• De la mine à la dynamite, les anarchistes de La Bande noire

     Jean-Claude Leroy

     

    De la mine à la dynamite, les anarchistes de La Bande noireQuelques années après la Commune de Paris, les révolutionnaires étant longtemps restés tenus à distance au bagne, en Nouvelle Calédonie, et la plupart amnistiés en 1880. Mais aussi quelques années avant les attentats meurtriers qui donnèrent à l’anarchisme un déplorable visage de violence aveugle. C’est donc en 1882 que débutent, dans un pays de charbon, Montceau-les-Mines, cité concurrente du Creusot, sous forme de la destruction d’une croix édifiée, de l’incendie d’une chapelle, les agissements de la Bande noire. Les jeunes travailleurs de la mine n’en peuvent plus de leur esclavage et des sermons des gens d’Eglise, notamment ceux du curé Gaulthier, allié zélé de Léonce Chagot, le patron tout puissant, longtemps maire de la commune. Les maisons où ils vivent appartiennent à la compagnie minière, elle régit tout, et ils sont sans cesse sous surveillance des ecclésiastiques de tout poil, des délateurs familiers. Cela est trop.

    Un mouvement de grève sévèrement réprimé n’a pas laissé d’autre issue qu’une organisation secrète des mineurs révoltés, la société secrète s’appelle La Mariane, mais les autorités, qui la connaissent déjà, la surnomment La Bande noire. Dans cette même région, Jean-Baptiste Dumay, ancien communard, se lance dans la politique, il prône désormais la révolution par les élections, adhère au Parti ouvrier socialiste révolutionnaire. Plus tard il rédigera un livre de mémoire remarquable réédité il y a quelques années (Souvenirs d'un militant ouvrier, éditions Cénomane, 2010). Des chambres syndicales naissent. Un organe de presse, Le Droit social, est créé à Lyon. Également La Tenaille, organe des travailleurs de Saône et Loire et des comités révolutionnaires de Paris, l’hebdomadaire L’Etendard anarchiste, sans compter Le Prolétaire« Tous les ingrédients sont réunis pour que la cocotte sociale explose. […] Il ne manque plus qu’une étincelle pour mettre le feu aux poudres. » Gaulthier, décidément, est une sorte d’étincelle glaçante, sa manie de consigner les noms des ouvriers rétifs à la religion aboutira, par exemple, au renvoi de nombre d’entre eux.

    Pas étonnant qu’un jour une croix soit renversée, que la statue de Notre-Dame soit dynamitée, l’exaspération aussi a un prix. Moment d’émeute à Montceau-les-Mines, des dizaines d’hommes sont impliquées, un armurier est dévalisé, les rebelles sont en armes, et le joug de la révolte semble soudain porté par tous. Les attentats à la dynamite commencent à viser les domiciles des individus, contremaître de la compagnie ou maître mineur. A chaque fois plus de peur que de mal. Par ailleurs, ces agissements nocturnes sont diversement commentés dans la presse. Dans L’Intransigeant, Rochefort, le célèbre journaliste, ancien Communard et futur boulangiste, écrit : « Ce sont les patrons qui ne récoltent l’émeute que parce qu’ils ont semé la misère. » Dumay ne regarde pas cela d’un si bon œil, il semble ou fait semblant de soupçonner des manipulations, voudrait sans doute que tout s’arrange par son biais. C’est lui qui s’éloigne finalement de la région où il avait perdu de son crédit, pour devenir député à… Paris.

    « …selon les historiens “déterministes“, les attentats à la dynamite de la Bande noire sont soit le fruit de manipulation policière pour justifier la répression du “vrai mouvement ouvrier en construction“ (avec les chambres syndicales), soit une pratique immature, voire criminelle, qu’il convient de condamner sans appel. Pour eux, il n’existe qu’une seule Bande noire – ce qui permet de l’exclure plus facilement du mouvement ouvrier. Le moins qu’on puisse dire est qu’une telle interprétation s’éloigne d’une approche historique “scientifique“. »

    Yves Munier, auteur de La Bande noire, nous rétablit la chronologie détaillée de cette période particulière, où l’on voit que rien ne va si simplement, que la répression est forte, les humeurs variables comme le courage, et qu’il faut à tout prix continuer à vivre comme à se battre.

    Comme l’affaire produit un certain écho on craint par endroits qu’elle ne se propage à travers d’autres exemples de rébellion. Des arrestations surviennent jusqu’à Paris dans les milieux anarchistes. Dans ce même temps, à Lyon, la police met la main sur Kropotkine. Les autorités veulent infliger des « peines exemplaires pour mettre un terme à la menace d’insurrection sociale ». Les procès des protagonistes de la Bande noire débouchent effectivement sur des peines sévères, de quelques années d’emprisonnement à vingt ans de travaux forcés.

    … si l’« ordre Chagot » n’est pas tombé après l’émeut de 1882 et a résisté aux assauts des groupes anarchistes […], c’est peut-être parce que ceux qui avaient un certain ascendant sur les ouvriers (Dumay et consort) n’ont eu de cesse de condamner le recours à la violence, contribuant ainsi à la criminalisation du mouvement ouvrier. Pour ces socialistes, seuls comptaient les élections et les mandats qui allaient avec. »

    « Aujourd’hui comme hier, c’est le recours prolétaire à la violence qui est condamné – l’État étant le seul à en avoir le monopole physique et moral. Et il est de bon ton d’enterrer la lutte de classe et de clamer haut et fort que la classe ouvrière a disparu. »

    ***

    Yves Meunier, La Bande noire, propagande par le fait dans le bassin minier (1878-1885) éditions L'Échappée, 2017.  17 €
    site de l'éditeur : ici


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