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Le cher poète (Assie El Fehaïd)
quoi de plus banal quand on écrit
que de dire je pense à toi
coupé
par la solitude et les kilomètres
d’un visage ami, d’une main tendue
ainsi je commence le message
que ne peut entendre Assie El Fehaïd, le cher poète
que je serre sur mon cœur
où qu’il soit, en Arabie, peut-être près de sa mère
à Dammam
ou dans un bar d’Alexandrie
à siroter une Stella, ou rallumant sa pipe,
songeant, mélancolique, à ses enfants lointains,
aux amours dilapidées
et rédigeant mentalement des poèmes
que parfois il récite à un voisin de table
au Spitfire où les bouteilles de bière
défient la vertu des abstèmes
au Cap d’or, dans le petit matin tiède
avant de rentrer au Blue Riviera Hotel
longeant la mer et le vent
et plus tard il déblatère face aux yeux vitreux d’un client vindicatif
un discours sur les régimes pourris de la région
avant de pleurer l’ancienne cité cosmopolite
aujourd’hui enrégimentée par des barbus ignares
et d’autres, soudain dégrisés, le regardent avec stupéfaction
la révolution n’a pas eu lieu
elle est sur le point de naître
nous ne sommes que début janvier
après l’attentat de l’Église-des-deux-saints
et la sécurité d’État fait toujours son numéro impitoyable
tandis que la mémoire de Khaled Saïd
assassiné deux rues plus loin
par les nervis de Habib El-Adli
finit de soulever une vague de jeunesse
que le temps n'oubliera pas
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