs et blancs naissent d’une métamorphose progressive des champs parcellisés en partant du bas vers le haut, et les deux parties de la gravure sont en miroir, c’est-à-dire que le paysage sombre est le double, un négatif inversé donc, du paysage lumineux. Si on suit le vol des canards, on constate une interpénétration de la nuit et du jour, les canards noirs envahissant le paysage éclairé, le jour, et les canards blancs envahissent le paysage obscur, la nuit. Il y a donc un mouvement double dans cette image, un axe de développement vertical et un autre horizontal, celui de la métamorphose et de la constitution de la mosaïque, du bas vers le haut, celui de l’interpénétration des mondes, de la gauche vers la droite et de la droite vers la gauche, ainsi qu’un jeu gestaltiste sur la perception des choses, le blanc étant plus immédiatement perceptible que le noir. Tous les ingrédients, les thèmes dominants, sont donc réunis dans une seule image, avec en filigrane l’idée du cycle éternel du jour et de la nuit incluant des phases intermédiaires, leurs déclinaisons et déclins, pénétration progressive de la nuit dans le jour et du jour dans la nuit. « L’esprit humain ressent une attraction particulière pour les processus en boucle qui n’en finissent pas car ils nous donnent à expérimenter l’idée d’infini, qui le dépasse et à la fois le séduit » explique Maria Isabel Binimelis Bassa, quel beau nom quand même ! On reparlera de l’Infini car il est mouvement, le mouvement perpétuel constamment présent dans les images d’Escher… le sentiment du mouvement perpétuel au travers d’une image fixe, une sacrée trouvaille et un sacré paradoxe tout de même !

    « Eight heads », Huit têtes, parfois appelée « quatre têtes » mais peu importe, gravure sur bois très précoce d’Escher, il est encore étudiant à Haarlem, combine une Tessellation très compliquée à certains principes gestaltistes, tout en mettant en jeu un double mécanisme d’inversion et de répétition. On pourrait décrire cette gravure comme une mosaïque faite de têtes humaines et de créatures plus ou moins démoniaques réparties sur quatre lignes, mais la première ligne est répétée à la troisième et la seconde à la quatrième. Sur la première ligne on identifie immédiatement le portrait d’un homme portant un haut de forme et des favoris et celui d’un autre aux traits émaciés et à la chevelure longue. Chaque portrait est repris deux fois et en alternance. On l’appellera la ligne des hommes. Sur la seconde ligne on perçoit nettement le profil d’une femme brune un peu pensive ainsi que le buste d’une jeune beauté pris de trois-quarts arrière et dont le dos est nu. Ces portraits sont également repris en alternance. On l’appellera la ligne des femmes. Entre chaque « tête » on perçoit des formes imprécises mais présentant une certaine régularité. Quand on retourne l’image, on découvre sur la ligne des hommes deux personnages de peau noire et barbus, l’un tout à fait agressif, sorte de démon, l’autre très sévère et portant une coiffe imposante, probable signe de chefferie. Sur la ligne des femmes, deux autres beautés mais de dimensions plus réduites, l’une de face, tête baissée et offrant un ample décolleté, l’autre de profil, plus mutine peut-être, et portant un bibi assez sophistiqué. Toutes ces « têtes » s’imbriquent merveilleusement les unes dans les autres et sont reliées par leurs coiffes et coiffures. Ce qui fait qu’une forme est véritablement « signifiante », c’est d’abord le sens de sa présentation, la figure inversée est moins lisible, puis sa taille, plus elle est importante plus elle est rapidement perçue, puis sa couleur, la surface noire met en valeur la blanche, enfin le sexe, la grâce féminine est plus satisfaisante à l’œil que la grossièreté masculine, dit-il encore en ricanant…mais je dus reconnaître qu’il avait amplement raison.

    Enfin, il y a « Fish and Scales », Poisson et écailles, une gravure sur bois qui constitue pour moi une sérieuse approche de la géométrie fractale, mais si on y réfléchit bien les fractales constituent un prolongement logique des études sur la Tessellation. C’est là une déclinaison de la technique, ou de la méthode, davantage qu’un thème, parmi beaucoup d’autres, bien que ce ne soit qu’une intuition, évidemment. Que voit-on ? Comme le titre l’indique des poissons, des poissons dans un aquarium qui a la forme d’un antique écran télé. Il y en a des gros et il y en a des petits, de toutes les tailles en fait mais tous de la même espèce, des noirs et des blancs en alternance et qui nagent à contre-sens, que des poissons imbriqués les uns dans les autres. Tessellation. Dans l’aquarium il n’y a pas de place pour l’eau car les poissons sont serrés les uns contre les autres et il y en a plein, une mosaïque de poissons qui ont des gros yeux tout ronds. Il y en deux vraiment très gros, un à droite et un à gauche, mais pour bien les discerner il faut partir de leurs yeux, très gros, puis remonter, le long de leurs dos, ou redescendre le long de leurs ventres, c’est selon, jusqu’à leurs queues. Il y a un effet de perspective et leurs écailles qui deviennent de plus en plus grosses si on va vers le bas ou si on va vers le haut se métamorphosent en poissons. Des poissons faits de poissons, des fractales poissonnières. Les poissons-écailles, ou les écailles-poissons, devenant de plus en plus gros(ses), acquièrent leur autonomie et deviennent des poissons à part entière. Les gros poissons génèrent des poissons à partir de leurs écailles, ce qui fait qu’il y a vraiment beaucoup beaucoup de poissons, que l’aquarium en est totalement rempli et qu’il n’y a plus du tout d’espace disponible pour l’eau. L’idée part peut-être de l’expérience que nous avons tous fait. Quand on regarde des poissons à travers la vitre d’un aquarium il y a un effet de loupe. Les poissons les plus proches de la vitre paraissent beaucoup plus gros qu’ils ne sont « réellement », plus gros que lorsqu’on regarde par le dessus de l’aquarium qui n’a pas de vitre. Un effet loupe à l’origine d’une image fractale ? Dans tous les cas, une ILLUSION.

    Je vous l’ai déjà suggéré alors que vous m’affirmiez vous moquer de la Vérité et de la Réalité, dis-je au Maître en modernité. L’ILLUSION EST REINE. Souvenez-vous ! « La vérité c’est qu’il n’y a peut-être pas de réalité, ou tout du moins de réalité qui soit à notre portée, mais que des illusions… » et j’avais ajouté « …ou des souffrances provoquées par les illusions des autres », mais ici, je le reconnais, c’est quelque peu hors de propos.

    Maurits Cornelis Escher : spiralsDonc, la vitre crée l’illusion de gros poissons, poursuivit-il sans réagir à ma remarque qui, il est vrai, n’appelait pas de réaction particulière car il s’agissait juste d’un rappel. Un miroir, simple ou convexe, une boule de verre, ou une simple goutte de rosée qui s’est posée sur une feuille, créent aussi des illusions en permettant au monde, à l’espace, de s’élargir, de s’amplifier, et aux mondes de s’interpénétrer et de se mélanger. Bruno Ernst retient, je crois, le terme de « equilocality », equilocalité, c’est-à-dire le fait de se trouver en même temps, simultanément, dans un même lieu, pour exprimer cette interpénétration des mondes. Escher a illustré de manière magistrale le cas de la goutte de rosée qui mélange trois mondes, celui de la feuille sur laquelle est posée la goutte, les nervures de la feuille vues par transparence et qui sont fortement grossies, encore un effet de loupe, et l’espace environnant qui se reflète dans la goutte comme dans un miroir convexe. Tout le monde à en tête le miroir situé derrière le jeune couple Arnolfini dans le tableau de Jan van Eyck, un miroir convexe qui permet de découvrir toute la pièce où ils se trouvent ainsi que leurs visiteurs. Mauritz Escher a beaucoup utilisé les miroirs pour mélanger les mondes dans des manières de natures mortes, « Still Lifes », figeant un coin de bureau ou de coiffeuse qui par reflet simple, lorsqu’une fenêtre est ouverte et en fonction de leur orientation, font surgir dans la pièce un paysage urbain ou une scène de rue, ou bien encore sont prétextes à autoportraits élargis. Les miroirs convexes ou les boules de cristal ouvrent des perspectives savantes, des perspective curvilignes, par images réfléchies et constituent pour lui, peut-être, des introducteurs, des intercesseurs, pour les géométries hyperbolique et elliptique qu’il utilisera énormément par la suite. Dans « Hand with Reflecting Sphere », Main avec sphère réfléchissante, une lithographie, on voit précisément une main tenir une grosse boule de cristal et dans cette boule un autoportrait d’Escher avec en avant plan une partie de sa main qui tient la sphère ainsi que l’intégralité de la pièce, le salon-bibliothèque d’Escher, dans laquelle la scène se déroule. On peut voir tous les détails de la pièce, déformés certes, mais beaucoup plus que ce qu’il serait possible d’appréhender sans la boule, effet de la géométrie particulière de la sphère, à l’exception de ce qu’il y a en dessous. On peut voir tout l’Univers mais pas pleinement ce qui le soutient. Cette sphère réfléchissante amène à réfléchir ! Il y a aussi cette très belle image, une mezzotinte ou manière noire (16), dédiée à la méditation car elle renvoie à ce thème qui vous est cher, la Vanité des choses humaines, « Eye », Œil. Cet œil reflète un crâne dans sa convexité pupillaire, autre miroir cerclé d’iris et couronné de cils, Memento mori. Enfin, une image que j’aime beaucoup, « Rippled Surface », Surface ondulée, une linogravure c’est-à-dire une gravure sur linoléum, autre technique qu’Escher déclare préférer au strict dessin. Un soir d’automne, une flaque ou une marre troublée par la chute de deux gouttes d’eau. Des ondes ellipsoïdales viennent briser l’image d’arbres effeuillés ainsi que le disque énorme d’un soleil couchant, une composition qui amène Escher sur le seuil de l’abstraction. Il ne le franchira jamais. Avec « Convex and Concav », une lithographie dont le titre ne nécessite pas de traduction, Escher organise un jeu très compliqué autour de la convexité et de la concavité et fait appel une fois encore à certains ressorts de la Gestaltthéorie. Tout du moins c’est ainsi que je conçois les choses car je ne suis pas certain que tout le monde soit complètement d’accord à propos du Gestaltisme. Imaginons un palais médiéval, ou un temple dédié à on ne sait quel dieu, avec plein d’escaliers, de passerelles voutées, des arches soutenues par des colonnes, un pont et des échelles. Il y a des gens partout et beaucoup de mouvement, et beaucoup de détails, une femme franchissant le pont qui enjambe un bras de rivière sur lequel circule une barque, des hommes qui grimpent aux échelles, deux joueurs de trompettes à des lucarnes, un homme assis contre un mur qui se repose ou qui écoute les trompettes, et puis deux gros lézards accrochés à une base de colonne avec des pattes munies de ventouses comme de vulgaires margouillats et qui tirent leurs langues fourchues en plus, et divers objets proposés comme des indices afin de décrypter l’image, tels une grosse lampe à huile suspendue au bout d’une chaîne, deux poulies orientées de façon divergentes, une vue de dessus et l’autre de dessous, des pots de fleurs sur le rebord de certaines fenêtres et aussi une grande bannière avec un curieux motif. Au milieu de l’image, entre l’homme assis et la lampe à huile, on trouve une sorte de bassin ou de motif décoratif en forme de coquillage qui est en fait le point de passage entre deux mondes, celui de la convexité à gauche, celui de la concavité à droite, donc deux mondes sur une même image, pas nécessairement régis par des lois physiques différentes, mais qui offrent des points de vue différents, un par-dessus et l’autre par-dessous, un peu comme l’histoire du cube « fil de fer » que je vous ai contée. Le coquillage est creux pour le monde de gauche, c’est une vasque, et il est en relief pour le monde de droite, c’est la base renforcée et décorative d’une colonne qui est vue de sous une plateforme. Le motif qui figure sur la bannière souligne l’ambiguïté de nos perceptions. Il est fait d’une petite mosaïque de parallélépipèdes à faces grises et noires qui peuvent être vus sous deux angles possibles comme le cube de Necker, deux reliefs différents donc. Cette juxtaposition des deux mondes provoque une désorientation spatiale chez le regardeur, et cette lithographie prélude aux architectures impossibles. C’est alors, je veux dire après la réalisation de « Convex et Concav », que Bruno Ernst révéla à Mauritz Escher certaines techniques et instruments binoculaires, inventés par Charles Wheastone, permettant d’inverser la perception des images, inversion du convexe en concave, le pseudoscope, ou de voir en relief, la stéréoscopie à l’origine de l’imagerie 3D. Mais, avant d’en arriver aux architectures impossibles, il me parait bon de faire un petit détour par la cristallographie.

    Bruno Ernst rapporte qu’Escher était lyrique, dithyrambique, lorsqu’il parlait des cristaux. Leur perfection, leur régularité, la longue et mystérieuse alchimie qui les a fabriqués, le fascine littéralement. Les cristaux sont des polyèdres produits par la Nature. Aussi constelle-t-il son ciel et son univers de cristaux, des étoiles polyédriques, tétraèdres, hexaèdres, octaèdres, dodécaèdres, icosaèdres, les cinq solides de Platon en fait (17), qu’il peut hybrider un hexaèdre, c’est-à-dire un cube, avec un octaèdre, ou deux octaèdres, ou deux tétraèdres, et qu’il fait parfois habiter par des créatures inquiétantes, par exemple deux énormes caméléons qu’il emprisonne dans un polyèdre hybride assez proche d’un solide étoilé de Kepler, sorte de cage sidérale aux barreaux de laquelle ils enroulent leurs queues, ou bien encore construire une ville spatiale ultra-dense, peut-être la Jérusalem céleste, sur un tétraèdre. Est-ce la découpe anguleuse et précise des cristaux, leur polissage parfait aussi, qui ont conduit Escher à s’intéresser à la géométrie, ou à l’inverse est-ce son appétence pour la géométrie qui l’a sensibilisé à la beauté « mathématique » des cristaux ? Probablement ni l’un ni l’autre ou plutôt les deux à a fois. Les cristaux sont archétypalement attirants pour le regard mais Escher était déjà complètement imbibé de mathématiques, quoi qu’il ait pu dire à ce sujet. Concernant le polyèdre, il est vrai que depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui il n’a cessé de marquer les esprits et de fouetter les imaginations. Les Pythagoriciens, sont les véritables pères des solides dits de Platon mais ce dernier les intègre dans sa philosophie en les associant chacun à un élément, le tétraèdre au feu, l’hexaèdre à la terre, l’octaèdre à l’air, l’icosaèdre à l’eau, et le dodécaèdre qui les englobe tous, donc le Tout, ce Tout qu’Aristote assimilera à la quintessence, à l’Éther. Kepler, lui les associera aux six planètes connues à son époque. Les solides occupent l’espace entre deux planètes, cube entre les orbes (18) de Saturne et Jupiter, tétraèdre entre celles de Jupiter et Mars, dodécaèdre entre celles de Mars et la Terre, icosaèdre entre celles de la Terre et Vénus, octaèdre entre celles de Vénus et Mercure, et bien qu’emboîtés les uns dans les autres ils sont chacun séparés par une sphère, et il y a même une grande sphère qui englobe le tout. Enfin, c’est à peu près ça. Et puis en étirant les arêtes du dodécaèdre, il créé deux polyèdres étoilés auxquels deux autres seront ajoutés par Poinsot quelques siècles plus tard. Avant Kepler, Archimède avait créé treize nouveaux polyèdres faisant intervenir pour chacune de leurs faces deux types de polygones, les solides d’Archimède, mais là c’est rentré vraiment dans le détail, et très très proche de nous Norman Johnson en a créé…quatre-vingt-douze, les solides de Johnson qui sont taillés comme des pierres précieuses. Tout ceci pour dire que, du côté des Sciences, le polyèdre c’est vraiment toute une histoire.

    En Art c’est pareil, affirmai-je avec un certain enthousiasme. Je ne reviendrai pas sur Albrecht Dürer ni sur Lorenz Stöer car là je commencerais à devenir vraiment inquiétant, y compris pour moi-même, mais au tout début de la Renaissance, avec la redécouverte des Grecs, on parle d’une véritable mode du polyèdre, on constitue des véritables collections de polyèdres que l’on fait réaliser par des menuisiers, mais cette première Renaissance c’est aussi une époque bénie pour les artistes-mathématiciens, tous brillants manipulateurs de la « divine proportion », le nombre d’or (19) beaucoup utilisé pour les polyèdres, et de fait ils pullulaient véritablement tous ces artistes, les théoriciens tels Piero de la Francesca, « le meilleur géomètre de son temps » selon Vasari (20), Luca Pacioli, Fra Luca de Borgo, son élève en mathématiques et plagiaire, toujours selon Vasari, et l’élève en mathématiques de Pacioli… Léonardo da Vinci qui illustra de dessins de polyèdres le « De divina proportione » de son maître, les réalisateurs somptueux tels Paolo Uccello avec le polyèdre en mosaïque à Saint-Marc de Venise, un dodécaèdre étoilé bien avant Kepler, et Fra Giovanni da Verona avec les incroyables trompe-l’œil marquetés à Santa Maria in Organo, méli-mélo de polyèdres et de sphères à facettes posés sur des tas de livres au milieu de splendeurs hétéroclites dans des armoires entrouvertes, toujours la mosaïque et la marqueterie, pratiques que notre époque semble avoir totalement mises à l’écart.

    Mauritz Escher a également réalisé des sculptures compliquées de polyèdres et de sphères, en bois d’érable ou de hêtre, dont il a couvert les parois ou la surface de fleurs, de poissons, et même d’anges et de démons, imagerie chère à Hildegarde, surenchérit le Maître en modernité, et pour rebondir sur votre propos relatif à Uccello et Vinci, il s’est inspiré d’eux pour travailler sur une spirale particulièrement compliquée à partir de deux tores c’est-à-dire deux anneaux tout tortillés puis savamment entrelacés. Au départ, peut-être, il y a le « mazzocchio » c’est-à-dire une coiffe florentine, ou plutôt une partie de cette coiffe, qu’Uccello représente parfois dans ses peintures et notamment dans ses trois tableaux de la bataille de San Romano (21). Quand les chevaliers, les seigneurs de ce temps, ne portent pas le heaume ils arborent, même à la guerre, le mazzocchio qui est constitué d’une sorte de gros boudin, presqu’un turban, sur lequel on fixe souvent un voile. Uccello, qui est aussi un maître de la perspective, a étudié le mazzocchio, il l’a facetté comme un diamant et en a fait une sorte de polyèdre, un polyèdre torique. Toujours dans la même idée d’étude de la perspective, Vinci et quelques autres l’ont anatomisé ce mazzocchio dégageant une espèce de treillage fait de deux anneaux entrelacés. C’est à partir de cette dissection perspectiviste qu’Escher a construit sa spirale. C’est tout de même sophistiqué comme idée, non ? Partir d’un chapeau pour construire une spirale ! Eh bien tout ceci ne pouvait que le conduire à s’intéresser au ruban de Möbius. Ce ruban n’est pas une forme géométrique impossible mais…on n’en est pas loin. Un ruban ça a deux faces, celui de Möbius n’en a qu’une. Un ruban c’est fini, celui de Möbius est infini. En pratique, ce n’est pas bien compliqué. On prend un ruban auquel on affecte une torsion d’un demi-tour et on colle, ou on agrafe les deux extrémités. Si on fait glisser son doigt sur la surface, on passe à l’extérieur, puis à l’intérieur pour se retrouver à l’extérieur, même si intérieur et extérieur dans le cas d’espèce ne veulent rien dire, et ça indéfiniment à moins qu’on ait une crampe dans le doigt. Le ruban de Möbius n’a qu’une face et il est INFINI. Toujours est-il, Escher, comme à son habitude, va le faire parcourir par des bestioles le ruban de Möbius, par exemple par des fourmis géantes qui le graviront et le descendront comme une échelle, « par l’intérieur et par l’extérieur », à la file, sans pouvoir s’en échapper, comme dans une cage, indéfiniment, comme une file de fourmis. Le ruban de Möbius est une figure mathématique qui, à une certaine époque, a pu avoir son application technologique. L’industrie l’a utilisé pour des courroies de machines, mais il y a longtemps. Toujours est-il, Escher, comme à son habitude, va compliquer tout ça en faisant des nœuds au ruban de Möbius.

    Maurits Cornelis Escher : Tetrahedral Planetoid (gravure sur bois)L’Infini est une chose, un concept en l’occurrence, et on y reviendra beaucoup, la Perception en est une autre, mais pas un concept, une réalité en l’occurrence, c’est-à-dire une illusion, selon vous, une série d’illusions…d’optique, selon moi. « High and Low », Haut et bas, une lithographie, une image double pour une seule scène, une conversation probablement un peu amoureuse entre une jeune femme et un jeune homme, quoi de plus naturel à cette époque ? , dans un recoin de ville latine, italienne ou espagnole peu importe, une belle maison à étage avec bien sûr un escalier et puis des arcades, une cour dallée, et au fond une petite place avec un palmier, une plongée sur la partie haute, une contreplongée sur la partie basse, deux angles de vision pour la même scène. Ce qui constitue le haut d’une image, celle du bas, constitue le bas pour l’autre image, celle du haut. Le bas de l’image du haut c’est la cour dallée avec l’entrée d’une cave et un escalier qui y descend. L’entrée de la cave et son escalier représentent très précisément le centre de l’image saisie dans sa totalité, et ce centre parait soutenu par les arcades du second étage de la maison dans l’image du bas. Le jeune homme est assis sur les marches de l’escalier, pas celui de la cave mais celui qui conduit à l’étage de la jeune femme, cette dernière conversant d’une fenêtre avec le jeune homme qui la regarde donc en levant la tête. Ce qui est intéressant c’est qu’il n’y a pas une seule ligne droite. Ce que l’on regarde ici ce n’est pas la simple image mais la perception sensorielle que l’on pourrait avoir de cette scène, l’illusion d’une courbure des verticales, une illusion d’optique. Quand on regarde du bas, donc en contreplongée, quelque chose qui a une certaine hauteur, un édifice à étages ou une colonne, les lignes verticales paraissent être légèrement courbées. Quand on regarde du haut, donc en plongée, les mêmes choses qui, cette fois-ci, ont une certaine profondeur, on éprouve le même sentiment, peut-être même accentué. Les façades des maisons, les piliers qui soutiennent les terrasses, le tronc du palmier, sont plus ou moins courbés. Le centre de l’image, la cave avec son escalier, fonctionne peu ou prou comme le trou d’écoulement, la bonde, d’un évier qui aspirerait progressivement tous les constituants de l’image, tant de la partie basse que de la partie haute. Bruno Ernst, que « High and Low » a beaucoup marqué au point qu’il l’avait en affiche dans son bureau, je crois, dit que « les lignes principales se déploient en éventail depuis le centre [de l’image] pour replonger comme les feuilles du palmier ». C’est une autre manière de dire les choses. La PERCEPTION que l’on peut avoir des choses, l’appréhension de celles-ci par nos sens, la « Réalité » déformée, est au cœur du travail de Mauritz Escher. Perçoit-on LA RÉALITÉ ? ou bien…Y a-t-il une réalité à percevoir ? ou bien…tout n’est-il qu’illusions d’optique ? ou bien …tout n’est-il qu’illusion tout court, comme vous ne cessez de le soutenir ? Moi, je dis que c’est impossible car je crois à la Réalité, mais Escher, lui, donne à voir l’IMPOSSIBLE, donc quelque chose qui ne peut pas être réel puisqu’impossible.

    L’image la plus connue d’abord, poursuivit le Maître en modernité après avoir repris son souffle, « Waterfall », chute d’eau, une lithographie pour laquelle Escher utilise deux triangles de Penrose, c’est-à-dire deux figures géométriques impossibles. Le mathématicien et astrophysicien Roger Penrose a, de son propre aveu, toujours été obnubilé par la réalisation d’objets impossibles, et c’est après avoir visité une exposition d’Escher à Amsterdam, à l’occasion d’un congrès, qu’il a exploité l’idée bien antérieure d’Oscar Reutersvärd (22) d’un triangle formé de trois angles droits, donc d’un triangle absolument impossible. En géométrie euclidienne, l’espace est plat et la somme des angles d’un triangle est égale à 180°. En géométrie hyperbolique, l’espace est incurvé, plus ou moins en selle de cheval pour fournir une image, et la somme des angles de ce même triangle est inférieure à 180°. En géométrie elliptique, ou sphérique, la somme des angles d’un triangle est supérieure à 180°. Il n’y a guère que dans cette dernière qu’on pourrait, à l’extrême limite, trouver un triangle avec trois angles de 90°, soit 270° au total, c’est-à-dire encore le triangle de Penrose. Mais, tout est une question d’échelle. Dans un espace non euclidien, hyperbolique ou sphérique, il faut que le triangle occupe une portion significative de cet espace pour que la somme de ses angles soit différente de 180°, inférieure dans un espace hyperbolique, supérieure dans un espace sphérique. A notre échelle, bien que la Terre soit plus ou moins une sphère, plutôt un vague ellipsoïde comme on l’a vu, tout triangle que l’on va tracer sur une feuille de papier, ou à même le sol, aura la somme de ses angles égale à un angle plat, c’est-à-dire à 180°, et tout ça parce que nous sommes tout petits par rapport à la Terre et qu’à notre échelle tout nous parait plat. Mais sur une plage, par une belle journée d’été, avec une mer plate, et si on regarde la ligne d’horizon on s’aperçoit que celle-ci ressort très légèrement courbée. Donc, le triangle de Penrose n’appartient pas à notre espace bien que sphérique. Nous sommes beaucoup beaucoup trop petits…sauf par illusion d’optique, un peu comme une anamorphose (23), c’est-à-dire en regardant une construction particulière sous un angle précis pour que l’image se forme. L’Univers, le nôtre, est-il plat, hyperbolique ou sphérique ? On pense qu’il est plat, enfin après quatorze milliards d’années environ depuis le gros Bang, mais c’est pareil on est beaucoup beaucoup trop petit pour apprécier sa forme réelle après inflation et surtout accélération de cette dernière il y a sept milliards d’années environ. Tout ce qu’on voit c’est plat parce qu’on n’en voit qu’un bout. Tiens, pendant qu’on y est ! L’axiome des parallèles, le cinquième postulat d’Euclide revu par Proclus, est infirmé en géométrie hyperbolique comme en géométrie elliptique. Pour la première, l’hyperbolique, par un point extérieur à une droite peut passer une infinité de droites parallèles à cette droite de référence. Pour être plus clair, dans un tel espace, à courbure négative, les droites sont des courbes et deux courbes qui ne se coupent pas sont parallèles. Pour la seconde, l’elliptique ou sphérique chez laquelle on ne parle pas non plus de droite mais de géodésique, AUCUNE. Dans cet espace à courbure positive, une géodésique est toujours sécante à une autre géodésique. Mais revenons à « Waterfall » ! Il s’agit d’un moulin à aube et d’une espèce d’aqueduc à deux étages que l’on examine en vue plongeante. Le moulin s’auto-suffit, c’est-à-dire que son aube propulse l’eau qu’elle reçoit de la chute d’eau dans un étroit chenal qui grimpe les deux étages en faisant trois angles droits pour finalement retomber sur l’aube du moulin, et ce dans un mouvement perpétuel. L’eau qui tombe forme le troisième côté de deux triangles…de Penrose. Tout ceci parait simple mais c’est « simplement » impossible. On notera que deux tours à colonnades surplombent les trois angles droits du chenal, dans un bizarre croisement en fait. L’une des tours surplombe à la fois le premier et le troisième angle droit, l’autre le deuxième et la chute d’eau. Comme pour couronner ce bizarre édifice, chaque tour est surmontée d’un imposant polyèdre plutôt compliqué parce qu’hybride. Le moulin en lui-même est une maisonnette assez banale mais elle dispose d’un jardinet, au premier plan de l’image, tout à fait inquiétant parce que constitué de plantes géantes, des mousses et des lichens considérablement grossis, effet de loupe peut-être, et le paysage au fond, terrasses pour les cultures ou carrières de plâtre, parait enveloppé dans un brouillard blafard ou écrasé par un soleil de plomb. Le moulin bénéficie d’une petite dépendance à laquelle on accède par une série de porches et d’escaliers, en fait un itinéraire assez compliqué au regard de l’exiguïté du lieu. Une femme étend paisiblement son panier de linge sur une petite plateforme tandis qu’un homme, appuyé à une rambarde et les yeux levés au ciel, s’interroge probablement sur le fonctionnement de toute cette machinerie absolument « improbable », et puis aussi sur le concept d’Infini exprimé par le mouvement perpétuel imprimé par la roue à aubes à l’eau.

    Mauritz Escher s’est inspiré d’un autre objet impossible créé par Penrose, pas Roger mais son père Lionel, un généticien pas un mathématicien, toujours à partir d’une idée d’Oscar Reutersvärd et du triangle de son fils, un escalier impossible, pour une lithographie intitulée « Ascending and Descending », monter et descendre. Là encore vue plongeante sur un bâtiment massif et très austère, un monastère disposant d’un déambulatoire en terrasse. Sur ce déambulatoire, plus ou moins un carré qui fait à peu près le tour du bâtiment, Escher a posé l’escalier de Penrose qu’une théorie de moines monte et descend, un peu comme les fourmis géantes prises dans le treillage du ruban de Möbius, mais sur une double file et à contresens. Une file de moines monte les marches sans cesse, en faisant quatre angles droits, pour atteindre son point de départ, autrement dit c’est comme si elle n’avait pas monté les marches, ce qui est impossible puisqu’elle n’a fait que cela. Les moines devraient se trouver plus haut qu’à leur départ. L’autre file de moines descend les marches sans cesse, en faisant aussi les quatre angles droits, pour atteindre son point de départ, ce qui là encore est impossible puisqu’elle n’a fait que descendre, donc les moines devraient se trouver plus bas qu’à leur départ. La construction de ce genre d’objet est très compliquée car il y a perte d’une dimension à un moment ou à un autre, mais où et par quel artifice ? Ça ne peut jouer que sur des différences de hauteur du bâtiment lui-même ou, par illusion d’optique, effet perspectiviste, en faisant se joindre des tronçons d’escalier qui ne peuvent pas se joindre dans le « réel ». Pour ma part, je retiendrai la première solution parce qu’avec la seconde il y aurait un grand trou et les moines, dans leur déambulation, ils tomberaient dedans inéluctablement. Pas facile à comprendre cet escalier plat quand même, et là encore il y a un petit personnage appuyé à une rambarde en contrebas qui, les yeux levés vers le déambulatoire, semble rechercher la clef de cette machine à mouvement perpétuel, tandis qu’un autre, assis sur les escaliers qui conduisent au monastère, lui tourne résolument le dos comme s’il n’existait pas. Deux attitudes différentes devant les mystères de la vie…ou de l’imagination.

    Une dernière architecture, ma préférée peut-être parce qu’elle fait appel au cube de Necker, mais en version impossible, c’est « Belvedere », une autre lithographie. Escher nous transporte dans un Moyen Âge d’opérette avec des acteurs qui sont tous bizarrement fagotés. Le belvédère en question ressemble peu ou prou à un tout petit palais moghol surmonté de trois coupoles et constitué uniquement de deux plateformes en étage à partir desquelles on dispose d’une vue panoramique sur un majestueux paysage des Abruzzes, de belles montagnes. Étrangement, à la base de l’édifice il y a une espèce de geôle avec un prisonnier qui s’agrippe des deux mains aux forts barreaux et qui passe même sa tête un peu hagarde entre, les barreaux je veux dire. L’accès à la première plateforme se fait par un escalier assez raide mais qui ne pose pas problème en lui-même, si ce n’est toujours les escaliers, et à la seconde par une échelle qui ne repose pas à l’extérieur du belvédère mais sur sa première plateforme, et ça c’est complètement impossible. Pourquoi ? Il n’y pas de trappe d’accès entre la première plateforme et la seconde. L’échelle est posée à l’intérieur mais passe par l’extérieur, or le belvédère est un quadrilatère, un parallélépipède rectangle plus précisément posé sur sa petite surface. C’est donc impossible ! Mais pas seulement ça ! Six des huit piliers qui soutiennent les arcades se croisent, ou plus précisément ceux de devant soutiennent les arcades de derrière et inversement, ceux de derrière soutiennent les arcades de devant. C’est un peu comme si le cube « fil de fer » de Necker eh bien se mélangeait les fils de fer. Cet entremêlement de piliers imprime une forte torsion à l’édifice, ce qui semble ne déranger personne, c’est-à-dire ses visiteurs, le couple curieusement vêtu qui monte les escaliers, le vieux sur la première plateforme qui contemple aristocratiquement les montagnes, la jeune femme sur la seconde plateforme qui regarde dans la direction opposée du fait de la torsion, et surtout pas les deux jeunes hurluberlus qui grimpent à l’échelle pour la rejoindre. Personne ne semble affecté par cette extraordinaire architecture qui défie les lois de la logique, aucun d’entre eux vraiment ? …si, UN. Au pied du belvédère il y a un banc et sur ce banc un jeune homme qui tourne dans tous les sens un objet étrange, un cube fait de lattes de bois, le cube de Necker mais version impossible. Devant lui, à même le sol dallé, il a étalé un plan, et il cherche à comprendre ce jeune homme. Déjà c’est comme si on le voyait le cube à la fois de dessus et de de dessous, sans aucune ambiguïté visuelle telle que celle que je vous ai décrite en évoquant la Gestaltthéorie, mais l’une des lattes, l’une des arêtes, de l’arrière-plan passe au premier plan, un entrecroisement de droites qui lui donne un aspect bancal. Cet objet que tient le jeune homme dans ses mains, ce cube impossible, fonctionne comme le CONCEPT qui a prévalu à la réalisation du belvédère, un bout de maquette en quelque sorte.

    Moi-même j’ai été questionné par cette image que je connais assez bien, me permis-je d’intervenir, et je perçois dans cette architecture folle une version « moderne » de la Nef des fous, « Das Narrenschiff » de Sébastien Brant (24), un texte de la Première Renaissance, comme vous dites, qui a été si merveilleusement illustré par Albrecht Dürer, ou bien du tableau éponyme de Hieronymus Bosch, antérieur à « Das Narrenschiff » dénonçant la turpitude et les vices des gens d’église et des Hommes de son temps. La Nef des fous ! Ce fut là un grand succès d’édition, c’est certain, mais aussi une image qui trottait dans la tête de beaucoup à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance, à commencer par celle d’Érasme de Rotterdam qui, lui, ne parle pas de la nef mais bien de la folie des gens d’église et des Hommes de son temps. Dans la nef de Bosch, il y a de la gourmandise avérée et de la luxure sous-jacente. Peut-être y en a-t-il dans la gravure d’Escher avec ces jeunes gens montant à l’échelle pour rejoindre la jeune dame du deuxième ? Même désir que celui du gaillard qui grimpe au mât sans voile pour décrocher le gras chapon rôti qui y est suspendu ? Mais il est vrai aussi que si je laisse libre cours à mon imagination je verrai bien dans la nonne joueuse de luth de la nef, et qui cherche en même temps à mordre dans une galette toute ronde suspendue à un fil, une représentation un peu grivoise d’Hildegarde von Bingen qui voudrait dévorer l’Univers. Toujours est-il, le belvédère tout tordu avec son bizarre équipage me fait penser à un haut navire totalement désorienté et la ligne de crête « abruzzéenne » à l’écume d’une mer agitée.

    Pourquoi pas ? admit le Maître en modernité. Il existe bien d’autres objets impossibles qui n’ont pas, à ma connaissance, été utilisés par Escher, la bouteille de Felix Klein par exemple qui n’a ni intérieur ni extérieur et qui si on la coupe en deux dans sa plus grande hauteur donne deux rubans de Möbius, reprit le Maître en modernité. Mais restons-en là pour l’Impossible et poursuivons sur l’Infini. Moritz Escher est obsédé par l’Infini, on l’aura compris avec ses cycles et mouvements perpétuels, et il cherchera à s’en rapprocher plus précisément encore en le représentant cet Infini sur une surface plate et finie. Dans la continuité de son imagerie et de ses « concepts », moi je dirais ses principes, les métamorphoses et la tessellation, il mettra en scène la naissance de l’Univers, mais un univers REPTILIEN selon ses propres termes, avec une sorte de « Big Bang » générant des lézards/particules, noir, verts et oranges, qui se propagent en tous sens à partir d’un point central, la singularité fondamentale. « Development II », une gravure sur bois. Ce « Big Bang » s’apparente davantage à une fluctuation quantique du vide qu’à une grosse explosion. Il s’agit d’un point minuscule, un lézard-point infiniment petit, totalement indiscernable en fait, et qui grossit énormément, et qui se multiplie dans toutes les directions, inflation grouillante qui va jusqu’à déborder le plan pour étendre à l’infini l’Univers carré. Escher rejette l’idée du néant, le RIEN, mais il accepte celle du vide car il y voit un espace à remplir, et il le remplit jusqu’à le faire disparaître en vertu du principe de tessellation. Avec cette prolifération et ce grouillement dans cette expansion effrénée, les lézards, noirs, verts et oranges, sont imbriqués les uns dans les autres, s’emboitent parfaitement, et finalement refont en partie le chemin dans l’autre sens pour s’annihiler dans ce qui était la singularité initiale, « Big Crunch » incomplet puisque rien ne peut arrêter l’expansion et qu’il y aura aussitôt renaissance, le cycle individuel et universel donc sur lequel nous aurons l’occasion de revenir, bien sûr. Il poursuivra sa quête avec la série « Circle Limit » mais pour ça il aura besoin du disque de Poincaré. Les idées d’Henri Poincaré et son disque il les découvrira dans un livre du mathématicien Harold Scott Macdonald Coxeter (25), ouf, c’est long et compliqué comme nom ! Poincaré suppose un monde, mais ce peut être un univers, enfermé dans une sphère, ou mieux dans un cercle, mais Poincaré parle d’une sphère tout en inscrivant sa démonstration dans un espace à deux dimensions, donc un cercle ou un disque si l’on préfère, avec des différences de température en fonction de l’endroit où on se trouve. Au milieu du disque il fait très chaud et plus on se rapproche des bords plus il fait froid, pour atteindre le zéro absolu sur les bords, sur le cercle limite. Ces variations de température entrainent des dilatations et des rétractations des corps qui se déplacent en ce monde. Plus un corps s’éloigne du centre, plus il se rapproche du cercle limite, plus il se refroidit, plus sa taille diminue, plus son déplacement devient court, « [ses] pas deviennent de plus en plus petits » précise Poincaré, ce qui fait qu’il ne pourra jamais atteindre le cercle limite. Ce monde est fini puisqu’inscrit dans un cercle, mais pour celui qui l’habite il est infini puisqu’il ne peut jamais en atteindre les limites (26). Donc, le disque s’inscrit dans la géométrie hyperbolique, et non pas sphérique comme annoncé, et Poincaré travaille avec des géodésiques pour le peupler de triangles qui se joignent afin de former des heptagones, tandis qu’Escher pavera les siens de poissons volants ou d’anges et de démons, et même de croix dans un projet pour le Vatican. Après avoir commencé avec le disque, Escher veut approfondir sa recherche d’infini avec le carré à l’intérieur duquel il définit une grille de triangles isocèles auxquels il applique une règle de diminution de la surface de moitié au fur et à mesure qu’ils se rapprochent des bords. Ainsi, les triangles isocèles deviennent de plus en plus petits, indéfiniment plus petits, et toujours obnubilé par les bestioles qui rampent, ou qui volent ou qui nagent, Escher l’Homme aux lézards et aux poissons volants, une sixième psychanalyse (27), il loge dans chaque triangle eh bien dans le cas d’espèce un poisson volant, tessellation de poissons volants, et les poissons volants deviennent de plus en plus petits en se rapprochant des bords du carré, infiniment petits, et du fait de la règle de diminution de moitié, les bords bien que limites d’un espace sont inatteignables. Mais consulté sur le sujet, Coxeter trouve que le carré c’est moins puissant que le cercle pour exprimer l’idée d’Infini, aussi Escher revient-il au cercle qu’il fait toujours habiter par des poissons volants, puis par des anges et des démons, emboités les uns dans les autres. Maria Isabel Binimelis Bassa, quel beau nom tout de même, dit que Mauritz Cornelis Escher a su loger « un univers dans une goutte d’eau ». Voilà !

    Nouvelle reprise de souffle, mais pas si fréquentes que cela les reprises de souffle tout de même. Le Maître en modernité disposait de poumons à toute épreuve en raison de sa très longue et très riche pratique des amphithéâtres et des symposiums, évidemment.

    Moi, je vois dans le disque de Poincaré revisité par Escher une variation sur le thème du paradoxe de Zénon, reprit subitement le Maître en modernité. Zénon d’Élée, un Grec là encore, un dialecticien présocratique plus précisément, est bien connu pour les huit paradoxes qu’on lui attribue par lesquels il ne tend pas à démontrer que le mouvement n’existe pas, comme on le dit trop souvent, mais il fournit plutôt une métaphore pour ce que pourrait être L’INFINI. Pour son huitième paradoxe il imagine une course entre Achille, le plus rapide des héros grecs, et…une tortue. Disons qu’Achille va cent fois plus vite que la tortue et qu’il lui accorde une avance de cent mètres (28). Une course à handicap donc ! Quand Achille a parcouru les cent mètres, point de départ de la tortue, celle-ci s’est déplacé d’un mètre. Quand Achille parcourt ce mètre, la tortue s’est déplacée d’un centimètre etc. etc. Tout ceci pour démontrer, qu’aussi rapide qu’il puisse être, Achille ne rattrapera jamais la tortue. C’est là une espèce de parabole qui a fasciné Georg Cantor, ce mathématicien enivré d’infini, histoire que personnellement j’aime beaucoup parce qu’elle veut prouver une certaine supériorité de la Logique sur les Mathématiques. Le raisonnement de Zénon est très difficilement réfutable sous le seul angle des Mathématiques. Pour en revenir à Escher, il finira par construire des spirales logarithmiques, tels les bras des galaxies ou les coquilles des nautiles, à partir de critères davantage esthétiques, ou conceptuels, que strictement mathématiques, spirales qui lui serviront de grilles pour ses compositions nouvelles. Il trace des cercles emboîtés les uns dans les autres mais en réduisant la distance qui les sépare au fur et à mesure de leur approche de ce qui sera le centre, et il relie ces cercles par une ligne qui se développe en s’enroulant autour de chacun, soit une spirale dont le mouvement enveloppant ou non, entropique ou non, est souligné par la nage ondoyante de poissons-papillons ou de poissons-fleurs disposés en tesselles. « Path of life », chemin de la vie. Enfin, mais tout en restant dans cette idée du chemin de la vie, avec une extension franche vers la cosmologie, il y a « Whirlpools », Tourbillons, une gravure sur bois qui fait intervenir deux spirales jumelles, comme deux étoiles jumelles, ou plutôt deux galaxies spirales sur le point de fusionner et abritant en leurs cœurs deux trous noirs infimes mais hyper-massifs d’où s’échapperaient, défi énorme lancé à l’hypergravité, quantité de matière, infinité de particules-poissons, et qui en avaleraient tout autant. Puisque sur le point de fusionner, les galaxies strictement identiques sont reliées entre elles, donc siamoises tout autant que jumelles, et les poissons qui prennent naissance en l’une, gris en haut, rouges en bas, se dissolvent dans l’autre, rouges en haut, gris en bas, points infimes de vie et de mort mélangés. L’embryogenèse, sorte de magma indifférencié puis la morphogenèse absolument inobservable, la croissance extrêmement régulière des poissons, ils deviennent de plus en plus gros, mais très très progressivement, jusqu’à une taille limite, juste au centre de l’image, puis leur vieillissement se traduisant par un amoindrissement de taille tout aussi progressif et régulier, accroissement de l’entropie, pour finir dans la même confusion magmatique qu’à l’origine, dans un bouillonnement biologique ultime et primordial à la fois, le croisement incessant de l’ultra-vivant et du quasi-mort, et même de l’à peine vivant et du totalement mort, rouges et gris, gris et rouges, toutes ces phases et tout ce mouvement sont soulignés par une ligne blanche qui passe par le corps de chaque poisson, juste en son milieu, comme s’il était empalés sur la double spirale archi-déterministe, un fil de flux énergétique expulsant de l’œil du maelström ou y conduisant inéluctablement et qui marque la défaite absolue de l’entropie puisque absolument et continument réversible. Naissance, vie, mort, renaissance. De la mort surgit la vie qui conduit à la mort. Ultime tessellation et ultime leçon à propos de l’Infini et du sens de la Vie.

    Eh bien ! ... Pour quelqu’un qui déclarait ne pas trop s’y entendre en Art, il s’était vraiment montré très fort ce jour-là. C’est le moins que l’on puisse en dire ! Le Maître en modernité était en capacité de parler de tout, ou presque, de franchir aisément les frontières entre les différents savoirs, et en bien des circonstances j’eus l’occasion d’évaluer la distance, considérable, qui me séparait de lui. Le Maître en modernité était un TRANSDISCIPLINAIRE, non pas parce qu’il pouvait pratiquer toutes les disciplines en spécialiste, mais parce qu’il transcendait véritablement ses connaissances en y ajoutant simplement, si j’ose m’exprimer ainsi, l’épice de sa grande sensibilité, pour ne pas dire de son talent, littéraire, le fils spirituel de Gaston.

    Mauritz Cornelis Escher a introduit pour nous un certain nombre de concepts que je qualifierai de fondamentaux, l’Infini, le Cycle, le Déterminisme, la Vie, sur chacun desquels il conviendrait que nous nous attardions quelque peu, poursuivit-il tout à fait sereinement. Mais, tout d’abord, à quelle géométrie peut-on rattacher l’Univers tel que nous le donne à voir Hildegarde von Bingen ? Il s’agit d’un univers FINI, c’est-à-dire qu’il y a l’Univers et son cercle limite de flammes rouges, jaunes dans le Scivias, le « feu lumineux » qui exprime la toute-puissance de Dieu, et au-delà absolument rien, si ce n’est la feuille d’or qui sert de fond précieux pour que se détache bien l’enluminure tout aussi précieuse. Il s’agit aussi d’un univers en coupe, une tranche longitudinale de l’œuf cosmique, un ellipsoïde par nature, dans le « Scivias », une tranche de sphère dans les trois enluminures cosmogoniques et cosmologiques du « Liber operum », mais toutes tranches orientées par les sept planètes ou bien par la figure de Dieu, qui indique toujours le Nord, la position de l’Homme universel que l’on ne peut évidemment pas représenter la tête en bas ou allongé sur le côté comme certains bouddhas, le cycle des saisons, hiver au Nord, été au Sud, dans la troisième visions du « Liber operum ». Pourquoi des tranches ? Pour que l’on puisse bien suivre le chantier de la Création et le mûrissement de la Terre, sinon on ne verrait qu’un œuf ardent ou une boule enflammée. Donc l’Univers est fini mais il apparait nécessairement infini pour les petits Hommes qui l’habitent, même si la Terre a considérablement grossi pour qu’on voit bien ce qui se passe dessus, effet de loupe, comme pour les habitants du disque de Poincaré. L’Univers est fini seulement pour le « lecteur » de l’enluminure ou de la gravure. Donc, ellipsoïde ou sphère, demi œuf cuit dur ou demi pomme incandescente, l’Univers d’Hildegarde relève-t-il de la géométrie hyperbolique ? Hildegarde, quelques siècles avant tous les mathématiciens, tous ces géomètres non-euclidiens que j’ai évoqués, Lobatchevski, Bolyai, Minkowski, Riemann et les autres ? Eh ben non évidemment ! Moi, je parlerai ici d’une GÉOMETRIE MÉTAPHORIQUE, une géométrie qui utilise des images pour exprimer des « concepts », afin d’aider à mieux comprendre son discours à elle, Hildegarde, ou celui de son dieu, ou bien encore les discours des deux, si on veut bien croire en ces choses, une géométrie pour construire un modèle idéologique, l’univers chrétien. Mais, dans la seconde vision, celle du « Liber operum », on voit Dieu, ou plutôt sa tête, surplombant l’Univers, chapeautant l’archange rouge, ou le Christ, qui présente l’Univers en l’étreignant, en dehors même de la feuille d’or. Dieu et le rougeaud ne peuvent surgir du néant puisque le néant n’est RIEN. Le Rien ne peut être la demeure du créateur du Tout et le Tout lui-même. Non ! Le palais de Dieu, c’est l’EMPYRÉE. Mais qu’est l’Empyrée ? Rien n’est bien clair. Certains disent que c’est la sphère céleste occupée par le feu, « l’embrasé de feu ». Proclus, ce néo-platonicien que nous avons déjà rencontré avec l’axiome des parallèles, affirme que tous les mondes matériels sont enveloppés par l’éther et que l’Empyrée enveloppe tout jusqu’à l’éther lui-même. Aristide Quintilien, auteur d’un traité de musique fameux, le dernier inspiré du pythagorisme dit-on, mais c’est à voir quand même car c’est oublié Augustin, Quintilien donc, ne semble pas faire la différence entre l’élément éthéré, le cercle empyrée et les cercles planétaires, le tout constituant le chemin lumineux suivi par l’âme lors de l’ultime passage, ou à peu près ça (29). Mais, les Grecs plus anciens avaient déjà dit bien des choses sur le sujet, distinguant entre un monde inférieur, le soleil, la lune, les planètes, et un monde supérieur, l’Empyrée, séjour d’un feu pur, l’éther fait d’un feu plus grossier, les étoiles constituant des parties denses de l’éther. Zeus, allèrent jusqu’à affirmer certains, serait issu de l’Ether et de l’Empyrée, et principe actif, il aurait imprégné « de particules, de lumière et de feu » l’air, Héra, principe passif et humide, et de cette union seraient nés tous les êtres. Mais au-delà de cette construction, qui n’est encore que pure matérialité, on pourrait parler d’un cheminement à l’intérieur de la matérialité, il y a le Noûs, l’Esprit ou l’Intellect ou la Raison, qui « est non-limité et n’est allié à rien, mais existe par lui-même, seul », selon le sublime Anaxagore de Clazomènes, peut-être le premier hérétique de l’Histoire. Un fameux concept, ce Noûs qui possède « le savoir parfait » et aussi « la plus grande puissance ». Plus besoin d’une pléthore de dieux avec ce principe créateur et régisseur du Tout. Le Noûs est la cause première, le premier principe ainsi que le moteur de toutes choses. Il fait tourner l’Univers et par ce mouvement de rotation il provoque la différenciation des qualités qui sont dans la matière primordiale, la masse initiale, humide, sec, chaud, froid, obscure, brillant, et bien d’autres encore. En termes différents, il créé les dualités, germe ou extension des qualités « élémentales ». Anaxagore parle de « discrimination », et une fois les discriminations opérées se produisent des « condensations », par exemple les pierres se condensent à partir de la terre sous l’effet du froid. Initialement concentré en un point infime, ce qui ne manque pas de nous interroger, une fluctuation quantique du vide subissant l’inflation ? le Noûs diffuse dans tout, pénètre tout, organise tout, du cosmos aux organismes vivants. Il « amalgame » et « combine », précise Anaxagore. « Et les êtres qui ont une âme, qu’ils soient petits ou grands, sont tous dominés par l’Esprit », conclut-il. Ah ! Quel esprit Anaxagore ! L’un des plus beaux de son siècle, avec Empédocle évidemment ! Il fut peut-être le premier physicien de l’Histoire et un grand géomètre aussi. Il aurait pu « incarner » à lui tout seul le Noûs, l’intellect. Pour le moins, il en fut son ambassadeur insigne. Il a introduit le mouvement dans l’Univers et en a extirpé les dieux. Bon ! Pour faire simple on peut dire que pour les Grecs anciens l’Empyrée c’est à la fois le feu primordial et le Noûs. Pour les chrétiens du Moyen Age l’Empyrée, donc héritage des Grecs, c’est la demeure de Dieu, son palais, on l’a dit et c’est entendu, mais c’est aussi « le séjour de gloire », et là les choses vont se compliquer singulièrement…aux alentours du siècle treize de leur ère à eux, les chrétiens. On va s’énerver beaucoup au sujet de qui peut séjourner en gloire et dans la contemplation béate de Dieu. A chaque époque ses questionnements et ses irritations ! Dieu « gère » l’Univers à partir de l’Empyrée. L’Empyrée en tant que « siège régitif de l’Univers et de tout ce qu’il contient » (30), c’est là une formule que j’aime bien, et qui plus est tout le monde est d’accord là-dessus. Mais l’Empyrée c’est aussi la maison des anges, créatures célestes donc immatérielles, et possiblement des bienheureux, créatures d’origine terrestre donc matérielles. C’est sur ce point qu’il y a controverse. Certains, qualifiés de néoplatoniciens ou aristotéliciens pour leur lecture des penseurs arabes, Averroès et Avicenne (31), envisageaient une relégation relative des saints, de nature moins parfaite que les anges, dans la sphère aqueuse ou la sphère cristalline, je ne sais plus très bien. D’autres, les Augustiniens tenants de Saint-Augustin comme leur nom l’indique, estimaient que les saints étaient autant dignes de loger à l’Empyrée que les anges et donc de bénéficier de la même gloire qu’eux. Ce sont ces derniers qui ont gagné (32). « L’ordre surnaturel ne répond pas aux lois cosmologiques mais au dictat de la loi de grâce », c’est-à-dire à la volonté divine. Bon ! Pour en revenir à Hildegarde et à la deuxième vision du « Liber operum », l’Empyrée c’est la feuille d’or de la page et même l’en dehors de la feuille d’or puisque Dieu déborde. L’Empyrée c’est l’Infini. A partir de la troisième vision, le grand chantier de la Création étant terminé, ça n’a plus vraiment d’importance. Dieu est partout. L’Univers est Dieu, et Dieu est l’Univers et son au-delà. Voilà ! Encore une chose peut-être. Vernadsky et Teilhard de Chardin se sont emparés du Noûs, qui s’écrit également Noos, pour imaginer leur noosphère.

    Eh bien ! Pour quelqu’un qui se réclame d’un anticléricalisme enragé et d’un iconoclasme ravageur, vous en avez un vraiment gros sac de bondieuseries et d’images jubilatoires vous aussi ! m’exclamai-je en faisant à mon tour le goguenard. Ah la Grèce ! Europe lui doit à peu près tout, et pour le reste c’est à l’Arabie qu’elle le doit, et vous avez mentionné à juste titre certains grands esprits d’El Andalous, Averroès et Avicenne, philosophes et médecins tous deux, entre autres. Qu’est-ce qui peut expliquer la rage d’Europe, et d’Allemagne surtout, « Bloody Germany », à l’égard de leur mère, la Grèce ? Il y a dans cette hargne assassine, et peut-être l’ai-je déjà formulé, quelque chose qui pourrait relever du complexe d’Électre (33), le désir de se débarrasser définitivement de cette rivale en intellect qu’est la superbe mère des sciences et des arts. Je parle d’Allemagne surtout, or sur ce chapitre de l’intellect Allemagne s’est castrée elle-même, il y a bien longtemps maintenant. L’université de Göttingen, au passé si brillant, n’est plus qu’un spectre à la triste opacité (34), fantôme du Savoir et de la Création, tout particulièrement en Physique avec l’hémorragie de ses chercheurs juifs au plus sinistre de ses temps à elle, Allemagne. Et sa philosophie, dont elle se targue tant, ne pose qu’un bien pauvre regard sur notre présent et n’éclaire plus rien d’important, pour nous qui les subissons tous deux, Allemagne et le présent. Et puis quel est le chant de ses poètes ? « d’eulx n’est-il plus rien maintenant » ? Non ! Allemagne et son maître la Mort ont étranglé la Grèce mais elles ont échoué à effacer de notre mémoire la magnificence de ses chants à elle, la Grèce. Pire, Europe a fait de Lesbos, l’antique et puissante Mytilène, un sinistre camp de concentration, tandis qu’Allemagne continue de loucher salement sur le petit mais gras cheptel des îles apolliniennes.

    J’ai en tête quelques belles images entraperçues ici ou là, dont certaines venues d’Allemagne, mais d’une Allemagne d’un autre temps, charnière entre le Moyen Âge et la Renaissance, la création du monde selon la chronique de Nuremberg par exemple (35), montrant un ciel empyréen non pas « embrasé de feu » mais incroyablement surpeuplé, une « tessellation » composée des neuf ordres d’anges qui enrobe comme un cocon plumeux le Créateur assis sur un large trône d’or et qui contemple Sa création, la Terre du septième jour enveloppée de sphères telles les peaux d’un oignon. L’Empyrée est ici une coquille, la sphère supérieure, le plus haut des cieux certes mais il est FINI…sauf peut-être pour Hildegarde von Bingen, si j’ai bien compris. J’en déduis que l’empire du Noûs, l’Esprit, le principe premier, qui est sans limite, donc INFINI, l’emporte sur le royaume du dieu des chrétiens qui, lui, est fini. Par ailleurs, le Noûs, principe premier de l’univers d’Anaxagore, ne peut que me rappeler Brahman, le principe créateur du Védisme. Je dois m’en excuser. Brahman est à l’origine de tout et du Tout, comme on l’a vu, au moyen de la Mâjâ, son énergie qui travaille la Pradhâna, matière syncrétique primitive, de même que le Noûs pénètre la matière primordiale pour la différencier et par la suite, après les avoir « amalgamées » et « combinées », il pénètre toutes les choses issues d’elle. L’esprit leur est donc ainsi insufflé. « Et les êtres qui ont une âme, qu’ils soient petits ou grands, sont tous dominés par l’esprit », énonce et confirme Anaxagore. Le Noûs est l’intelligence universelle et individuelle tout à la fois. Brahman est l’âme universelle dans laquelle se fond l’âtman, l’âme individuelle. Dans les deux cas, le microcosme est un reflet, ou mieux, un modèle réduit du macrocosme. Mais, l’Univers n’est qu’une illusion distrayante pour Brahman, alors que le Noûs parait répondre à une exigence rationnelle. Voilà, je pense avoir tout dit ou à peu près sur ce sujet.

    Il est toujours beaucoup question de l’éther et fort heureusement Allemagne n’a rien à voir là-dedans. Hésiode, le berger auquel les Muses de l’Hélicon si bien dansantes et si bien chantantes ont donné un bâton d’olivier et inspiré « le chant mystique », donne à Éther le nom de « Feu d’en-haut » et nous dit qu’il fut le fruit, avec « Lumière du jour », des amours de l’infernal Érèbe, fils de Faille, le chaos primordial, et de la « Nuit toute noire ». C’est tout et c’est peu ! Hygin, dans la préface de ses fables, lui attribue par voie d’incestes répétés une très large descendance, Gaia, la Terre, Thalassa, la Mer et Ouranos, le Ciel, « Ex Aethere et Die Terra Caelum Mare » (36) et puis des passions bien humaines, des fleuves, des Titans ainsi que les terribles Erinyes. Il est surprenant que les créatures divines et/ou célestes aient besoin de descendance, ce qui dans les premiers temps ne peut se faire que de manière incestueuse, et ça peut choquer les bien-pensants, évidemment. Mais comment faire autrement dans les premiers temps, je veux dire matériellement ? Ils n’ont que des frères ou des sœurs, des mères ou des filles, sous la main. Non ! Moi ce qui me choque c’est que les dieux, ou les créatures célestes de quelques natures qu’elles soient, ressentent le besoin d’une progéniture, et puis aussi, mais je l’ai déjà dit, qu’ils/qu’elles veulent être adorés. Ça n’a aucun sens ! Pareil pour le christianisme. Dieu a besoin d’un fils à partir d’une femme. Vishnou ne dit pas que Krishna est son fils, pour une raison bien simple, Krishna est Vishnou. C’est bien suffisant comme ça. Krishna est une incarnation de Vishnou. On me dira que le Christ aussi est une incarnation de Dieu, qu’il est Dieu lui aussi. Oui ! Mais pourquoi passer par une femme, et finalement en faire une déesse ? Dans tous les cas, tous veulent être adorés, Vishnou, les dieux Grecs, celui des chrétiens, celui des Mayas, tous. Ça je ne comprends pas ! Peut-être que ce besoin d’amour est un pur accident, une conséquence inattendue, tout comme la progéniture pléthorique et monstrueuse, car au début ça me parait être trivialement sexuel tout ça. Chez les Grecs, les dieux je veux dire, il n’y a que le sexe qui parle ! Mais la sexualité chez les dieux ? Ils sont tous beaucoup trop humains les dieux, beaucoup trop ! Ceci veut bien dire que ce sont les Hommes qui ont fabriqué les dieux et non pas l’inverse. Bon ! Toujours est-il il faut attendre Aristote pour éteindre le « Feu d’en haut » et puis aussi pour réintroduire de la pureté dans le Ciel, et il en avait vraiment besoin le ciel, car avant Aristote rien n’était évident. L’éther est-il du feu, un feu grossier, ou de l’air un peu surchauffé, mais très très pur, un air que seuls les dieux sur le mont Olympe peuvent respirer avant qu’ils ne cèdent la place aux bienheureux du christianisme, une catégorie de l’air seulement ou un élément à part entière, la quinte essence, fixe ou en mouvement ?

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    (1) Cinquième postulat d’Euclide : « Si une droite tombant sur deux droites fait des angles intérieurs du même côté plus petits que deux [angles] droits, ces droites prolongées à l’infini, se rencontreront du côté où les angles sont plus petits que deux [angles] droits ».

    (2) Référence à mon texte « Les laboureurs », premier chapitre de « La chute d’Icare » où je raconte ma première rencontre avec le Maître en modernité.

    (3) Voir le texte sur Kazimir Malevitch, l’un des longs chapitres de « Particules et Icônes ».

    (4) Voir le texte « De la Physique à la Métaphysique », extrait de « Particules et Icônes » paru dans Tiens etc.

    (5) La Tessellation se définit comme étant la décomposition d’une surface en parties régulières découpées, les tesselles, sans recouvrement aucun. C’est le cas d’une terrasse dallée ou d’une mosaïque.

    (6) « All-over », partout. En peinture, il s’agit de couvrir la totalité de la toile avec des motifs, répétitifs ou non, mais plutôt plus ou moins répétitifs, sans blanc de réserve. Le « All-over » est l’un des principes de l’Expressionnisme abstrait Etats-Unien.

    (7) Toutes les citations de Mauritz Escher, ainsi que celles de Bruno Ernst, sont tirées du livre de Bruno Ernst « The Magic Mirror of M.C. Escher » (Bruno Ernst-1978, Taschen-2018).

    (8) Les géométries non-euclidiennes reposent sur tous les axiomes et postulats d’Euclide sauf le postulat des parallèles (cinquième postulat) dont il a été question plus haut. Leurs véritables introducteurs sont les mathématiciens Nicolaï Ivanovitch Lobatchevski (1792-1856) et János Bolyai (1802-1860).

    (9) Une géodésique est le plus court chemin entre deux points dans un espace non-euclidien, par exemple une sphère.

    (10) Maria Isabel Binimelis Bassa - « Une nouvelle manière de voir le monde - La géométrie fractale » (RBA Colleccionables - Le Monde est mathématique - 2011).

    (11) Le Simurgh est un oiseau fantastique de la mythologie persane.

    (12) « House of Stairs », La maison des escaliers, lithographie (1951).

    (13) Voir le texte « Spirales » paru dans Tiens etc.

    (14) Une homothétie est une transformation géométrique correspondant à une augmentation ou à une réduction à partir d’un point fixe externe à la figure objet de la transformation.

    (15) Le gestaltisme est une autre dénomination de la psychologie de la forme, gestalt signifiant la forme.

    (16) Technique de gravure en taille-douce qui ne fait pas appel aux traditionnelles hachures tout en jouant sur toutes les nuances entre le noir et le blanc.

    (17) Le tétraèdre a quatre faces, l’hexaèdre a six faces, l’octaèdre a huit faces, le dodécaèdre a douze faces, et l’icosaèdre a vingt faces.

    (18) C’est-à-dire les orbites.

    (19) Le « nombre d’or » est une proportion mythique en géométrie depuis la Grèce antique et qui a été amplement utilisée par les artistes de la Renaissance, en particulier Léonard de Vinci et Sandro Botticelli, et qui peut se définir comme suit : ( a+b)/a = a/b soit à peu près 1,618. Cette proportion, dite divine, renvoie à la beauté et à l’harmonie du Monde, à peu près figurée par l’Homme de Vitruve de Léonard. On a recherché ce nombre partout dans la Nature, des pommes de pin aux galaxies spirales, et on a voulu l’appliquer dans à peu près tous les domaines, mathématiques, architecture, musique etc.

    On le désigne par Phi en hommage au divin Phidias, le sculpteur grec tout aussi mythique que le nombre.

    (20) Giorgio Vasari (1511-1574) est un peintre et architecte toscan, ami de Michel-Ange, qui peut être considéré comme le premier historien de l’Art, tout du moins en Europe. Son livre « Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes », ou plus simplement « Vies des artiste », dont la première édition date de 1550, est une énorme biographie de tous les artistes italiens depuis le Trecento jusqu’à la Renaissance.

    (21) « La bataille de San Romano » est un gigantesque triptyque représentant, comme son nom l’indique, la bataille qui opposa les Florentins aux Siennois en 1432. Aujourd’hui le triptyque a été dispersé entre la National Gallery, le Musée du Louvre et la Galerie des Offices.

    (22) Oscar Reutersvärd (1915-2002) est un artiste suédois qui a travaillé précocement sur les objets impossibles ce qui lui a valu le qualificatif de « père de l’impossible ».

    (23) Dans mon texte « Vanités » j’écris à propos de l’anamorphose : « Bien que déstructuration violente, l’anamorphose est à la fois un jeu, un tour de magie, et une interrogation préscientifique sur la perception et ses composantes. En apparence désordre absolu, elle se distingue totalement de l’entropie en ce qu’elle est réversible, c’est-à-dire que sous certaines conditions l’image se reconstitue dans toutes ses dimensions… ».

    (24) Première édition à Bâle datant de 1494.

    (25) Cristal Symmetry and its generalizations (La symétrie cristalline et ses généralisations).

    (26) Henri Poincaré - « La Science et l’Hypothèse ».

    (27) Référence à Sigmund Freud et à ses « Cinq psychanalyses », dont « L’Homme aux loups » (extrait de l’histoire d’une névrose infantile) et « L’homme aux rats » (remarques sur un cas de névrose obsessionnelle).

    (28) Rapporté par Aristote dans sa Physique.

    (29) André-Jean Festugière - « Études de philosophie grecque » (Vrin - Bibliothèque d’Histoire de la Philosophie - 1972).

    (30) Isabel Irribarren - « L’Empyrée et ses habitants au Moyen Âge » (Revue des sciences religieuses - Dossier « Cosmologies » - 2017).

    (31) Averroès (1126-1198) et Avicenne (980-1037) réintroduisent la pensée d’Aristote en Occident, pour faire court, très court.

    (32) Condamnation de Paris de 1241-1244 lancée par l’évêque Guillaume d’Auvergne (in « L’Empyrée et ses habitants… »).

    (33) Équivalent du complexe d’Œdipe pour la fille selon Carl Gustav Jung, très contesté par Freud car la mère ne peut détenir en aucune façon le poids symbolique du père.

    (34) Référence au vers de Stéphane Mallarmé « Cette foule hagarde ! elle annonce : nous sommes la triste opacité de nos spectres futurs » extrait de « Toast funèbre ».

    (35) « Liber chronicarum » (livre des chroniques) écrit par Hartmann Schedel et publié en 1493 à Nuremberg par Anton Koberger, parrain d’Albrecht Dürer, encore lui.

    (36) Caius Julius Hyginus dit Hygin (67 avant-17 après JC) - « Fabulae-praefatio » (Bibiotheca Augustana).

     

     


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