• Comment l'artiste (Pascale Moquet-Lelong…)

     Enquête sur l'artiste, Tiens n°6

     

    “Je ne sais vivre seul * et mourir encore moins” 

                                 ( Extrait))

     

    [...] L’homme seul n’existe pas. Et si l’artiste, ici présent, est peut-être voué à se faire des trous dans le Seul toute la vie, ce ne sera que pour mieux percer l’individualisme qui le vêt la nuit, et mieux mettre ainsi à nu sa différence de vue devant celle d’Ôtrui. Car, finalement, mourir de co-vivance est l’œuvre secrète de l’artiste, et qui, contrairement aux idées reçues, n’a d’amis que pour conjouir, et non pas compatir, de sa disparition en marche. Cette conjouissance de sa disparition en œuvre est une forme de réclame pour la vie ensemble.
     

    Les ensembles perdent leur temps

     

    La notion d’ensemble est une forme de vie qui, pour l’artiste actuel, reste difficile à fabriquer comme à traire. L’artiste se défie des ensembles, même si celui-ci a conscience qu’esseulé dans son activité, il est soumis, pour la diffusion de son œuvrée, aux lois drastiques d’un marché de l’art institutionnalisé, et donc comme l’a signalé plus haut, effacé illico presto de la carte du milieu, et cela avant même d’y avoir laissé son humble trace. Son absence risible dans l’ensemble du milieu ne le fait pas renoncer cependant à Ôtrui, et encore moins à son art périphérique. Ses trente ans le font surnager un moment dans la position d’un suspens temporaire, dans une posture d’ultra-réceptivité. Il se met sur écoute, s’instruit doucement du monde qui l’entoure, cherche sa temporalité, son Temps dans cette fraction furieuse et permanente du temps. L’artiste expose une seule fois seulement, sept ans après sa sortie de l’école d’art (expérience d’un autre ensemble, mais qui avait le mérite d’attiser les contre-feux), se leurre et vend à cette occasion juste de quoi reconduire une grève contre le temps despotique du marché de l’art, contre son faux-semblant de révolution avant-gardiste. Comme il fait grève contre le temps de sa famille (rien ne va plus !) et sa formule mari-enfants despotes. Comme il fait grève encore contre le temps des machines économiques et mondialisantes, ces centrifugeuses du temps singulier des âmes, pour se connecter finalement sur l’ensemble de la grève des chômeurs. Voilà en définitive son seul statut social : gréviste et chômeur contre le temps qui n’a plus le temps. Car l’ensemble de la société qui l’habite tend toujours, et cela malgré la bonne volonté de ceux qui la constituent socialement, vers le corporatisme, l’endoctrinement, l’asservissement, vers une certaine effraction de l’individu libre de son temps, lui bafouant ainsi sa dignité. Et l’artiste, comme tous les hommes, est allergique à ce qui veut faire de lui un chien en laisse du temps économique, ou un valet de la pensée du temps d’Ôtrui. Il préférerait être apa­tride du temps plutôt que soldat du temps de la na­tion. Et il n’est pas peu fier de cette traîtrise tempo­relle. Peut-être n’est-il jamais réellement revenu de cette localité gluante de son histoire, parce qu’il ne se souvient que trop bien des brimades et violences familiales qu’il crut devoir subir, sous prétexte d’une enfance-soldatesque placée sous l’autorité absolue et incontestable de l’ensemble sacré du temps de la fa­mille. L’artiste jette un œil sur l’étymologie de famille, du terme de cet ensemble Primal : famille, du latin familia, dér. de famulus, “serviteur”. Tout est dit. L’artiste est peut-être vierge de ces fameuses expé­riences collectives fortes, politiques et guerrières du temps de l’histoire en direct, qui ont transformé notre vingtième Siècle finissant en un incommensurable charnier humain où croupissent encore dans leur crème les cadavres aphones, mais il n’est pas pour autant (lui semble-t-il) dénué de conscience collective du temps présent, et encore moins de conscience historique du temps passé. L’artiste lit autant dans les livres d’histoire qu’il lit dans les viscères arborescents de sa généalogie actuelle. D’où son extrême aptitude à la défiance envers les en­sembles politiques qui se font fort du jeu de l’héritage de l’histoire, et qui sous couvert de la mission divine de la grande famille nationale, cultivent hysté­riquement leur lopin ancestral. A cet égard le FN a tout à fait compris cette règle du jeu du libre usage du national*. L’artiste ne va pourtant pas s’embriga­der dans une corporation politique adverse pour se donner l’impression de constituer un contre-pouvoir. L’artiste l’a dit plus haut : l’adhésion au corporatisme est exclue. S’attacher pour lui à rester libre, indépen­dant dans sa langue étrangère d’expression, l’art du trou du Seul, c’est autant faire front contre ce qui n’a de cesse de vouloir l’exclure. Le peut-il seul ? L’artiste est demeuré, ou idiot, certes, mais pas Naïf. L’artiste travaille le trou du Seul vers Ôtrui, le trou du temps indépendant, le trou d’une certaine individua­tion libertaire, mais pas le trou de l’individualisme forcené, plaie de l’égoïsme. L’artiste veut bien faire l’associé. Cela demande à l’artiste de s’attaquer en premier lieu à son ego, et à tout ce qu’il racole malgré lui au passage du temps oppressé du système comme saloperies fascistes. Il n’est pas exempt, lui non plus, de véhiculer des saloperies de cet ordre. C’est pour­quoi se coaguler en ensemble un peu dada prout prout cadet, pour l’artiste, peut-être la bonne manie à prendre pour se prémunir des détournements de son âme vers l’abjection. Rien n’est moins sûr, mais cette mise à distance critique produite par l’ensemble dada (...), terriblement nécessaire pour l’artiste, doit valoir pour l’ensemble même. C’est une distance respon­sable à charge de chaque individu qui compose l’en­semble. L’artiste a à se protéger de lui-même, sans doute le peut-il par l’ensemble, c’est à dire par une autre sortie de lui-même. Faire résistance contre, c’est se devoir de résister tout d’abord à ses propres résis­tances à certaines choses. Alors qui sait, l’artiste verra peut- être moins sa vie locale de l’intérieur de son bocal passif, et plus par l’entremise de sa focale active.

     

    Le compteur électrique de l’art politiquement-engagé pète les plombs

     

    Prétendre que le bricolage électrique de l’artiste est politiquement Neutre, réduit à la prise de terre, qu’il met à l’abri de je ne sais quelles électrocutions ab­jectes et déviantes, de type réactionnaire, néo-fas­ciste, ou encore humano-moralisatrices, est une pan­talonnade de recyclage. L’art est en prise directe avec les ondes telluriques de la politique, et l’artiste ne cesse d’être traversé par ses courants. C’est entendu, et il n’est donc nul besoin de s’y vautrer, nager là-dedans est déjà tout un art. Les engagements politico-esthético-sentimentalistes en tous genres de ses “confrères”, le font, à tort, ou à raison, dégueuler parfois de honte. Cette hystérie propagandiste de la misère esthétisée du monde est la négation de l’­homme. Cette “forme d’art” le révulse. L’artiste n’est certes pas parfait lui non plus, mais il aspire par derrière lui, malgré toute cette confusion de l’âme empêtrée dans les méandres des réseaux électrico-politiques , à renaître de ses jeunes cendres en se faisant péter les plombs de temps à autre par le Sien propre. Ce qui peut faire de lui un taureau de l’arène sociétale, une magnifique bête à percer. Alors, OOOlé! Et bonne chance au torero.

     

    L’artiste associé, au bar après minuit

     

    “(...) Aux centres nous alimenterons la plus cynique prostitution. Nous massacrerons les révoltes logiques. / Au revoir ici, n’importe où. Conscrits du bon vouloir, nous aurons la philosophie féroce (...); / la crevaison pour le monde qui marche (...)”**

     

    Pascale Moquet-Lelong***

     

    *  : Mallarmé. 

    ** : A. Rimbaud in Démocratie.

    *** : Artiste en tous genres, vit et travaille en Loire-Atlantique

     


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