• Étincelles errantes

    Jean-Pierre Tardif, à propos de      Patrice Thierry

    Au-dessus de Toulouse, le vent lacère le ciel, gifle nos larmes, fauche ce qu'il reste de nous-mêmes : nous n'entendons plus la voix de l'ami. 

    Nous l'entendrons pourtant encore, plus que jamais, comme la première nuit. La nuit première.
    De la nuit de Toulouse, des reflets d'une lumière d'arbres sur les tables du Père Léon, de toutes les voix connues, méconnues, inconnues aussi, qui peuplaient cette nuit-là, traversée de colère et de battements de cœur, naquit L'Ether Vague revue.
    Les premiers numéros que Georges tapait sur sa vieille machine à écrire proposaient des textes non signés. Les mots venaient de tous, et de toutes les langues. Du silence aussi. Surtout.
    Même lorsque les signatures apparurent, un peu plus tard, les textes qui étaient publiés dans L'Ether Vague ne portaient en définitive que ce dernier label. Tout de suite, ils étaient reconnaissables : ils prenaient sens et vie dans l'espace de la revue, bien au-delà de leur signature et de leur signataire, parmi les dessins d'Eliette Dambès, ceux de Gilles Briaud, de Gil Chevalier, les collages de Pat lui-même...
    L’Ether Vague paraissait en français, en Ether Vague plutôt. Il y avait là une autre langue qui situait d'emblée la revue au carrefour des époques et des parlers.
    Très tôt L’Ether Vague donnait à entendre la voix de Bernard Manciet, si excentrée et si excentrique dans le domaine d'oc lui-même, grande voix désarticulée de ce siècle. Et celle de Federigo Tozzi, l'un des plus grands romanciers italiens, - l'égal, certainement, de Svevo - scandaleusement inconnu en France.
    Sans oublier le grand poète catalan de Valence, Ausias March (XVe siècle), compagnon d'errance :

     “Voiles et vents combleront mes désirs
     Sur la mer aux chemins douteux...”


    à qui Pat répondait, dans le même numéro, à cinq siècles de distance :

     “Carènes au creux des poitrines...
     Le rite embarque cuirasse et tempêtes...”


    Sur la vaste mer du monde et du temps, Pat poursuivit ensuite l'aventure, seul. Seul, c'est-à-dire en compagnie de quelques amis qui partageaient la même ferveur bouleversée : L’Ether Vague éditions. Au cours des quelques nuits passées encore ensemble dans cette lumière d'arbres, au cœur et en marge du temps et de nous-mêmes, nous évoquions obstinément les chemins à parcourir : ceux de la mélancolie toujours, avec l'Anatomie de Burton, les routes d'avant Don Quichotte avec Tirant lo Blanch de Joanot Martorell, et puis les impossibles Songes du grand Quevedo.
    Dans la nuit de Toulouse et le dernier Ether Vague, c'est la voix du plus grand poète lyrique espagnol du XIXe siècle que je voudrais maintenant, comme le souhaitait Pat, et pour poursuivre la tâche commencée ensemble, donner à entendre.
    Rosalia de Castro est une femme. Elle n'écrit pas en espagnol mais en galicien.
    Qu'il nous reste au moins, au bout de la nuit, ces "étincelles errantes".

    Jean-Pierre Tardif
    in Portrait de l’éditeur en montreur d’ours : Patrice Thierry 
    Les Amis de L'Éther Vague, 1999.

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