• L'ombre n'est pas l'obscur

     Robert-Louis Liris

    L’angoisse est le lieu du resserrement le plus extrême, celui de l’étranglement le plus raffiné de la zone obscure du moi, à l’aide de lacets de soie, le point où toute représentation de l'objet existant se fond dans l’étrange.

    L’ombre l’emporte sur le jour, l’obscur sur la nuit : le point où toute représentation de l’objet précède la mise en un miroir sans reflet, par le voyant abusé, de l’ultime métamorphose. Le ventre de la mère est ce lieu de toute perte première de l’obscur. L’expérience de l’horrible lueur diaphane permet à l’ombre de l’emporter. L’expérience perdue de l’horrible obscur est liée à l’interdit de la parole. L’obscurité de la caverne maternelle, inspire une terreur sacrée, les images et les signes peints ou gravés révèlent l’interdit du sexe en un lieu d’arrêt du geste sur un voile sombre. Tel est le sens dérobé de la main solaire sur l’obscur d’une grotte profonde, le tombeau vide de toute suffocation, au moment où l’artiste souffle la couleur du sang. L’ocre à la place de l’ombre éclabousse alors d’angoisse figurée les parois de la peur.
    Ce nocturne cathédrale introduit au démoniaque sur la cavale aveugle du cauchemar. L’obscur est un intemporel égaré entre l’attente de rien et la fin de tout : ce point de resserrement où le monde ni ne se meurt ni ne se crée, dans le secret silence d’une architecture de hasard.
    Une sorte de margelle du vide a cédé. Le nocturne règne sans le jour, et le temps, basculant le fardeau de l’histoire dans les halliers sombres de la mémoire, se fait enfin légende. Le quotidien familier, dans l’abysse sans fond de l’énigme, bascule sans retour.
    Dans des abysses froids la vie organise de l’étrange pour accoster l’avenir. Les argonautes d’un nautile de métal abordent en mutants les continents ignorés des océans de l’obscur. Dans la nuit abyssale la vie invente ses formes au foyer des volcans sous-marins et découvre des complots de mollusques émaciés dans les nuées de méthane de fluides froids et profonds. L’obscur sans l’ombre est un lieu de retour, la mer sans fin est une cathédrale fluide. Les figures obligées du clair de lune et de l’océan ténébreux, les cauchemars d’ombre des forêts, la domination philosophique des montagnes magiques en découpe sur le plomb du dernier ciel, nous serons épargnés. En absence énigmatique d’hommes, dans ces limbes de l’Ether Vague, le fantôme errant de l’Ange de la Mélancolie ne se parera plus de signes occultes. L’univers sans nous, sans ombre, est une lumière morte ailleurs et avant toute chose, obscure. Pour échapper en vainqueur à l’effroi de l’éternité, avant la vie, en un lieu de nulle part, il y avait le noir en pertes voluptueuses sur les draps de la nuit.


    Robert-Louis Liris,
    (Nuit de Walpurgis 1999, Vichy)
    in Tiens n°11, 2003. 

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