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Je ne quitte pas ce monde
je ne quitte pas ce monde
de le voir autrement
rien ne se donne je me prends tout
des vestiges et des naissances
et l’universel plaisir de vaincre
est-il un homme paisible
un dernier paysan ?
tout glissé dans un sommeil des jours
l’encombrant cadavre insiste pour vivre
qu’est-ce que je fous dedans
à mesurer l’angoisse qu’on peut atteindre
sans défaillir et sans payer le prix
sans savoir tuer le temps
à travers le venin des fictions offertes
– la fiction démocratique, par exemple
ou la fiction familiale –
grandes sagas du coin du feu
ou dans le débraillé des écrans hypnotiques
je me tiens coi et captif
tenu par la main qui me serre les tympans
de ne savoir taire le bruit
la terreur de l’endormissement
la peur de se lever avant la nuit
de croiser un visage qui voudrait vous connaître
je n’ai jamais été un autre
inutile déguisement de l’âme
tu t’endors d’ennui ranci
avec la hantise de retrouver
l’univers trop réel
des amis trop présents
que d’autres disent évanouis dans la terre
la mort ne se calme pas d’un coup
je respire par petites lampées de poison
que j’avale avec le reste du monde
si j’avais le choix je ne dormirais pas
alors au contraire je reste à la portée
dans le someil inégalable
et la vertu amnésique de l’éternel recommencement
l’enfant se trompe de projet
je n’ai pas voulu pour demain
c’est assez merveilleux d’être là
à piper l’air illuminé
sans que vienne vous interroger
la police des mœurs et des frontières
comment va ta mère depuis que tu renonces ?
le ciel est saturé de radiations
c’est la victoire du vouloir vaincre
je pleure sans savoir pourquoi exactement
juste d’être là
il faut être médecin pour y voir une maladie
le cycle des jours ne se lasse pas
d’insulter l’inconstance des cœurs
ô pourtant je suis fidèle
et c’est ma souffrance
de toujours mal communier
il faut dormir encore
laver la vie sans effacer
l’impossible oubli
rester à se noyer
dans une rêverie éreintée
sous le couvercle des lois.
Tags : jean-claude leroy