• Tony Duvert, l'enfant silencieux

    Carnet de veille

     
     










    Tony est mort en juillet et son corps a patienté un long mois. Tout comme en lui l'écrivain était mort des années plus tôt, vingt ans plus tôt, livrant un vivant à la pourriture dans une campagne française. Un homme a vécu ce supplice d'être mort vivant. En septembre, j'ai appris la nouvelle. Des années plus tôt, j'avais formé le projet de le retrouver. C'était une naïveté de ma jeunesse, cette visite que je n'ai jamais accomplie. Que lui aurais-je dit. Quelle parole aurais-je pu lui apporter quand ses rares amis ne parvenaient plus à l'atteindre. Pourtant, à présent qu'il était mort, je sentais que je devais accomplir quelque chose, que la nouvelle de sa mort attendait de moi un acte, un geste signifiant, que les restes puants de son cadavre demandaient réparation. Comme si ce corps avait pourri hors des remparts de la ville et sans sépulture. Comme si cet homme avait été un frère. Faire quelque chose, mais quoi.

    […]

    Personne, me dis-je, n'avait donc su où serait l'enterrement de Duvert. Personne n'assisterait à la cérémonie. Personne n'avait été sollicité pour le faire. Dans la plus stricte intimité prenait ici tout son sens. Personne à part ce frère mystérieux dont un journaliste M'avait parlé comme d'un secret bien gardé et sans que j'en sache davantage. La famille se refermant sur Tony, dans la plus terrifiante des intimités. Ce qu'il restait du corps avait été incinéré. On avait brûlé Tony, on en avait fini avec lui, on ne lui ferait pas même un procès, il n'aurait pas le droit au San Benito. Qu’en avait-on fait ensuite. Existe-t-il un endroit, mais ce n'était pas dans le village où il s'était retiré, ni dans sa ville natale, où lui rendre visite. Un columbarium attendait-il quelque part. Une urne pleine de ses cendres était-elle posée sur une cheminée de campagne, avec son prénom écrit en doré. Non, me dis-je, il n'était pas même certain à présent qu'on puisse aller se recueillir sur ses cendres. Le grand escamotage avait eu lieu.



    Gilles Sebhan, Tony Duvert, l'enfant silencieux
    Éditions Denoël, 2010
     

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