• Dans le pinceau du phare

     Julien Bosc

    Dans un jardin, en vis-à-vis, ou d’un côté l’autre de la haie – où les houx, les chèvrefeuilles et les ronces.

    Ou sur une route, d’un même pas, à bord de nuit.

    Ou sur un parterre de feuilles mortes, gravissant la sente qui conduit au plateau d’où sont visibles les monts enneigés d’Auvergne et du Cantal. Et, au mitan d’une autre saison, les cytises – à perte de vue.

    Ou l’un ou l’autre, seul, assis à une table, face au mur ici là lézardé par qui sait quel coup.

    Ainsi, un échange – à l’heure de minuit :

     

    — Où êtes-vous ?

    — Dans un lieu-dit.

    — Où est-il ?

    — À mi-chemin de la brande et des contreforts ; entre la montagne et la mer ; là où la combe et la coudraie calcinée ; le puits et le tourment du verbe.

    — Que faites-vous ?

    — Rien. J’erre, je marche. J’attends.

    — Le jour ? La nuit ? La première jonquille ? Le vent et la feuille emportée par le vent ?

    — Rien. L’épaufrure de la pierre ; le bateau à quai ; l’oubli et, par après, le vertige de l’oubli ; la mouette égarée ; le biseau du caillou ; le chant ; l’iris ; la paupière sur l’iris et la terre sur la paupière et puis rien ; l’acidalie sous la lampe ; rien qu’ici et là, à porté de main, la nuit – ou sa promesse.

     

    À ce moment-là du dialogue, la fenêtre céda.

    Il y eut des éclats de verre sur la table, et, pulvérisés, les pétales d’une fleur de cerisier.

    Au loin, le bruit des vagues, des traces de pas sur la plage – dessinant un cercle replié sur lui-même, en boule, tel le noyau du cercle.

    Or rien. Ni un mot. Ni le burin, la laie ou la hache.

    Et le chant du milan ou de la hulotte à peine.

    Puis de nouveau cette voix, sur le fil, s’accrochant tant bien que mal :

     

    — De quoi la maison est-elle faite ?

    — De pierre et de chaux, d’une charpente en chêne et d’un toit d’ardoise.

    — Pourquoi à la lisière de la boulaie et des sources ?

    — Pourquoi l’exil ? La solitude ? Vous et moi, ici, sur le seuil ? La mer très loin et pourtant la mer, jour et nuit, avec ou sans le vent dans les arbres ? Pourquoi la mer ? Le sable du désert ? Et le granit et la dureté des os — brisés ?

    — Mais où la mer, où le désert ?

    — Ici et là, au guet dans la luzerne ; dans le dais de brume qui surplombe le lacis de la rivière ; dans le torrent serti dans la glace, le sifflet de la faux et les brans du tilleul ; dans ma main à l’heure des métamorphoses qui, ici, ici seulement, épousent l’envers du décor.

    — Ainsi le lieu-dit ?

    — Tel un non-lieu, oui. Où être, tant bien que mal, à son corps défendant, envers et contre soi. À l’écart. Malgré la peine. Et la solitude, les louvoiements du chant.

    — Qu’écrivez-vous ?

    — Le tourment d’un récit.

    — Quel récit ?

    — Celui d’une attente.

    — Laquelle ?

    — Celle du feu. Et du feu dans le feu dans ma tête.

    — Est-ce lui, là-bas, au loin – le feu ?

    — Oui, tel le coup de balai du phare.

    — Quel phare ?

    — Le phare au milieu du village, à l’extrémité du môle – battu par les songes.

     

    Lors, l’heure sonna de l’aiguail sur les arbres et l’herbe du jardin.

    Il fallut fermer les contrevents, verrouiller la porte, remonter l’horloge et, pour la énième fois, l’escalier qui conduit sous les combles.

     

    Forger la nuit

    Écrire

    Ici

    Sur un plateau de chêne

    Le corps ancré – aux frontières de l’erg viride

    Écrire – si possible

    Sinon attendre

    Errer

    S’il le faut

    Abattre le mur

    Et

    À mains nues

    Creuser le verbe

    Et rien

    Hormis le sirli, le goéland ou la buse

    Ou le rouge-gorge

     

    Dans le creux d’un hêtre.

     

    Julien Bosc

    in Géotopoét(h)ique du territoire de la Creuse,
    Jean-Paul Ruiz Éditeur, 2011

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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