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Nue, la peau pâle
Nue, la peau pâle, elle ré-ouvrit les yeux.
– Et écouta :
– Que voyez-vous derrière la fenêtre ?
– Un toit couvert de neige – et la fumée de rondins de chênes en feu dans un âtre.
– Telle la buée d’un mot d’amour dans la nuit ?
– Quel mot ?
– Celui qui vous nomme – et dessine votre visage.
– Quel amour ?
– Celui par lequel toute parole est tantôt caresse tantôt blessure.
– Et la nuit ?
– Celle dans laquelle vous êtes – aveugle et défaite ; nue, la peau pâle ; livrée à qui vous parle ; endormie – et rêvant d’être éveillée après avoir ré-ouvert les yeux.
– Lors un cercle ? La démence ?
– Lors une voix, la vôtre, peut-être ; et une autre, désœuvrée – quoique désireuse de se soustraire au tourment.
Elle eut peur, voulu crier, ouvrir les yeux, se défaire du vertige. Mais rien.
Hormis l’à peine sensation d’un vent surpassant l’estran.
*
Le matin, partout la brume, elle sortit de l’intérieur d’un nuage, inventa l’horizon, la mer, et gagna le bord de la falaise.
– (Je vous ai cherché.) Où étiez-vous ?
– Dans une forêt d’hiver.
– Celle ravagée par la tempête ?
– Non la tempête : le désordre, ma gorge nouée, la fleur de sable entre mes mains.
– Laquelle naquit de la semaison d’une vague et de la confusion d’un quartz avec un naufrage ?
– Oh un naufrage non, mais ma bouche ensemencée, mes lèvres bées bouleversés par l’étreinte, le sang sur ma langue, l’obligation de tout à la fois me taire et parler.
– Qu’allez-vous en faire ?
– S’il ne tenait qu’à moi je la rendrais végétale et mienne. Mais qui suis-je pour décider du devenir d’une fleur ?
– Celle par qui sa brève existence fut lue au moins une fois.
– Que voulez-vous dire ?
– Ne vous méprenez pas : je ne dis rien ; suis absent, n’existe pas et rien ne se dit que vous ne l’écriviez – vous figurant ma présence tant la solitude vous pèse.
– Allez-vous vous retirer ?
– Ce sera comme vous voudrez – car qui suis-je pour décider du devenir de votre récit ?
– Celui par qui, peut-être, il trouvera sa voie.
– Que voulez-vous dire ?
– Ah, si je savais !
Or, par un pressentiment, auquel les mots manquaient,
elle savait.
*
Ouvert enfin, le ciel fut d’un grand bleu ; conforme à la saison, le temps très froid ; la marée descendante et le sable mémoriel.
– Il y a des galets autour de votre sein.
– De quelle couleur ?
– Gris pour la plupart, mais l’un brun avec une rayure blanche, un autre orange avec tel un œil vert
– Et le sein ?
– Le lobe comme vous très pâle, l’aréole et la pointe obscures.
– Et l’autre, comment est-il ?
– Couvert de sable
– Et mon ventre ?
– Dans la proximité d’un couteau.
– Et mon visage ?
– Mangé par le sel.
– Et ma langue ?
– Difficile à dire ; mais, pour ce que j’en devine : revenue de loin après une douloureuse absence ; balbutiante, peu sûre – mais ce lui serait propre – ; sans lieu mais attirée par la métamorphose des corps et paysages.
– Ce pourquoi une plage à présent ?
– Et la jetée non loin, les mouettes et goélands argentés rassemblés sur un même banc de rochers.
Et elle et lui, désormais, liés par une même fascination.
*
Au loin, sur des coteaux d’en face, brillaient mille feuillus couverts de givre.
– Où sommes-nous ?
– Dans une galerie, creusée dans la roche, à l’abri des vagues et de l’air déchainé.
– Pourquoi suis-je attachée ?
– Pour vous défendre de vous.
– Que s’est-il passé ?
– Vous n’étiez plus vous-même.
– Qui étais-je ?
– Une sorte de hyène, couverte de brulures.
– Qu’ai-je fait ?
– N’en parlons plus.
– Qu’ai-je-fait ?
– Du large, vous avez ramené une enfant à moitié noyée. En dépit de l’âge, son visage était pour ainsi dire le vôtre. Vous l’avez sauvée, questionnée, elle vous a répondu, vous avez crevé ses yeux et, ne pouvant souffrir ses cris – je vous comprends –, vous l’avez jetée aux oiseaux.
– Pourquoi mentez-vous ?
– Pourquoi mentirais-je ?
– Pour me forcer à parler.
– Dans quel but ?
– Nous offrir une raison d’être, d’aimer et raconter.
– Qui vous l’a dit ?
– Elle, tout à l’heure, quand elle voulut rouvrir les yeux – mais elle n’en avait plus.
Elle trembla, fut prise de convulsions, dit des mots insensés, il la battit et, tel on éteint la lumière, il tourna la page.
*
Vint la suivante : nue, très pâle – avec l’immense grève déserte, la mer très loin ; et, vers où ils marchaient : une part de ciel dans la nuit, une autre dans le jour.
– Que ne parliez-vous plus ?
– La place et le temps m’ont manqué
– Pourquoi ?
– Vous aviez la fièvre et divaguiez.
– Comment m’avez-vous soigné ?
– J’ai creusé un puits, suturé vos plaies et les ai pansées d’argile. Après, il fallut trouver du bois, du souffre et allumer un feu.
– Où le trouviez-vous ?
– Sur le rivage, charrié par les marées ; au-delà des dunes, dans des sous-bois sauvages ; dans mes souvenirs, parfois dans les vôtres.
– D’où venaient-ils ?
- Vous disiez : « D’une ancienne maison isolée, construite à contre terrain, l’huis et les fenêtres ouvertes sur la vallée. »
– Quand j’ai cessé de délirer, que s’est-il passé ?
– Tout fut silence.
– Et qu’avez-vous fait ?
– J’ai choisi de continuer, faisant comme si. Nous sommes sortis, vous inconsciente et nue sur mes épaules ; un temps nous chancelâmes ; peu à peu, nous avons recouvré notre courage, nos forces, la voix ; vous êtes revenue à vous et, de question en question, nous sommes arrivés jusqu’ici.
– Avec cet échange ?
– A cet échange oui.
Au sortir de cette nuit, le crachin devenu neige couvrit la digue. Elle rêva d’un bateau, d’un voyage et, à intervalle régulier, dans chaque balais du phare : de la poussière d’étoile.
Julien Bosc
(texte en cours d'écriture - décembre 2014)