• Hommage à Maurice Blanchard (Réalités secrètes,octobre 1960)

     Maurice Blanchard

    HOMMAGE A MAURICE BLANCHARD

    in Réalités secrètes (dirigée par Marcel Béalu et René Rougerie), octobre 1960.

     

    Cher Marcel Béalu,

    Je crois que Maurice Blanchard — avec lequel j'étais lié depuis 1935 — est l'un des poètes les plus certains de ce pays. Blanchard souffrait, le disait, en marchant à rebours du vent et des offrandes ; cela se voyait, se lisait sur les traits de ses poèmes. Ceux-ci sont une espèce d'annonciation et de renonciation souveraine et abaissée. Combien de pas à fait Blanchard, le véloce, le discret, le noueux, le bleuté, le déchirant Blanchard, sur la terre où nous respirons ? DÉJÀ on les remonte, mais là seulement où l'herbe est oscillatoire, silencieuse. Amicalement à vous,

    René CHAR, le 7 septembre 1960.

     

    PRÉSENCE DE MAURICE BLANCHARD

    Maurice Blanchard a parfois déclaré se satisfaire de l’obscurité. Sa solitude le fit néanmoins souffrir. Il composa son premier poème à huit ans sur une colline de la Somme. D’autres lui vinrent alors qu’apprenti maréchal-ferrant, puis pilote d’esca-drille en 1914, puis ingénieur aéronautique. En 1929, parut sous le nom d'Erskine Ghost sa première plaquette : Les lys qui pourrissent. Dans sa poésie Maurice Blanchard allie une puissance de révolte à une pensée extrêmement fortifiée de l'existence et de l'être, alliance rare et enivrante. La révolte laisse pourtant Maurice Blanchard tenaillé par les choses les plus douces dans leur ambiguïté : « Le reflet de l'ignorance, le pêcheur silencieux au bord de la rivière et qui passe, d’une main précise et douce, l'imperceptible lacet de cuivre par le travers d’un brochet immobile, roseau parmi les roseaux. On le prend par la tête et c’est le cœur qui se brise sur l’herbe, sur la berge du temps, sur l’épaule de la bien-aimée lointaine. » Maurice Blanchard fasciné par le temps et l’histoire aime l’homme et ses entours. Son poème garde souvent un air de triomphe : une de ses œuvres ne s’intitule-t-elle pas : C’est la fête et vous n’en savez rien. À tant de gestes humains il restitue une valeur de prodige. « J’ai la fierté du coq, son œil cassant, son cœur bien placé. Je me tais dans l’ombre » écrit dans Sartrouville avec le courage du poète, Maurice Blanchard qui nous reste plus que jamais présent dans une grande œuvre irradiante et gonflée d’avenir.

    Jean FOLLAIN

     

     

    VIVRE ET SUPPORTER

    Quand je demandai à Maurice Blanchard en 1952, de vouloir bien figurer, à côté d’Antonin Artaud, en tête de l'Anthologie que je préparais pour les éditions de Beaune (La poésie française depuis le Surréalisme), voici la lettre que je reçus de lui :

    « Votre bienveillante attention m’a fort touché et je vous en suis reconnaissant. Je vous envoie 5 poèmes, les deux premiers ont paru en 1942 dans « La Main à Plume », puis en 47 chez G.L.M. Les autres sont de 1948 mais ont été refusés par MM. les Directeurs des Revues, ce qui m’a beaucoup affecté. Si ce que je vous envoie est trop long, supprimez ce qu’il vous plaira. Quant à publier un recueil, cela m’est devenu impossible, l’avant-dernier a trouvé un dévoué Verhesen (L'Homme et ses Miroirs avait été publié en Belgique par Fernand Verhesen, dans une luxueuse édition à tirage malheureusement trop limité), le dernier a été édité en Égypte. Il me faudrait aujourd’hui prospecter les îles Kerguelen ou Nienka-Hiva. Tout ce qui s'avère impossible devient peu à peu indifférent. Si l'on ne me voit jamais c’est que je n'ai pas le temps de sortir. Je travaille dans une usine de Villacoublay, à 20 kilomètres de chez moi. Je me lève à 6 heures du matin et je rentre à 8 heures le soir ; le dimanche, c’est le jour du sommeil. J’oublie l’écœurante semaine autant qu’il m’est possible. Je vous remercie très affectueusement et vous prie de m’excuser pour ce qui peut paraître de la négligence et qui n’est qu’une fatigue et un dégoût justifiés pour la vie que j’ai dû subir et que je supporte encore douloureusement. » Dans une autre lettre, je lis : « Vous trouverez ci-contre les quelques lignes que vous m’avez demandées. Je n’ai pas voulu faire un cours de technique poétique, Renéville, Caillois, Belaval, etc. m’en ont donné la nausée. » Ceci pour montrer l'homme, toujours gonflé d’indignations et de colères que domptait vite une malicieuse bonté, Blanchard avait alors soixante-deux ans. Il me raconta un jour la naissance de sa vocation poétique : « En 1929, je me suis vu refuser un marché de prototype d’aviation, je voulus écrire un roman racontant l’injustice dont j'étais victime, au bout de quelques pages, je m’aperçus que c’était de la poésie… » Comme je lui demandai un texte, en mars 1955, il m’écrit : « Voici quelques pages de mon journal des années sombres, il est vrai que toutes les années le sont plus ou moins — disons des années très sombres. Je ne sais pas si cela répondra à votre projet. Mais je vous en prie ne vous gênez pas avec moi. Faites-en ce que vous voudrez. Votre amitié m’est précieuse. Nous sommes deux hommes simples. » Je lui retournai ce journal que je trouvai trop prosaïque et pas du tout dans l’esprit de « Réalités secrètes ». Il m’envoya la suite d’admirables poèmes qu’on peut lire dans notre n° 3 : « La fleur de l’été ».

    Dans les deux premiers recueils parus sous son nom, en 1934 et 1935, chez René Debresse (Malebolge, Solidité de la Chair) on décèle facilement l’influence de Rimbaud, un Rimbaud mûri et narquois, plein d’expérience, qui aurait connu Dada et le Surréalisme. Il faudra la pleine maturité, et les années « très sombres » dont il est parlé plus haut, pour que Maurice Blanchard trouve le ton qui lui est propre. « Nous allions notre chemin et notre chemin traversait le domaine de la nuit… » Sa poésie est mûre alors pour rejoindre la poésie de tous les temps, celle qui n’est plus écho mais à la naissance de l’écho. On retiendra les titres de ses derniers recueils : Les pelouses fendues d'Aphrodite, C’est la fête et vous n’en savez rien, La hauteur des murs, L’homme et ses miroirs, Le pain et la lumière. Maurice Blanchard était de ceux qui prennent le temps d’être éternels sans souci des besognes — et des platitudes — assurant les succès saisonniers. Son nom ne figure pas plus dans le Panorama de la Nouvelle Littérature Française de M. Gaëtan Picon que dans la célèbre collection « Poètes d’Aujourd’hui », qui en est à son 80e numéro. Seul Jean Rousselot, dans son Panorama des Nouveaux Poètes Français prend le soin de citer deux poèmes, après une courte mais honnête présentation dont j'extrais ces lignes ; « L’œuvre de Maurice Blanchard s’impose aujourd’hui par sa cohérence et sa rigueur après avoir longtemps été occultée, son auteur n’ayant lui-même rien fait (pas même un service de presse) pour se faire connaître… »

    On me dit que G.L.M. va publier ses œuvres complètes en un volume. Bravo Puissent ces lignes contribuer à faire acheter ce livre, lors de sa parution, par ceux qui me demandent chaque semaine (!) ce qu’il y a de nouveau en poésie. « Résoudre le conflit vital au moyen d’une image », m’écrivait Maurice Blanchard peu avant sa mort, « c’est pourquoi l’image devient un produit complexe de toute l'attitude intérieure. Ainsi on peut vivre et supporter davantage »

    Marcel BÉALU


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