• Exposition Barbâtre : les couleurs, la fantaisie et le suspens du « sans appui » !

     Jean-Claude Leroy                         Barbâtre

     

    Barbâtre, "Bellerive sur Loire" (pastel sur papier, 2019)Il y a maintenant plus de cinquante ans que François Barbâtre dessine des natures mortes. Au fusain ou au pastel, il trace et il frotte, il efface et il applique sur la feuille des traits et des touches qui font le tableau. Et c’est de la sorte un parcours passionnant que ce resserrement progressif vers une problématique toujours plus à nu, celle du « sans appui ». Cette irrésoluble question du « sans appui » l’accompagne depuis le début de sa vie de peintre, autant dire depuis sa découverte du fameux tableau du XIIIe siècle, les Six kakis, du peintre chinois Mu Qi. En dehors des écoles et des modes, quoique rattaché un temps au mouvement de la Nouvelle Subjectivité, Barbâtre n’a pas quitté son idée, c’est un obsessionnel, un maniaque du vide et de la valeur, de la profondeur et de la non-perspective. Il fabrique avec les objets les plus simples, boîtes en carton, emballages vulgaires, pots trouvés dans des poubelles, des agencements impossibles, des configurations de l’extrême. Recherche perpétuelle, car rien n’est encore arrivé, la voie se referme de s’être ouverte, chacun la trouve et retrouve à tâtons.

    L’historien d’art Alain Madeleine Perdillat note à propos d’un tableau de Barbâtre, explicitant ainsi le travail de l’artiste : « … les lignes de tout petits dessins semblent naître et vouloir émerger des fonds faits de hachures vertes, chercher à s’extraire d’un néant formel, aspirer à un devenir formes et non à une quelconque signification particulière. »

    À partir d’une gamme limitée de volumes et du souci permanent qui est le sien, Barbâtre explore volontiers le monde d’aujourd’hui, et même il s’y attaque. Je me souviens d’un génial et très grand tableau représentant la catastrophe new-yorkaise du 11 septembre 2001, un chambardement majuscule, une dégringolade de volumes dans une lumière de suie, un coin de ciel et un faux-sol d’atterrissage qui n’en est pas un, avec deux pots parfaitement posés, comme représentant l’immuable pourvu de son sourire inhérent.

    Exposition Barbâtre : « La Centrale » (Fusain 2019)C’est par exemple à une centrale nucléaire que s’attaque aujourd’hui Barbâtre, rien moins que cela ! Celle de Bellerive-sur-Loire, en l’occurrence. Cette manière de représenter un ensemble industriel des plus complexes a certes de quoi déconcerter, elle tient du jeu de Lego, avec un rapport des éléments entre eux et des échelles pour le moins très librement « adaptés ». Son « pays », l’écrivain Jean-Loup Trassard, est aussi photographe, et il a réalisé des séries d’images avec ses jouets d’enfants mis en place dans une nature à grande échelle, leur conférant une dimension sensationnelle. Il y a de cela dans ces tableaux de Barbâtre, dont l’intitulé mis en rapport avec l’œuvre suscite une révélation en même temps qu’une émotion sans appel. Le titre du tableau fait que le tableau surprend davantage encore. Cependant, rien de figé, mais rien d’aléatoire non plus, car il y a comme une métrique de la rêverie chez Barbâtre, la fantaisie ne se laisse jamais aller n’importe où, elle ne se relâche pas, elle se tient et signifie. Tout et rien.

    Le peintre le déclare lui-même dans une lettre adressée à un ami (reprise dans le catalogue de l’exposition) : « Fantaisie ? Peut-être ! Mais ce serait se méprendre que d’y voir une quelconque dérision.

    Le mode d’emploi n’est pas courant mais, tout de même, la chose n’est d’autre que l’un des aspects de la perspective dans l’art chinois de la peinture... »

    Les couleurs des pastels de Barbâtre peuvent avoir quelque chose d’irradiant qui parfois inquiète, c’est là aussi bien la marque d’un humour féroce que d’un goût pour l’irréel où rien ne peut distraire d’un climat d’absolu. Car la quête de Barbâtre n’est bien sûr pas que picturale ; outre la mise en évidence d’un renouvellement inlassable, elle est un tout avec lui qui aime à se poser sans plus rien dire, et regarder.

    10 février 2020, Mediapart

     

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    L’exposition se tient jusqu'au 7 mars 2020 (sauf vacances scolaires, du 10 au 22 février) à la galerie Prodromus, 46, rue Saint-Sébastien, 75011 Paris. tél. : 01 43 14 48 25

     

     


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