• Carnet de veille (octobre 1993)

     Jean-Claude Leroy

    Carnet de veille (octobre 1993)À 4 heures du matin, je venais de me lever pour voir à la fenêtre d’où venait le bruit régulier qui m’empêchait de dormir — c’était le chantier nocturne d’une maison en construction, et, au moment de m’asseoir sur le lit, il y a eu une secousse. J’ai eu peur. Tout de suite j’ai pensé à un tremblement de terre et j’ai attendu d’autres secousses qui ne sont pas venues. J’ai appris ensuite que l’épicentre se situait dans le Karnakata où il y a eu 2000 morts. Je me souviens de ce qui m’a rassuré dans la nuit, le chant des oiseaux, quand il a repris.


    Tiruvanamalai, où le mont Arunâchala n’est autre que l'axe du monde. En haut je me rends compte qu’il est un sommet plus haut encore, que cache le premier, sur lequel je me tiens, vainement. Alors qu’on grimpe, la tête se vide et tourne, le vertige prend et pousse vers le haut. De la pierre la plus élevée j’observe la géométrie de la ville, les neuf gopurams du temple ressemblent à des pâtisseries orientales… Un peu d’eau dans la courbe d’un rocher ombragé, les libellules et autres insectes ailés viennent y boire. De grosses fourmis courent autour de mes pieds trop nus. Deux petits lézards jouent à se poursuivre, le second a la tête couleur minium.


    Visite du grand temple à l’heure du soleil tapant. Les pierres chaudes sur lesquelles la plante des pieds cuit. L’éléphant attractif, les bassins aux corps nus, les brahmanes endormis à l’ombre des piliers.


    Grimpette à couper le souffle (durant laquelle j’ai noté le paragraphe avant le précédent). Le ciel se couvrant de plus en plus, laissant filtrer quelques rayons en fin d’après midi. Les nuages avançant avec leur zone d’ombre au-dessus de la plaine, je voyais leurs mouvements de l’altitude où j’étais. J’ai bu l’eau qui courait d’un rocher, elle était fraîche. Quelques singes vaquaient sur un pan de la colline… Les terres pierreuses, la végétation courte mais bien verte… Je rentre à 18 heures à l’hôtel, repus, content.


    Ce matin le tour de la montagne, à pied. Une douzaine de kilomètres sous le soleil, heureusement que certains tronçons du parcours sont ombragés. Beaucoup de bassins, de point d’eau, de petits temples, et des marcheurs pèlerins qui vont comme moi au rythme des chèvres, au long de la route. Avalé d’affilée deux lassis bien frais au retour.


    Ce soir j’ai visité le temple une seconde fois. À une meilleure heure qu’hier. Le soir tombant sur les bassins, l’hymne aux lumières en haut des plus hauts gopuram, la musique des cérémonies dans les salles, l’odeur et la joie paisible.


    Rêve dépaysant. Ça aurait pu se passer à Tiruvanamalai, mais ce serait sans doute trop simple. Enfin un rêve où je rencontre des gens qui ne ressemblent à personne que je connaisse. Un vieux prêtre artisan, une femme singulière, intéressante non par son charme physique mais par bien d’autres attraits. Malheureusement je ne garde en mémoire qu’une sensation, je ne peux en décrire davantage. Et même cette sensation, elle m’échappera d’ici demain. Sauf ces quelques lignes qui me serviront d’interrogation, d’énigme.


    Madras. Une chambre bon marché dans un hôtel près d’Egmore station. Dans le quartier aux mille ruelles, y marchant pour m’y perdre, j’ai vu des bicoques miséreuses et des gens à la porte, des enfants jouant à la balle, des vieux lisant un journal, des bavards bavardant – il était trois heures de l’après-midi. Et surtout un grand calme de campagne en plein cette ville de 5 millions d’habitants. Et la présence d’animaux : vaches, chèvres… Calme, même dans les rues plus larges, car c’est dimanche et c’est l’heure de la sieste.
    Cette ville, quelques artères vouées à l’automobile, dont certaines très commerçantes, très modernes, séparent des quartiers qui semblent chacun des carrés villageois où le rythme contraste avec celui qu’inspire la frénésie des grands pôles. Madras ne donne pas comme Bombay l’effet d’une grande métropole. Ici, peu de tentations verticales mais un gros bourg étalé dans la campagne, avec quand même quelques abcès vers Anna Salai, Marina Beach… Je me souviens de mon malheur piétonnier d’il y a trois ans : je marchais sans jamais pouvoir rejoindre le lieu que j’avais choisi, les routes me conduisaient où elles voulaient, tant il est difficile de passer d’un axe à un autre, à pied. On est donc condamné à emprunter les transports à essence.


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