• Omphalos, une Vanité contemporaine

    Denis Schmite 

    Il y avait au n° 9 de la Bäumleingasse, tout en haut d’une petite rue fortement pentue du centre de Bâle, à deux pas de la cathédrale où repose Erasme de Rotterdam et à deux pas aussi du Christ mort de Holbein, un grand ami d’Érasme, un lieu de culte et de pèlerinage connu des seuls initiés mais connu mondialement, sorte de fosse oraculaire delphique, chapelle miraculeuse aussi, lieu de vénération s’il en est, qu’on perçoit bien quand on y pénètre encore comme le théâtre d’anciens mystères, dont les murs et les boiseries exhalaient toute la sacralité, mélange de parfums d’encens et de vénérable cire d’abeilles, et où se pressaient en toutes saisons, mais particulièrement une certaine semaine de printemps, des petits groupes de dévots maniérés et polyglottes, marchands, courtiers et autres intermédiaires du Marché, pour présenter leurs hommages, pour certains leurs lettres de créances, pour renouveler des serments d’allégeance, déclarer leur foi inaltérable, recueillir de précieux avis, de lumineux commentaires, des prédictions à partir de subtiles tendances, mais surtout pour être vus avec LE Maître et reconnus par lui, se montrer aux autres comme étant des élus, ses plus fidèles vassaux, vaniteuse parade de courtisans s’estimant toujours en concurrence, dévotions gluantes de disciples sournois, de fourbes vassaux, de valets roublards, et enfin et surtout pour conduire de juteuses et secrètes transactions.

    Il est là Ernst ? demanda sur un ton exagérément familier et en se détachant d’un groupe de deux, couple de vulgaires en goguette, un type grassouillet, comme s’il était un habitué des lieux ou un cousin germain en visite.

    Il vous attendait, je vais le prévenir de votre arrivée, répondit une grande femme sèche à l’air revêche.

    Et comment il va ? ça va mieux ? interrogea à la hâte le gros, triomphant car c’était bien lui qu’on attendait, on venait de le lui confirmer, et on allait l’annoncer sans lui avoir demandé de rappeler son nom.

    Trrrès, trrrrès moyen ! roucoula la revêche, cette fois-ci avec une moue marquée d’inquiétude et un éclair de tendresse mouillée dans les yeux. Il est trrrès fatigué, ajouta-t-elle dans un presque sanglot.

    Quelques instants plus tard, Ernst, le maître des lieux, le messager d’Apollon, l’arrière-arrière-arrière petit-fils de la Pythie et son successeur désigné, le souverain pontife de l’Art moderne et contemporain, fit son apparition et d’un pas feutré s’approcha de ses deux visiteurs qu’il salua sans politesse excessive. Un temps avant, Ernst n’était pas là mais pourtant unique sujet des conversations, puis subitement, sans qu’on l’eût entendu venir, sa longue silhouette se découpa dans l’encadrement d’une porte. Une apparition et tout à fait appréhendée comme telle par tous. Tous les visages, ceux du couple de gros, celui de la revêche, le mien aussi, s’illuminèrent, les bouches s’entrouvrirent, un ravissement, une béatitude. Seul celui de Ernst demeurait fermé, comme si on venait de le déranger dans son long dialogue avec les muses, ou directement avec leur patron, de troubler sa méditation, de perturber son analyse des tendances.

    Dis donc Ernst ! engagea le gros type, tu serais prêt à me le faire combien le petit Rothko noir et bleu, là juste à côté de la porte ?

    En effet, on exhibait ce jour-là des petites œuvres sur papier de Mark Rothko.

    Un million cent cinquante mille, lança Ernst sans hésitation et sans même regarder le Rothko en question que lui désignait fort peu élégamment le gros de son doigt boudiné.

    Des Francs suisses ? questionna benoîtement le gros.

    Non ! Dollars ! répliqua Ernst avec une singulière économie de parole.

    C’était là tractations de professionnels, un marchandage de grossistes, négociations âpres et triviales auquel devait se plier presque malgré lui le familier d’Apollon.

    Ben pourtant on est en Suisse ! répliqua malicieusement le gros car il se la jouait finaude, un vrai maquignon, Ecoute ! Je t’ai payé sans sourciller quatre millions de dollars le Léger la dernière fois, ne me dit pas que tu ne peux pas me faire un petit quelque chose sur celui-ci. Il parlait fort le grassouillet, il était en représentation. Prends le temps de réfléchir ! Je te rappelle dans une heure, proposa-t-il en clignant de l’œil à destination de son compagnon.

    Pendant qu’Ernst discutait âprement avec le couple de grotesques sur la véritable valeur des choses, un incident plutôt cocasse survint. La dame que j’accompagnais, totalement absorbée dans la contemplation perplexe du fameux petit Rothko noir et bleu à côté de la porte, venait par mégarde de coincer un talon très fin de sa chaussure dans une fente, un interstice sournois, un espace infime mais ô combien hypocrite, entre deux fortes lames du parquet en chêne, et en voulant le dégager, assez vigoureusement il est vrai car la situation était embarrassante, elle avait arraché un mince morceau de bois, pour ainsi dire une grosse écharde. C’est alors que Ernst dans un mouvement-réflexe inimaginable, avec une énergie insoupçonnable chez lui, lui que la revêche annonçait comme étant quasiment en fin de pontificat, avec une vélocité époustouflante, bondit jusqu’au pied de la dame et, accroupi, tentait de remettre le bout de bois dans sa situation initiale, de repositionner l’écharde dans l’interstice sournois, de réparer comme il pouvait les dégâts, tout en hurlant à pleins poumons : « Manu ! Manu ! ». Manu, le bien nommé, était l’homme à tout faire de la maison, le manuel dans cet ilot d’intellectualité intense, celui qui débourrait la photocopieuse et y remettait du papier, qui réparait la machine à café quand elle tombait en panne, celui surtout qui enfonçait les clous dans les cimaises sous la direction éclairée du maître, enfin celui qui avait en charge tous les petits travaux, modestes il est vrai, mais si utiles, que dis-je ?, indispensables au bon fonctionnement du lieu.

    Au fait, le gris qui est à l’entrée, tu en veux combien ? revint à la charge le gros type, comme si de rien n’était, alors qu’Ernst était toujours à genoux et que Manu arrivait avec un gros tube de colle.

    Lequel ? demanda Ernst qui se remettait déjà de ses émotions et de ses efforts et se relevait de sa position incongrue.

    Celui qui est juste à l’entrée, en haut de l’escalier, précisa le gros.

    Là, Ernst hésita un instant et c’était normal car le gris en question ne l’était pas exactement mais plutôt marron foncé et beige.

    Ah ! Celui-là !...Il n’est pas à vendre ! lâcha-t-il sans autre forme de procès.

    Quoi que l’on puisse en dire, quoi que l’on puisse en penser, quoi que l’on puisse imaginer à son sujet, le plus souvent, par bien des côtés, tout bien considéré, le marché de l’Art s’apparente à une foire aux bestiaux. On achète, on vend, dans un même mouvement, sans trop se poser de question sur la qualité de la marchandise, ni faire étalage de sentiments car ici déplacés. C’est à prendre ou à laisser. Il n’est guère question de goût mais de coût. Le marché de l’Art est un gros marché. Mais en art moderne, en peinture surtout, on ne regarde pas trop les dents de l’animal et on ne lui tripote pas trop les pâturons, si ce n’est pour la forme, la signature suffit, sachant qu’à partir de celle-ci le prix est fixé non pas au poids mais au mètre, le coût de l’œuvre dépendant de ses dimensions. On débite la toile comme on le ferait de tranches de jambon ou de rouleaux de tissus. On en serait presque à couper à la longueur désirée par le client. Telle signature, un million de dollars le mètre. Vous en voulez cinquante centimètres ? Cinq cent mille dollars. Vous en voulez trois mètres ? Trois millions de dollars. Il y a un côté pratique de la chose. On énonce les biographies et la liste des acquéreurs successifs comme on lirait des pédigrées, et on délivre les certificats d’authenticité comme des certificats vétérinaires. Tout cela n’est presque pas compliqué. Il existe tout de même une marge de négociation, mince cette marge, et c’est là, dans cet interstice, que le talon fin du courtier, que le talent fin du négociateur, doit s’insérer. Le marchandage est un art tout d’exécution et de mouvement sur le marché. Si la signature est aussi importante, pourquoi ne pas se contenter de vendre des signatures ? C’est précisément ce qu’a commencé à faire un galeriste parisien qui, tout comme Ernst, a créé une fondation et un musée. Il a fait signer à l’un des artistes qu’il exposait, l’une des gloires du marché et plus encore, un tas de posters annonçant son exposition. Sept cents euros le bout de papier signé et ça s’est bien vendu ! Depuis l’artiste est mort, ce qui a probablement doublé le prix de la signature. Car le marché de l’Art est nécrophage. On attend moins la naissance de créateurs vigoureux qu’on ne se repaît des restes de ceux qui sont morts. Le vendeur et l’acheteur ont faim de sécurité et les morts seuls apportent cette sécurité. L’œuvre est bouclée, on sait tout sur elle, l’artiste, instable et tourmenté par définition, les gens disent « c’est un artiste » d’un homme qui semble ailleurs, ne peut plus réserver de mauvaises surprises, il a dit tout ce qu’il avait à dire et il l’a bien dit, il ne peut plus orienter son œuvre dans des directions non désirées, il ne peut plus être déroutant. Tout a été fait et il ne reste plus qu’à regarder les prix grimper. En France, hormis les institutions, seuls les médecins sont acheteurs car eux seuls ont de l’argent, ou à peu près. En fait, tout médecin exerce deux métiers : son art, dans un sens abusif du terme, c’est-à-dire la médecine, et la recherche de placements lucratifs pour l’argent que celui-ci lui a fait gagner. Une bonne signature artistique est un placement supposé sûr et procure en outre au médecin le vernis culturel qui lui fait le plus souvent défaut. On peut dire que toute foire de taille moyenne, qu’elle soit d’art moderne ou d’art contemporain, attire l’ensemble des blocs opératoires d’au moins deux gros hôpitaux publics, ou de quatre cliniques privées tous services confondus, sans compter l’ensemble des cabinets de ville d’une région. Ernst en avait beaucoup des médecins dans son carnet d’adresses, évidemment, des spécialistes considérables, des gloires de la chirurgie ou des maladies du cerveau, du cœur, des pieds, tous parfaits connaisseurs de leur nombril, mais pas seulement car en Suisse il y a beaucoup de banquiers et les banquiers suisses sont aussi des gens très riches, tout le monde sait cela. Une chose est sûre, ce n’était pas un homme comme Ernst, l’homme le plus influent du monde de l’Art, l’expert le plus respecté, un esthète au goût exquis, un homme si délicat avec ses parquets, une sensibilité qui s’était affinée avec l’âge, qui aurait vendu des bouts d’affiche signés. Non ! Ernst n’était pas un papetier. Son domaine à lui c’était le conséquent, le solide, l’indiscutable. On dit qu’il aurait bâti sa fortune sur la vente d’un large fonds de dessins de Degas qu’on lui aurait légué, accumulation primitive du capital, et une bonne part de son prestige sur la confiance que lui aurait témoigné Picasso suite à la cession heureuse d’une de ses guitares en tôle à la plus importante institution américaine.

    Manu s’affairait donc à réparer les dégâts avec son tube de colle tandis que Ernst, qui en avait fini temporairement avec le gros tonitruant et son acolyte muet, s’était retiré dans son bureau. Mais déjà s’agglutinait autour de la revêche des pèlerins quémandeurs d’entretiens dont un trio anglo-saxon, des marchands venus pour LA foire, The Art Fair comme on disait ici et partout dans Bâle.

    Impossible pour le moment, rugit la revêche en anglo-saxon, il faudra revenir plus tard, en fin de matinée par exemple, mais pas trop tard quand même parce que Ernst doit rencontrer du monde, des Italiens tout de suite et puis des Allemands après. J’essayerai de vous glisser entre deux rendez-vous, et puis cet après-midi il sera à LA foire et donc ça ne sera plus possible du tout.

    Ainsi filaient les journées de Ernst, en cette semaine de printemps active, comme chaque année à la même période. Succession ininterrompue de visiteurs, puis accompagnement des plus importants d’entre eux, les sommités, hauts fonctionnaires du Ministère, Énormes marchands, les plus puissants de ses vassaux, très riches acheteurs, à Riehen dans son musée, autre lieu de pèlerinage incontournable, une préciosité architecturale qu’il avait fait réaliser par un monstre international de l’architecture au milieu de parcs à vaches dont on pouvait entendre le tintement des grosses cloches en cuivre en visitant les lieux, et où il donnait à voir une partie de sa collection, l’une des plus belles collections privées d’art moderne du monde. Ses après-midi étaient en partie réservées à la foire, The Art Fair comme on disait dans tout Bâle et aussi ailleurs, dont il était le plus illustre des co-fondateurs et où il s’efforçait de maintenir son auguste présence, de montrer sa prestigieuse personne, malgré ses problèmes de santé. En cette semaine de printemps, comme chaque année à la même période, Bâle était le centre-ventre du monde, celui de l’Art, et Ernst demeurait son nombril. Omphalos ! La foire ! Pour y aller, c’est tout droit. Tout droit quand on emprunte le beau pont qui enjambe le Rhin déjà très large en cet endroit, puis il suffit de se laisser glisser entre deux haies de commerces pour suisses peu argentés, un paradoxe ici, magasins d’habillement et d’accessoires pour la maison plutôt bon marché, bistrots où on trempe sa tranche de kouglof poudreux dans un café crème, et même boutiques roses à colifichets sexuels banalement suggestives, jusqu’à une place si vaste qu’on pourrait y faire parader l’armée helvète toute entière, place dominée par une tour noire gigantesque avec tout un étage en incroyable porte-à-faux, et bordée sur un côté par deux hall d’exposition, énormes entrepôts de couleur rouge-brun, une esthétique de containers pour transporteurs battant pavillon panaméen que l’on retrouve dans tous les parcs d’exposition d’Europe, à Madrid, à Cologne, à Bruxelles, à Paris, et sans doute ailleurs, partout. C’est là que se tient la foire, dans l’un des entrepôts/containers, l’autre étant réservé à une espèce de parc d’attraction fait de vidéos tapageuses et d’installations monumentales, donc au spectacle.

    Y’a que des bourgeois ici ! me dit avec un ton traînant et un accent indéfinissable un curieux petit homme aux cheveux jaunes portant un costume bleu électrique alors que j’attendais l’ouverture des portes et que des files commençaient à se former devant les guichets. Y’a que des bourgeois et je m’y connais, insista-t-il en s’asseyant près de moi sur le bord d’un bassin que l’on avait installé là pour la circonstance, autrement dit pour la foire. Je m’y connais en bourgeois car j’habite sur la côte, ajouta-t-il sans préciser de quelle côte il s’agissait.

    Ce n’est pas si surprenant que cela, lui répondis-je, cette manifestation est organisée pour eux, exclusivement pour eux si on considère le prix d’accès dissuasif qui est pratiqué ici.

    Il hocha la tête en souriant malicieusement. C’était un homme intéressant, ça se voyait tout de suite, intéressant car différent. Seule la différence est intéressante, on ne le dira jamais assez. Il exerçait un peu la médecine sur la côte, commença-t-il à m’expliquer, et il aimait l’Art.

    Pourtant je ne sais pas trop bien ce que je suis venu faire à Bâle, confessa-t-il, car je n’aime pas beaucoup l’art actuel. Je considère pour ma part qu’il n’y a plus vraiment d’art depuis Henri Matisse et Henri Laurens, surtout Henri Laurens chez qui j’adore le cubisme sensuel. Tiens ! C’est une bonne formule ça, le cubisme sensuel, je la réutiliserai, dit-il satisfait de lui-même. Ah ! Celui-là ce n’est pas un cubiste, et il me désigna en rigolant, un type énorme, aussi large que haut, qui portait un chapeau texan et qui faisait des moulinets avec son bras droit terminé d’un gros cigare pour souligner un discours qu’il tenait à un modeste aréopage. C’est une vraie boule de graisse ce gars là, commenta-t-il, de face un cercle parfait, de profil un cercle parfait aussi, mais de trois-quarts on perçoit bien le volume, une sphère. Il est vrai que le cubisme fut quelque part une tentative de quadrature du cercle, non ? Ici, il n’y a que des bourgeois qui n’ont aucun goût et auquel on peut vendre n’importe quoi, reprit-il fermement campé qu’il était sur ses positions en apparence contradictoires, à la fois prolétariennes et fortement négatrices des avant-gardes.

    N’exagérons pas, le beau existe encore si c’est bien le beau que vous recherchez, contestai-je en lui désignant une fine silhouette brune en jeans brodés ce qui le fit rire aux éclats. Il s’est tout de même passé pas mal de choses depuis vos deux Henri et tout porte à croire que la planète de l’Art continuera à tourner pendant quelques temps encore. Il y a un continuum du beau même si j’estime qu’il est plus à rechercher dans les idées que dans les formes. Ne trouvez-vous pas que certaines idées peuvent être vraiment très belles ?

    Ben si ! me répondit-il avec la moue de quelqu’un de pas totalement convaincu, mais c’est plus compliqué comme beauté, et surtout ça n’a pas grand chose à voir avec le fait que j’aime les sculptures sensuelles de Henri Laurens. Pour ce qui est de l’Art stricto-sensu, moi je dis y’en a plus… après Henri Laurens.

    Il ne voulait pas en démordre tout englué qu’il était dans la sensualité de la statuaire de Laurens. En même temps qu’une forte sensibilité sociale, il affichait donc aussi une forte sensibilité plastique, et tout particulièrement pour la plastique féminine. Il n’y a rien d’inconciliable là-dedans et rien à redire non plus.

    Compte-tenu des caractéristiques du marché de l’Art déjà amplement évoqués, la foire de Bâle, première foire mondiale a des allures de comices agricoles mais de comices se réunissant plutôt aux Antilles, à Saint-Barth par exemple, qu’à Clamecy dans la Nièvre. Les indigènes qui la fréquentent, vendeurs, acheteurs, visiteurs, tous gens fort peu nécessiteux, les spécimens artistiques qui sont exhibés, presque toujours des merveilles et des raretés, enfin souvent, le soleil qui inonde la place et la chaleur qui enveloppe la ville, un climat digne de celui des tropiques en saison sèche, donnent à Bâle et à sa foire un caractère ouvertement exotique, et c’est là chose bien étrange qu’à l’ère de la globalisation, c’est-à-dire de la négation des différences et de l’uniformisation des modes de vie et de pensée, en un mot de l’entropie libérale, l’exotisme ne puisse plus se trouver que dans un pays comme la Suisse, parmi une meute de gens outrageusement fortunés. Donc, esthétique de container à l’extérieur mais propreté extrême à l’intérieur. Un bâtiment schizophrène complètement replié sur lui-même, mais très soigné quant au dedans. Moquette pour rendre la déambulation douce, éclairage harmonieusement distribué pour tamiser les propos et affiner les perceptions, personnel d’entretien prévenant qui ramasse le moindre papier dès qu’il choit à terre, presqu’au vol, jolies jeunes filles portant de jolies robes pour faire joli dans les galeries et servir des cafés, des pâtisseries ou des plateaux de sushis quand les maîtres des lieux ont un petit creux. L’Art peut créer des petites ou des grandes faims et même de la gourmandise chez certains. Un ami du petit homme bleu, un peu médecin lui aussi et artiste à ses heures, et qui l’accompagnait dans sa visite était tellement impressionné par les jolies robes qu’il déclara vouloir en faire une série, série photographique s’entend, et tirer des clichés de toutes les femmes qui passaient, à condition qu’elle soit en robe bien sûr. Tandis que les heures s’égrenaient, ce qui n’était jusqu’alors qu’un ruisseau de visiteurs se mettait à enfler, à grossir comme un torrent, s’écoulant jusque dans la moindre contre-allée, bouillonnant dans le moindre recoin, allant même jusqu’à former de grosses poches tourbillonnantes, des vortex, en certains endroits bien précis, les stands importants, ceux des grosses galeries américaines et allemandes peu chiches en spectacles à donner et qui exhibent des travaux massifs, loin d’être toujours des œuvres insurpassables, toiles géantes et criardes, sculptures racoleuses, esthétique de parvenus. Pris dans le flot presque grondant un chinois trapu et fier se figea, comme s’il venait de rencontrer un rocher sur son chemin, devant un immense tableau aux couleurs criardes exhibé par l’une de ces galeries. C’était là le fruit du labeur d’un peintre chinois et, au même titre que les Allemands n’aiment que les artistes allemands, les Américains que les artistes américains, eh bien les Chinois n’aiment que les artistes chinois. Il est pour le moins paradoxal que la pire bourgeoisie globalisée, mondialisée, cosmopolite, soit prise de telles bouffées nationalistes dès qu’il s’agit d’Art. Moi je dirais qu’il y a quelque chose comme de la perversion là-dedans. Littéralement fasciné, le Chinois envoya d’un signe de tête son assistante, une jeune fille vive et un peu vulgaire, se renseigner sur le prix. On lui signifia à la jeune fille qu’il fallait compter dans les cinq millions de dollars, ce qui correspondait effectivement aux dimensions du tableau mais apparemment pas aux disponibilités du patron chinois auprès duquel la jeune secrétaire s’empressa de revenir et qui marqua son désappointement en tournant le dos dédaigneusement. A dire vrai, ce n’est pas à la foire que se traite les grosses affaires, celles qui mettent en jeu les millions de dollars, et ce n’est pas le badaud qui coule et se coule dans la rivière visiteuse, aussi fortuné soit-il, qui peut s’approprier de tels trésors. Non, tout se joue par d’énigmatiques échanges, téléphoniques ou autres, lors de secrètes rencontres en marge de la foire, au cours de mystérieuses entrevues dans les salons feutrés des grands hôtels de Bâle. A la foire on ne fait qu’exhiber sa fortune, sa puissance, sa reconnaissance par les acheteurs qui comptent, on se frotte les bois dans un brame sublime, on parade parmi les gens du même monde, de la même espèce pourrait-on dire.

    L’après-midi, durant les deux heures qu’il consacrait à la foire, calé dans le fauteuil qu’on lui avait réservé au stand de sa fondation, Ernst contemplait son œuvre et le troupeau des galeristes en arborant toujours ce même étrange sourire qui lui déformait la bouche et alimentait son regard d’une flamme un peu cruelle. Que restera-t-il de tout ceci après lui ? Qui sera capable de ramasser son éblouissant flambeau quand il ne sera plus là ? Vous verrez, disait-il souvent à propos de sa galerie, vous verrez, je ne donne pas un an avant que tout s’arrête, avant qu’ils ne liquident tout, quand je serai parti. Ici aussi, à son stand de la foire, nombreux étaient ceux qui venaient timidement le saluer ou bien encore, avec une fausse désinvolture qui ne pouvait tromper personne, échanger des considérations sur l’état du marché, car on ne le répètera jamais assez : pour ces gens l’Art n’est qu’un marché et l’œuvre d’art le meilleur des placements possibles. Et pourtant, au-delà des Koons, Hirst et Murakami, provocateurs à juste titre de ce marché, ils sont bien là, tous les représentants de la modernité et de la postmodernité passées, créateurs dans la passion et parfois dans la douleur, et il y a quelque chose de tragique à les voir objets de si vilaine convoitise, à assister à la réification pauvre des créatures nées de leurs si brillants esprits. Le large atrium central du palais des expositions, palais plutôt que parc car on ne saurait parquer les riches, nous ramène aux Caraïbes et à leurs plages de luxe. Dans ce vaste cylindre, un puits de lumière très large, on se détend bien sûr mais surtout on s’y montre, on s’y rencontre, on s’y reconnait ou bien on s’y ignore savamment, car dans ce monde il est important de savoir ignorer, on y fait la course au parasol et à la chaise, on y entretient son bronzage aussi quand le temps le permet, et ce jour-là il le permettait, on y mange des saucisses arrosées de champagne ou bien une assiette de paella, et les serveurs des buvettes qui sont installées là alignent fièrement les bouteilles renflées qui ont été vidées. L’atrium du palais des expositions, avec ses parasols et ses buvettes, est un emplacement stratégique, un lieu essentiel de l’Art Fair. Le petit homme bleu regardait la bataille pour les chaises et les parasols d’un œil ironique tout en croquant une grosse saucisse.

    J’adore la saucisse suisse, déclara-t-il, car c’est une saucisse démocratique. Elle a un goût qui plait à tout le monde, pas trop fort sans pour autant être fade. Les Suisses attachent une grande importance à la fabrication de leurs saucisses, savez-vous ? En Suisse, la saucisse c’est tout un art.

    Tandis que les heures s’égrenaient, que le torrent des visiteurs se répandait en tout lieu menaçant de tout emporter sur son passage, l’air paraissait s’épaissir en même temps qu’il devenait électrique. Du côté des galeristes on se disait content, on jubilait presque, car la foire avait démarré on ne peut mieux. Le volume des affaires traitées étaient déjà très important, l’argent rentrait bien, quelques dizaines de milliers d’euros, de dollars, de francs suisses par-ci, une centaine de milliers par-là, et de précieux contacts avaient été pris. L’un d’entre eux, marchand d’art important de la place de Paris qui ne travaillait qu’avec de très grosses signatures, l’un des pèlerins les plus fervents du n° 9 de la Bäumleingasse, ventripotent et gros fumeur de gros cigares, vint relever le compteur de son stand opulent, accompagné d’une femme très grande et très blonde, élégante à l’excès et visiblement anorexique. Après que la grande blonde se fut penchée pour lui faire une bise sur les deux joues, l’homme de confiance de l’amateur de cigares très gros et de femme très maigre lui fit un rapport circonstancié sur les derniers évènements. Des Espagnols sont venus et ont marqué un très vif intérêt pour le grand Scully que l’on a. Ils ont dit qu’ils reviendraient mais ils ne sont toujours pas repassés, et il commençait à s’inquiéter, lui, l’homme de confiance, car les Espagnols ont pu s’intéresser à quelque chose d’autre ailleurs, dans une autre galerie, et ce serait bien dommage car c’est vraiment un grand Scully, mais il y en a d’autres ailleurs des grands Scully, et aussi bien d’autres choses encore. Le Parisien à la blonde ne sembla pas vraiment inquiet. Il était même enjoué, atmosphère de foire, air de fête. Mais il faisait chaud, vraiment très chaud, et il transpirait beaucoup, et puis il était un peu fatigué avec tout ce monde et tout ce bruit, aussi s’effondra-t-il dans un gros fauteuil de cuir en soufflant comme un cétacé. Il est surprenant de constater que les hommes riches et puissants, affairistes ou politiques, sont toujours accompagnés de femmes blondes, vraies ou fausses, naturelles ou artificielles, comme si la blondeur exaltait ou justifiait leur soif de conquête, comme si seules les mèches blondes leur permettaient d’essuyer suavement leur bouche trop avides. A voir tant de belles choses les gens finissaient par acheter, pas le Scully évidemment, c’était un véritable mur de peinture, mais des oeuvres bien plus petites et, à mesure que les heures s’égrenaient, on voyait des pastilles de couleur, des petits points oranges ou rouges, fleurir sur les murs à côté de la plupart d’entre elles signifiant qu’une sérieuse option d’achat avait été prise sur elles ou bien qu’elles avaient déjà été vendues. L’Art développe chez beaucoup non pas le goût du beau, ou pas seulement, mais l’instinct le plus sauvage de propriété. Il existe des frénétiques qui se désagrègent totalement dans cette forme particulière de consumérisme. On appelle ces gens des collectionneurs, même si bien souvent ils se contentent de décorer les murs de leurs salons, et ce sont eux qui font surtout vivre les petites et moyennes galeries. Ici, une dame qui venait d’acheter une petite toile que le marchand lui avait prestement emballée la pressait contre son cœur comme si elle avait peur qu’on la lui arrachât des mains. Là un couple jubilant de personnes âgées se dirigeait vers la sortie à grandes enjambées, bien qu’ils fussent l’un et l’autre de petite taille, avec un gros paquet tenu bien serré sous le bras. Ailleurs, un autre couple présentant une grande différence d’âge, l’homme étant l’aîné de la femme, hésitait devant deux tableaux en relief de Ben Nicholson, l’homme en préférant un, la femme l’autre, le plus cher. C’est la femme qui l’emporta bien sûr car dans ce monde le plus cher est nécessairement le plus beau. De tout côté on faisait étalage de fausse science, de savoirs approximatifs, de goûts discutables. Partout on s’affichait, on discutait en connaisseur, croyait-on, on marchandait, on achetait ou on demandait un temps de réflexion avant l’achat. Le consumérisme comme un feu dévorant embrasait tous les cœurs. La chaleur, le désir et l’orgueil empourpraient tous les visages. Le fait d’aimer quelque chose ou quelqu’un doit-il nécessairement se conclure par un acte d’appropriation ? Ne s’agit-il pas uniquement d’un désir, d’un caprice, l’un et l’autre fugaces, destiné à se dissoudre dès que satisfait ? Que peut-il bien rester de l’esprit alors que ses créatures ne sont plus que des marchandises, lorsque les œuvres d’art ne sont plus que de beaux objets à exhiber dans un salon bourgeois ? Pourtant cette foire est un musée très beau, très beau et tout à fait mort, mais l’âme de l’Art a fuit ce lieu depuis longtemps déjà. Le petit homme bleu était lui aussi très content. Il venait de dénicher une galerie qui exposait trois imposantes sculptures d’Henri Laurens dont deux en béton, et il me tira un peu par la manche afin que je l’accompagne pour les contempler. Il était émerveillé et c’était attendrissant de le voir caresser du regard les anguleuses rondeurs des  beautés « laurentines », comme il disait. Tandis que les heures s’égrenaient, celle de la fermeture finissait par approcher évidemment et la tension baissait sensiblement. Depuis longtemps déjà Ernst avait quitté son trône d’observation ce qui, à tout autre moment, eût été ressenti comme un vide un peu terrifiant car Ernst était l’âme de LA foire, mais de petit charriots circulaient dans les allées distribuant sur leur passage aux jolies jeunes filles aux jolies robes des bouteilles de champagne car c’était l’heure où les grands fauves fatigués des galeries veulent boire. Ce n’était plus alors que pétarades de bouchons sauteurs, ris des jolies jeunes filles aux jolies robes, et forfanteries bruyantes des propriétaires des stands. Le petit homme bleu lui-même s’en était allé avec son ami qui avait fait ample provision de clichés de jolies robes.

    Sur la grand place devant le palais des expositions, Messeplatz, qui n’est pas la place primordiale de Bâle puisque trop récente et que c’est la place du marché, Marktplatz, avec son hôtel de ville tout rouge orné des figures dorées de la légende cantonale et une manière de lansquenet gardant sa grosse horloge, qui remplit légitimement cette fonction historique, il continuait de faire très chaud bien que l’après-midi toucha à sa fin. Le flux mourant des visiteurs se déversait sur la place et certains déjà trempaient leurs pieds échauffés dans le bassin que l’on avait installé là pour la circonstance, c’est-à-dire pour LA foire, tandis que la majorité se lançait à l’assaut des terrasses de café ou attendait sans impatience aucune les tramways. Nul ne prêtait véritablement attention à cette femme, encore jeune, bien mise et toute frêle accompagnée de sa petite fille, et qui allait de table en table, de groupe en groupe, s’adressant aux gens quelquefois en Français, quelques fois en Allemand, quelquefois en Anglais, et toujours très poliment, pour leur demander juste un tout petit peu d’argent afin que sa fille et elle-même puissent manger ce jour-là. Irruption sur Messeplatz d’une autre réalité du monde, et même d’un autre monde, et même de la réalité tout court, et ce jour là je me disais, en attendant le tramway, ce que je me dis souvent en regardant les grands désordres continentaux de notre époque, que depuis longtemps Europe avait perdu toute innocence.

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    Ce matin là, à Bâle, au numéro 9 de la Bäumleingasse, ça n’allait pas très fort. Il y eût sans aucun doute des matinées bien pire, avant et par la suite, mais tout de même était entrain de se jouer ici, ce matin-là, une scène d’une pièce somme toute assez dramatique. Quelqu’un venait de sangler Ernst sur un petit siège métallique au pied du grand escalier de chêne puis avait appuyé sur un bouton. Ernst avait ainsi gravi le grand escalier de chêne, après un léger hoquet au démarrage, et dans une espèce de frêle et bizarre sifflement mécanique propre à ces machines électriques quand on les active, et deux personnes, probablement des infirmières, avaient récupéré Ernst au premier étage et, après l’avoir libéré de son lien l’avaient prestement saisi par le dessous des bras. Ernst se tenait là, plié en deux, comme suspendu par les aisselles, et redressait tout de même la tête pour considérer les très rares personnes présentes lors de sa pathétique ascension. Même si de sa bouche entrouverte coulait un peu de bave que l’on se pressa d’essuyer avec un petit mouchoir de doux coton, Ernst avait conservé son regard carnassier. Il regardait les gens avec cette espèce de rictus qui m’avait toujours surpris chez lui, sourire franchement effrayant pour une âme sensible, en faisant tourner sa tête de droite et de gauche pour avoir une vision de toute l’assemblée. Seule sa nuque paraissait articulée mais Ernst proclamait encore, silencieusement, « c’est moi le propriétaire des lieux ». Une dame dit à l’oreille de sa voisine sur un ton d’effroi mais discrètement quand même « Mon Dieu ! Dans quel état il est ! ». L’austère bâtisse de la Bäumleingasse était une église, on l’a déjà dit, une basilique, une cathédrale, la fosse oraculaire de la Pythie delphique. Au fond de l’une des pièces du premier étage, il y avait comme un trou dans le plancher qui donnait accès à un escalier métallique très étroit et en colimaçon. Quand on l’empruntait, avec une légère appréhension car l’escalier était vraiment raide et un peu branlant, on débouchait dans une pièce rectangulaire, une sorte de crypte bien que l’on soit en rez-de-jardin, mais toute cathédrale dispose d’une crypte, où Ernst exhibait quelques trésors de sa collection personnelle, des bouts d’étang à Giverny, Monet évidemment, des feuilles de plomb maculées de sable et de terre de Kieffer, un découpage/collage de Matisse, et aussi une gigantesque bulle bleue de Sam Francis, le tout d’une valeur inestimable, une peccadille pourtant par rapport aux merveilles de Riehen. Bien qu’à quelques mètres au dessus de la crypte, il était clair que Ernst ne pourrait plus contempler ses richesses. Ernst, probablement le plus grand galeriste du monde, l’un des hommes les plus riches, l’expert le plus écouté, frère ou fils de la Pythie de Delphes, l’ami de Picasso, adoré par les femmes dans un temps de grande prestance, envié par les hommes et sans doute craint par certains, vénéré par beaucoup et inévitablement détesté par d’autres, couvert d’honneurs par les Etats, n’était plus en état de visiter sa propre maison. En haut du grand escalier de chêne, soutenu par les aisselles, comme flottant artificiellement dans l’air, Ernst, ange aux ailes brisées, promenait son regard d’acier sur la poignée de visiteurs, la bouche déformée par son sourire carnassier, dans un ultime défi. La dame que j’accompagnais ce matin-là me glissa à l’oreille « Regarde ! Regarde ! En voilà une grandiose Vanité ! ».

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    Je racontais aussi au Maître en modernité une étrange visite que je rendis au n° 9 de la Bäumleingasse quelques mois après la mort de Ernst. J’avais poussé la porte entrouverte comme une invitation à pénétrer dans le large corridor silencieux. Les murs étaient incroyablement vides à l’exception d’un grand portrait en noir et blanc de Ernst pris du temps de sa splendeur, le portrait officiel en quelque sorte avec un Ernst souriant sérieusement et dont le regard de prédateur avait été adouci, portrait dont l’un des angles était coché par l’inévitable ruban de velours noir. Au pied du grand escalier de chêne, le petit siège métallique, celui qui permettait de hisser Ernst à l’étage, demeurait dérisoirement accroché, vestige d’une période pénible. Je traversais le saint des saints. Partout du vide et du silence. On liquidait la galerie et les splendeurs de la crypte, la grosse bulle bleue de Sam Francis, le bout d’étang de Giverny, le découpage/collage de Matisse, les plaques de plomb maculées d’Anselm Kieffer, avaient disparu, probablement déjà vendues. Le centre du monde, l’Omphalos, s’était déplacé. Le n° 9 de la Bäumleingasse n’était plus qu’une dépouille creuse, comme une mue d’insecte que Ernst aurait abandonnée, dont il s’était allégé, au moment de franchir à son tour le seuil.

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    In Memoriam Ernst Beyeler !


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