• Nuit du 12 décembre 2010

    Jean-Claude Leroy  (Le Caire, 1989-1990) 

     

    Photo   26 décembre 1989

    Visite du musée égyptien. Amoncellement de touristes pâles et gavés de preuves d'anciens empires, dont celui d’Akenaton, au franc succès. Dehors le soleil cognait bien. Alors je n’ai quasiment plus rien vu d’autre que ces groupes de dames extraordinaires à tête de tomate farcie, j’en suffoquais.

     

    Rencontré ce soir Jean-François Fourcade, l’attaché culturel de l’ambassade, en poste depuis quatre mois, intelligent et sympathique. Selon lui, l’Égypte est tout à fait unique dans le monde arabe, et Le Caire une ville très dure où l’on doit se protéger en ayant un « chez soi » véritable qui soit vraiment un ailleurs. Les Égyptiens, avec leur caractère anarchique, se débattent du mieux possible dans une vie très rythmée, très prenante ; ils dépensent une énergie folle pour un tas de petites choses tout en réglant des affaires plus importantes. Ce pays vit un auto-abandon. Ce pays est blessé. Ce pays sent qu’il a mal, mais la douleur ne peut devenir assez un cri.

     

    28 décembre 1989

    Aziz est Tunisien. Il travaille en Irak dans une compagnie pétrolière où il gagne pas mal d’argent qu’il dépense ici, généreusement, avec les amis qu’il vient de se faire. Il me conte que, la semaine passée, son sac lui a été volé, ici même, et que le voleur en a revendu le contenu au patron de ce même hôtel. Ce nabot syrien et cupide aurait payé 100 guinées son blouson de cuir. Quand Aziz l’a constaté et a voulu le lui racheter, au même prix ; l’autre a refusé, en réclamait 190 guinées. En dépit de ce préjudice, Aziz n’en veut à personne, il n’a même pas changé d’hôtel.

     

    19 janvier 1990

    Rires des femmes dans le couloir, tout près. Il y a deux ou trois soirs, une femme chantait merveilleusement de l’autre côté de la porte (je l’ai vue aujourd’hui, à la cafétéria, une jeune Algérienne qui passe quelques jours au Caire).

     

    22 février 1990

    Conversation avec Cossery qui vient d'arriver au Caire, à l'occasion du tournage de Mendiants et orgueilleux, Il dit être là pour trois semaines, ajoute : « Tu comprends, j’ai de la famille ici. Je suis obligé de les voir, malheureusement. »

     

    2 mars 1990

    Cossery m’attendait dans le hall de l’hôtel Méridien. Taxi vers le restaurant Felfela. De son esprit caustique, il commente l’actualité. À propos des vieilles femmes émues qui accueillent des orphelins roumains, il parle plutôt de mémères hideuses que tout enfant ne peut qu’exécrer. En revanche, beaucoup de tendresse pour évoquer ses compatriotes dont il aime le pacifisme et l’esprit. Nous marchons après manger jusqu’à rejoindre le Nil. Évitant un troupeau de touristes empressés, « laissons passer les chiens ! » me souffle-t-il.

     

    14 mars 1990

    Depuis deux semaines, cette image qui me revient, d’un cheval fouetté par un homme debout sur le lourd chariot à quatre roues courant et résonnant sur le bitume. En pleine nuit, comme une vision soudaine et fantasmagorique. J’ai vu et entendu cela plusieurs fois dans les rues du Caire, vers minuit, à chaque fois saisissant !

     

     


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