• Sur le perron du presbytère (avec André Bernold)

     Jean-Claude Leroy     

    La Haie-Traversaine, le curé et sa bonne), 1955.Cette photo date de 1955. Elle est prise (par qui ?) sur le perron du presbytère de La Haie-Traversaine, la minuscule commune où j’ai grandi. On voit l’abbé Ernest B. et Marie (sa bonne, dont le nom de famille n’est pas noté sur le verso de la photo)… André, avise la prospérité du curé. La modestie de la bonne. Les corps parlent. 

    André : L’abbé n’est pas seulement prospère ni la bonne seulement modeste. Lui est plus grand que la moyenne, elle, petite comme la plupart des femmes du peuple à l’époque, ce qui, bien entendu, correspond à une certaine alimentation. Mais l’abbé a dû faire un long et dur service militaire, et ne mangeait sans doute guère plus de viande que sa bonne. Ils se rejoignent en un point pour nous difficile à définir aujourd’hui et qu’on ne peut désigner que très approximativement, car plus rien autour de nous ne correspond au degré d’accomplissement pour nous largement incompréhensible qu’ils ont atteint chacun pour son compte et à sa place hiérarchique, mais dans un espace malgré tout partagé et dont nous ne disposons plus. Quelque chose situé entre la dignité et la beauté. Les deux sont beaux. D’une certaine manière c’est un couple, mari et femme. Là-dessus, les laïcards vont hurler à la mort, les féministes aussi, et nous dégoiser le catalogue: frustrations, perversions, soumission, sublimation, sado-maso choso, blah blah blah, je mets le H, à l’américaine, car tel est mon bon plaisir. Oui mes amis. Oui oui. Mais yapakla libido dans la vie, et tout ce qui hélas s’en suit, et dont vous oubliez de parler, l’absence de sérénité, par exemple. Je peux difficilement, protestant alsacien minoritaire, passer pour un clérical. Mais je comprends cette image avec plus de sympathie qu’une photo de mariage standard d’aujourd’hui, ou pire la piste de danse d’une boîte fréquentée par des Sup’de Co’. Les vieux qui entouraient mon berceau et plus si affinités étaient tous exactement comme ça, à l’autre bout de la France, avec un autre langage et un autre culte. C’est eux qu’on a tués d’abord, et maintenant, c’est nous qu’on tue. 

    Jean-Claude : oui, c'est vrai qu'ils font couple,  j'ajouterais qu'il y a là, effectivement, une dignité un peu solennelle,  une expression fière (venant de loin) qui aujourd'hui n'apparaît plus (oublie d'apparaître ?) sur les instantanés que nous produisons à la pelle et que tous accumulons pour rien. J'aime tant ces vieilles images où le photographié regarde vers le petit oiseau et se tient debout sans bouger (vitesse d'obturation assez lente (1/30 s ? vitesse lente des films d'époque, mais aussi une sorte de respect devant l'au-delà) ! Cela semble fait pour un ethnographe à venir, un être venu d’une autre planète considérer l'espèce humaine. Ah elle est bien bonne ! mais au fond en quoi est-ce si extravagant ? En poussant un peu la plaisanterie, je dirai bien que ce type de photo est la preuve que les extra-terrestres nous regardent, et que nous sommes assurément les seuls à n'avoir rien d'extra... 
    J’ajoute encore, plus positivement, que ce presbytère, je l’ai fréquenté une dizaine d’années plus tard. C’est là, dans la pièce à gauche en entrant, que se tenait l’harmonium, et pas un cours de catéchisme qui ne commençait par un peu de musique, le père Coupé voulait chanter et nous faire chanter. Il jouait par ailleurs de l’orgue à la basilique Notre-Dame de Mayenne (celle qui n’a pas brûlé). La musique était sa passion, il vénérait un certain… J.S. Bach. Comme toi !

    3 février 2020, Mediapart


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