• Guy Benoit à l'appui du souffle

      Guy Benoit    Guy Darol

     

    « On écrit pour ne pas mourir entièrement, pour ne pas mourir tout de suite puisque tout dépérit », notait Eugène Ionesco dans Antidotes. Guy Benoit laisse trace d’une œuvre qui interroge la mort dont il ne sait rien mais sommes-nous sûrs qu’il ne sait pas ? Sa bibliographie vient de s’épaissir d’un quinzième recueil et je vous propose d’en lire les titres : N’importe qui mon corps, La matière hésitante de l’amour, Tête lointaine dans le milieu du monde, Il y a maldonne, Exercices de guerre lasse, Pas tout à la fin, La salle du bout … Tous ne sont pas cités mais voyez leur puissance. Chacun d’eux définit le rêve et ce qui le rend impossible, car la mort s’y oppose. La mort vivante et celle qui putréfie. C’est dans ce questionnement qu’avance Guy Benoit, poème après poème. Avec une rare précaution, il donne aux lecteurs de Ma mort, reconnaîtra (sans qu’on sache le versant) des textes qui n’atteignent jamais quarante mots. Des textes brefs que l’on prend le temps de réfléchir au miroir de nos inquiétudes, de nos incertitudes, de notre volonté d’apprendre ce qui peut advenir et ce qui restera.

    On devine ici une sapience particulière instruite d’une vie exigeant la douceur ou la bonté ou une humanité allégée des barrières qui font de l’existence un cheminement truqué. Que le rêve s’accomplisse est assurément le meilleur vœu de Guy Benoit, un vœu impie car dans les soubassements du poète se tiennent Le Grand Jeu et Ulrike Meinhof, des feux qui appellent une autre vie, d’autres envolées passionnelles ici, ailleurs.

    Poète dans la continuité d’Héraclite d’Éphèse (« Des choses attendent les hommes après la mort, qu’ils n’attendent pas, ni même imaginent »), il prévient que nous ne pesons guère : Nils-Olof Jacobson, un médecin suédois ayant observé pendant plusieurs années l’agonie des mourants, calcula que leur dernier soupir n’excédait pas 21 grammes. « Il serait instructif de constater exactement », écrit Guy Benoit, soit de passer « la ligne de mort » et d’entrevoir « le frémissement des friches » où se dévoile le versant. En attendant que celui-ci soit ou non une « verdure sans fin » (selon les mots recueillis dans une lettre de Théo Lésoualc’h adressée au poète en septembre 2008), Guy Benoit anticipe les ravages du néant. Il  désigne à l’aune du dernier souffle le principal ennemi : « l’oubli est un cadavre sans nom ».

    D’une écriture aussi souple qu’une marche spirituelle, dégraissée d’à peu près et d’inutiles vocables, Guy Benoit énumère « les riches heures avant l’heure » avec une joie toute spinoziste. Jamais il n’accable de lourdes épouvantes. Son âme n’est pas rendue et elle éclaire la route vers le chas de l’aiguille où tout passe en soulignant que « le grand air seul est d’actualité ». Il rappelle aujourd’hui et « la liesse du temps » comme un sursis qu’il faut aimer avant la transition.

    Celui qui pense ainsi vit loin du monde où bave l’écume, l’insignifiant – à l’écart du présent distrait et de ses pauvres divertissements –, dans un retrait où ne bat que le cœur à cœur, où chaque mot est chimie de l’esprit et du corps. Guy Benoit est d’autre part l’éditeur, depuis 1969, de Mai Hors Saison (revue et collection de livres) qui ouvre de nouvelles voies à la connaissance des écrits de Jean Carteret, Paul Chaulot, Jean-Daniel Fabre, Francis Giauque ou encore Paul Valet. Une sélection de ses écrits fut publiée en 1990 chez EST – Samuel Tastet Éditeur sous le titre Au plus haut point physique, poèmes 1966-1987.

    Guy Darol (27/11/2014)

     

    Guy Benoit, Ma mort, reconnaîtra (sans qu'on sache le versant), Les Hauts-Fonds, novembre 2014, 79 p., 16€


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