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Un pur poète, «un clou rouillé», Paul Valet, l’inaliénable
« Au moment où les modèles du sage et du saint me perturbaient jusqu’au mutisme, Paul Valet m’a redonné les couleurs du poète, la singularité de sa fonction. »
Guy Benoit1Au début du vingtième siècle, il grandit à Moscou et en quatre langues, dévore les romanciers russes, devient pianiste virtuose, donne des concerts en Russie et en Pologne, son talent d’instrumentiste promet beaucoup. Lycéen en 1917, il est aussi témoin des deux révolutions, celle de février et celle d’octobre. Il va aux meetings écouter Lénine, Trotsky, Zinoviev, Kamenev (« tous ceux qui seront supprimés durant la période stalinienne2 »). Les biens familiaux sont bientôt saisis par le nouveau régime – son père en éprouve d’ailleurs un certain soulagement, heureux de n’avoir ainsi plus de soucis (cette abnégation illustrant parfaitement, aux yeux de son fils, l’âme russe). Ils partent vivre en Pologne, d’où sa mère est originaire, mais le régime politique s’avère impossible, le jeune homme finira donc ses études en France, études de médecine en l’occurrence, et tombera amoureux de ce pays au point d’en prendre assez vite la nationalité. Appelé au service militaire, il est une forte tête, d’abord médecin-auxiliaire, le voici dégradé, il finit simple soldat. En 1936, il s’installe comme médecin généraliste à Vitry-sur-Seine, dans la banlieue ouvrière.Seul
Pour retrouver le juste mot
Il faut passer où nul ne passeJours sans recours
Nuits sans sursis
Aubes sans réponse 3La guerre survient, il est envoyé dans le « trou de la Sarre » d’où il évacuera les blessés de son bataillon en juin 1940, après l’attaque allemande. Démobilisé, installé avec sa femme et son fils au Puy en Velay, il devient médecin à partir de 1941 des soldats alliés parachutés en Auvergne pour y préparer les premières caches d’armes. En lien avec un émissaire du général de Gaulle il implante en Haute-Loire et dans le Cantal le mouvement « Libération », durant toute la durée de la guerre il exerce diverses fonctions parmi les plus hautes dans la résistance. Sa tête est mise à prix par la milice. Le temps du maquis et de la clandestinité, de la vie sauvage et solitaire, est un temps qu’il a aimé, mais dont nul ne revient vraiment, sinon irrécupérable, d’autant que cette guerre signifiera aussi pour lui la disparition de ses parents et de sa sœur dans les chambres à gaz d’Auschwitz.Être debout sur la brèche du temps et regarder en bas. C’est plein d’hommes, pucerons et punaises. Et ça grouille, et ça se chatouille, et ça fourmille, et ça frétille, comme si de rien n’était. – Sublime est la tenue de la catastrophe quand tout oscille imperceptiblement avant de crouler. 4
Comme la musique, ou la peinture, qu’il pratique également, l’écriture est chevillée très tôt en lui, c’est pourtant après cette longue saison souterraine de combat et d’âpreté que Georges Schwartz prend un nom d’auteur, Paul Valet, et entreprend véritablement d’écrire. Et c’est en 1947, alors qu’il a retrouvé son cabinet et son domicile de Vitry-sur-Seine, qu’il publie un premier recueil chez Guy Levis Mano, avec qui il s’est lié d’amitié. « Valet », comme serviteur de la parole, de la poésie 5, ou serviteur de Dieu 6. En dehors de toute église et tout dogme, il appelle, on dira qu’il crie. Il y a là le vécu et les profondeurs du risque, car on ne la lui fait pas. C’est une poésie franche, sans hésitations, sans apprêts, d’une écriture bouillante, qui se tient par sa brièveté, son flanc lapidaire, ses contradictions, ses blessures. Cependant, après une période féconde et des recueils chez GLM ou au Mercure de France salués par Pascal Pia, Maurice Nadeau ou encore Maurice Saillet, il reste de longues années sans plus rien écrire, traduisant plutôt le Requiem d’Anna Akhamatova et des poèmes du jeune Joseph Brodsky, futur prix Nobel.Je pense
Donc je fuisJe tremble
Pour ne pas m’incruster
M’encrasser avec hargneToute une vie mal partie
Comme la suite
D’un petit cri nouveau néRamasseur d’immondices
Éboueur impeccable
J’irai loin dans le tempsC’est l’Opaque qui nous tue
Quand nos morts transparents
Nous traversent sans nul bruitPas d’aphorismes
Mais PAROXYSMES
perce-trouvaillesBulldozers. 7
L’être saccage l’avoir
* * *
Dans chaque vaincu
pointe le sacré* * *
Dans chaque meurtrière
saigne la lumière 8Ni grec ni juif ni gaulois ni chinois ni catholique ni protestant
ni figue ni raisonRien du tout
Un clou
Un clou rouillé
Un clou sauvage
Un clou de sabotage
Engagé volontaire
Dans votre chambre à air 10Deux parutions récentes et complémentaires nous arrivent des éditions Le Dilettante et Gallimard, qui nous donnent l’occasion de lire ou relire Paul Valet, un poète radical qui sait parler au monde, à ceux qui aiment les grands remèdes pour les grands maux. Deux compilations qui reprennent à elles deux les textes essentiels d’une œuvre ramassée, percutante, utile, avec pour le volume du Dilettante un ensemble inédit : Translucide.
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Paul Valet, Que pourrais-je vous donner de plus grand que mon gouffre ?, Le Dilettante, 2019. 17€
Paul Valet, La parole qui me porte, Poésie/Gallimard, 2020. 7,50 €Sur le site des éditions Le Dilettante
Sur le site des éditions Gallimard1) in Un sombre rayonnement, Cahier Paul Valet, Le temps qu’il fait, 1987.
2) Entretien avec Paul Valet, mené par Guy Benoit in Cahier Paul Valet, op. cit.
3) in La parole qui me porte, Mercure de France, 1965 & Poésie/Gallimard 2020.
4) in Solstices terrassées, Mai hors saison, 1983, repris in Que pourrais-je vous donner de plus grand que mon gouffre ?, Le Dilettante, 2020
5) Entretien avec Madeleine Chapsal, L’Express, 15 août 1963, repris in Cahier Paul Valet, op. cit.
6) Entretien avec Paul Valet, mené par Guy Benoit in Cahier Paul Valet, op. cit.
7) in Paroxysmes, Le Dilettante, 1988.
8) in Mémoire seconde, Mai hors saison, 1984, repris in Que pourrais-je vous donner de plus grand que mon gouffre ?, Le Dilettante, 2020.
9) Jacques Lacarrière, Paul Valet, Soleils d’insoumission, éditions J-M Place, 2001.
10) in Sans muselière, GLM, 1949.
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