• Lactalis délave le blanc (quelques rappels sur un groupe laitier peu amène)

     Jean-Claude Leroy 



    Le Canard enchaîné de cette semaine nous révèle une nouvelle fraude du géant laitier Lactalis, basé à Laval (Mayenne). Il s’agit cette fois de la vente de dizaines de millions de litres de lait UHT au prix du lait pasteurisé, valant deux fois plus cher. En 2000 déjà, Lactalis avait été condamné pour mouillage systématique du lait, une fraude portant sur 70% de la production du groupe.

    En 1982, Michel Besnier, patron réputé pour être l’un des plus durs de France (1), sauf pour l’ineffable Jean Arthuis qui le voyait plutôt en « homme de cœur » (2) envoyait 200 hommes de mains, dont plusieurs dizaines d’anciens parachutistes armés de gaz lacrymogènes et de revolvers, pour briser une grève dans une usine du groupe (3). C’est aujourd’hui son fils Emmanuel, tout aussi secret que son père mais plus puissant encore, qui gouverne l’empire rebaptisé Lactalis. Lui, son frère et sa sœur, sont propriétaires de 100% de Lacatalis, deuxième groupe agroalimentaire français (15 milliards d’Euros de chiffre d’affaires en 2011, 52 000 employés dans le monde (4)) derrière Danone.

    À l'ombre mal diluée du père Ubu, imaginé par un natif de Laval, Alfred Jarry, un des grands combats d’Emmanuel Besnier fut celui qui visait à faire disparaître le lait cru des fromages… au lait cru. Les marques Lepetit et Lanquetot, passées dans le giron du groupe mayennais, ont ainsi perdu leur âme, en l’occurrence l’appellation AOC. Qui l’aurait cru ? Mais la seule règle de Besnier-Lactalis n'est-elle pas : le profit d'abord !

    J’ai connu dans les années quatre-vingt un inspecteur des impôts lavallois dont la carrière avait été brisée pour avoir osé mettre son nez dans les comptes obscurs de la société Besnier. C’est qu’à Laval comme ailleurs, Besnier est à la fois féroce et intouchable. En sus d’y être le plus gros employeur et contribuable, il finance le club professionnel de football local (Le Stade Lavallois), et les responsables politiques du coin, qui considéraient son père comme un grand homme, semblent avoir reporté sur le fils leur dévotion intimidée. Le député-maire atone de la ville, un certain Guillaume Garot, devenu depuis ministre délégué à… l’agroalimentaire, préfère ne pas s’exprimer sur Emmanuel Besnier quand un journaliste d'un magazine national le sollicite (5). Le pouvoir des Besnier est taiseux mais puissant. Si le patron de Lactalis n’est pas du genre à quémander quoi que ce soit à la municipalité, où est implanté son siège social, il n’entend pas non plus qu’on vienne l’embêter. Et quand, en 2012, il décide de faire construire une tour de séchage sur son site de Craon (30 km de Laval) c’est en faisant fi du code de l’urbanisme, sans attendre le résultat de l’enquête publique. Le commissaire enquêteur déclare : « Lactalis place les autorités administratives devant le fait accompli ». Quand on sait qu’il s’agit aussi d’un plan d’épandage sur 2000 hectares dans 11 communes, de centaines de navettes de camions chaque année, La Fédération pour l’environnement 53 a quelque raison de protester. Si, selon Ouest-France, il apparaît […] peu vraisemblable que la préfecture rejette le projet, la FE 53 menace néanmoins de déposer un recours près du tribunal administratif de la région. Le rédacteur de Ouest-France (6) conclut : une épine de plus dans le pied du géant laitier.

    On serait en droit de se demander combien de temps, en nos croulantes démocraties médiévales, ces massacreurs de la paysannerie (Lactalis et tous les requins de l’agriculture industrielle), de l’environnement et de la santé, séviront encore avant que l’épine en question veuille bien leur inoculer le goût des pratiques honnêtes en même temps que le poison de la mesure. On serait en droit de…

     

    1 : (L'Expansion, en 1985, reprit par Ouest-France du 14 juin 2000)

    2 : (Le Courrier de la Mayenne du 15 juin 2000)

    3 : (Le Canard enchaîné du 17 février 1982)

    4 : Chiffres donnés sur le site de Lacatalis début 2012, repris par Wikipédia.

    5: (Le Point, 19 mai 2011)

    6 : (Ouest-France, le 17 septembre 2012)