• Regard sur "Tiens", revue insaisissable

    M. Lochu

    On ne sait trop d’où elle sort, au début son adresse était à Martigné sur Mayenne, ensuite au Mans, maintenant dans la campagne ornaise. Cependant cette revue culturelle qui s’appelle Tiens se veut assez mayennaise pour mériter d’être ici sans être jamais tout à fait quelque part.

    Depuis 1996, 13 numéros de cette revue quasi clandestine ont vu le jour. À son actif, la redécouverte du philosophe Jean-Marie Guyau, natif de Laval. Inspirateur de Nietzsche, de Kropotkine, de Proust, l’auteur d’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction est depuis lors réédité et des études lui sont consacrées. Tiens s’est fait rattraper, engloutir par son sujet.

    En montrant leurs œuvres, en leur donnant la parole, Tiens fut aussi le défenseur d’artistes comme L. Vignais, S. Paillard, M. Girard, J. Sciuto, E. Dambès, aujourd’hui Barbâtre. Des dossiers sur J.-P. Bouvet, sur J. Reumeau, figures très marquantes du paysage lavallois, furent présentés.

    J.-C. Leroy qui anime la revue se contente de suivre ses goûts, il publie ses amis écrivains et les travaux de ses amis peintres, il partage son plaisir, ouvre sa maison hantée.

    Ainsi des lecteurs aventureux y ont lu des inédits de M. Moreau, J. Josse, R. Char, P. Repusseau, Y. Serouge.

    Dans le n° 13, en librairie depuis fin février, hommage spécial à Barbâtre, peintre installé à Paris depuis les années 60 mais dont l’enfance et la jeunesse sont imprégnées de l’univers lavallois. Il a connu J.-P. Bouvet, H. Trouillard, J. Reumeau et R. Tatin. À travers deux entretiens où l’artiste essaie de formuler ces questionnements de peintre, son parcours et ses admirations, on découvre un chercheur inlassable dont l’œil est toujours fringant.

    Dans ce n° 13 on lit aussi, entre autres, le poète G. Benoit, lui-même animateur de la revue et maison d’édition Mai hors saison. Il oppose ici l’évidence du néant à la corrosive transcendance : je crève encore du jour d’après/indispensable à notre nouveauté.

    D’aucuns la trouvent austère, absconse, prétentieuse, pourtant les dés sont jetés, Tiens existe depuis 10 ans, on n’y peut rien. N’attendez pas que les médias locaux se fassent l’écho d’une si mesquine concurrence. Ouest-France, Le Courrier de la Mayenne, France-bleue-Mayenne ont d’autres et importants derrières à lécher. Ils le font très bien, l’odeur nous renseigne.

    Par ailleurs, la librairie Siloë confesse n’avoir vendu un seul exemplaire du n° 12, consacré à Y-C. Teicher, violoniste de Chorda-Trio.

    La revue ne propose pas d’abonnement, elle paraît quand elle veut, les lecteurs semblent dégotés selon un procédé aléatoire. Elle dégoûte franchement de toute réclame. Aussi, la revue Tiens étant insaisissable, si vous la trouvez, empoignez-la, et qu’on en finisse ! 
    M. Lochu
    in Le Mouton fiévreux (2e série) n°3 (2006).