• Gwenn Audic

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  • Denis Schmite 

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  • André Bernold             Julien Bosc

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  •  Julien Bosc

     

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  • André Bernold

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  • Ce matin-là, je n’aurais peut-être pas dû intervenir dans leur histoire : elle était en retard selon lui, ce en quoi il n’avait pas tort mais qu’importe. Il commença par l’injurier puis, retrouvant tout à coup des forces irrémédiablement disparues, il serra sa gorge afin de l’étrangler. Le désespoir de cet homme était compréhensible, je ne me sentais pas concerné mais quand la jeune femme a dit mon nom - elle ne me connaissait pas pourtant  - je me suis levé, ai violemment cogné la tête de son ami contre les barreaux du lit afin qu’il la libère. Il devint aveugle le lendemain. Dès lors, il garda son visage ostensiblement tourné vers moi, les yeux ouverts. Il est mort trois jours plus tard, en vomissant du sang, en conchiant et compissant ses draps. Je ne dis pas cela par goût du morbide mais parce que cet anéantissement continue de m’horrifier. En en parlant, j’espère pouvoir y échapper, vivre plus tranquillement ces derniers jours . Mes plaies s’étant cicatrisées, on m’invita à sortir. J’aurais aimé rester, j’étais faible encore, mais l’on m’a fait comprendre que ma présence était devenue gênante. Je n’avais nulle part où aller, vraiment très peu d’argent. À nouveau la rue me fit peur. J’ai marché. C’était l’hiver, j’avais froid. Dans une avenue, je suis passé devant un café. Derrière la vitre une jeune femme était assise. Elle était très pâle. Sur la table, placée devant elle, une tasse de lait chaud, un feuillet sur lequel elle était en train d’écrire. Je l’avais immédiatement reconnue. Je suis resté sur le trottoir, non pour l’observer mais pour la réaliser. Lorsqu’elle leva les yeux, me vit, elle ramena brusquement la main sur sa bouche. Elle avait dû crier. Mais, d’où j’étais, je ne peux rien affirmer, même si aujourd’hui j’ai des raisons de croire qu’elle n’a pas crié. Je ne lui avais pas fait peur : la surprise de me voir avait été violente, c’est tout. Elle se reprit néanmoins assez vite et d’un signe de tête m’invita à la rejoindre. J’étais à peine assis qu’elle eut ces mots manquant me faire perdre connaissance : “Pourquoi m’avez-vous suivie ?” C’était une question impossible. Elle ne l’a peut-être pas posée. Devant ma détresse elle eut la décence de ne pas insister. Par contre, elle me donna le feuillet en disant que c’était une lettre écrite à mon adresse avec l’intention de l’envoyer le jour même à l’hôpital. J’ai alors compris combien elle regrettait de me voir déjà dehors. C’était une réaction naturelle, aussi ne lui en ai-je pas voulu. J’ai brûlé cette lettre avec d’autres papiers. Je voulais m’en défaire. Hélas ! je me souviens de chaque mot. Je ne suis pas en droit d’en dévoiler les termes, mais au détour d’une phrase elle avait écrit ne jamais pouvoir me pardonner de lui avoir sauvé la vie. Quand nous sommes sortis du café, il était déjà tard : c’était la nuit. Nous avons longtemps marché, sans mot dire, d’un même pas, jusqu’à l’épuisement. Elle, je n’ai jamais su, mais moi je n’avais rien d’autre à faire et si
    Tyohèpté Palé est un grand sculpteur de la région de Gaoua*. D’après sa carte d’identité, il serait né en 1915, aurait donc 84 ans. Il vit en famille dans une maison traditionnelle construite en banko. Nous nous sommes connus en 1996 lors d’enquêtes ethnographiques relatives à l’ethno-esthétique lobi - enquêtes qui, s’inspirant des travaux précurseurs de Michel Leiris dans les années soixante, portèrent tant sur la statuaire que la poterie, la vannerie ou les parures du corps et ce en vue de démontrer l’étroite dépendance qui a cours entre valeur ou sentiment esthétique et valeur d’usage. M’attachant à retracer sa biographie, j’ai décidé, au mois de décembre 1998, d’aller m’entretenir avec le plus âgé de ses fils, Thilyouté Palé (il a 40 ans) afin de recueillir quelques-uns des souvenirs qu’il pouvait avoir préservés de son père. Il vit et travaille en Côte d’Ivoire dans une plantation de cacao et café située à Gwèdikpo, soit à quelques 40 kilomètres au nord-est de Codassié sur la route Abidjan-San-Pédro.
        Avant que je n’aille le rencontrer, Tyohèpté a tenu à lui transmettre un message. Il l’enregistra sur mon magnétophone. Je le fis écouter à Thilyoupté qui, par le même moyen, s’adressa à son père avant que je ne retourne le voir. Ces propos, enregistrés, furent ensuite transcrits du lobiri (langue parlée par les Lobi) au français avec l’aide de Pooda Sié Gongone, mon traducteur et ami, lequel m’avait accompagné en côte d’Ivoire. C’est l’intégral de cette traduction qui est ici proposé.
        Sans vouloir m’immiscer en l’une ou l’autre de ces deux paroles - elles se suffisent, me semble-t-il, à elles-mêmes - il me paraît nécessaire d’insister sur le fait qu’elles expriment au mieux les évolutions d’une société particulièrement attachée à des traditions - non pas figées mais dynamiques - qui se voient confrontées à des évolutions historiques qui, sans être, il s’en faut, nouvelles, sont aujourd’hui beaucoup plus marquées et rapides qu’elles ne l’étaient hier.
        Cet émouvant dialogue entre un père et un fils qui ne se sont vus depuis plus de cinq ans, se parlent à distance, témoigne donc également de ce qui est immanent  à toute Culture : ses évolutions ou ses hiatus, ses contraintes ou sa perméabilité, ses adaptations - et, parfois, l’éventualité de sa quasi-disparition parmi les affres de la mondialisation...









    * Constituant une population d’environ 200 000 personnes, les Lobi vivent au sud-ouest du Burkina Faso, aux frontières du Ghana à l’est, de la Côte d’Ivoire au Sud. Cet État est une terre privilégiée de migration soit saisonnière soit définitive où les Lobi sont à peu près 60000.


    Tyohèpté Palé : Je te salue Thilyoupté. Le blanc qui arrive, reçois-le comme moi-même je le reçois ici. Moi, oui, je suis déjà installé. À présent, même si je meurs, je sais que mon nom ira loin. Comme lui et moi nous sommes connus, il a décidé de venir faire ta connaissance. Sans lui, je ne serais pas ce que je suis aujourd’hui. Maintenant, il vient pour te connaître et me donner de tes nouvelles à son retour. Je vous salue tous. Mais, ce que je te demande d’abord, c’est de bien t’occuper de ce blanc.
        Maintenant, écoute. Tu as quitté ce village, et si tu ne t’occupes pas de ta maison, si tu dures longtemps dans l’aventure, le jour où tu te décideras à rentrer au village tu ne sauras où dormir. Tu seras alors malheureux. Vous, mes enfants, si vous avez le même caractère que moi, personne ne pourra vous inquiéter. Mais, je constate que nous n’avons pas le même caractère. À présent, si tu es quelqu’un, il faut t’occuper de ta maison, de ton père, de ta mère et ton nom ira loin.1 Ce que vous faites là-bas, je n’en suis pas mécontent. Il ne faudrait pas que certains puissent penser que je ne suis pas d’accord avec toi par rapport à ce que tu fais. Celui qui ne fournit pas assez d’efforts, c’est son problème, c’est Thangba2 qui n’a pas voulu les voir heureux. Il faut travailler avec courage et ne pas toucher aux biens d’autrui. Dieu vous donnera ce dont vous avez besoin ! Moi, je suis dans cette maison, là où vous m’avez laissé. Si je meurs, vous allez revenir... Je ne suis pas mécontent de vous. Il se devait pourtant que, chaque année, l’un d’entre vous vienne me rendre visite, à tour de rôle. Mais le fait est que vous restez sans me donner aucune nouvelle et que vous ne venez plus me voir. Là, je suis mécontent. Dis leur ceci3 : si tu as un père âgé, il ne faut l’insulter, l’humilier auprès des gens... Vous ne savez même pas s’il manque d’argent. Si je suis malheureux vous ne le savez même pas. Vous êtes là-bas en train de cultiver vos champs sans penser à moi, tandis que si vous étiez ici ce serait dans mon champ que vous cultiveriez. Le mil que vous auriez récolté m’appartiendrait... En restant là-bas, vous ne pensez pas à cela ni ne savez comment je vis ici. Je suis malheureux mais vous ne le savez pas ; je n’ai pas d’argent mais vous ne le savez pas. C’est par là que vous devriez commencer afin que votre travail porte ses fruits.
    Les enfants de mes autres amis ont tous construit une maison au village... Moi, je n’ai vu aucune de vos maisons et c’est pourquoi je ne suis pas content. Travaillez bien en nourrissant de nobles ambitions : pensez à construire une maison ici. Alors, les gens montreront du doigt la maison de mes fils. Même après ma mort on dira que c’est la maison des enfants de Tyohèpté.
        J’avais réservé une parcelle pour les autres4, pour la maison des enfants des autres et ils ont déjà construit. Les fils de Dogbooté ont déjà construit leurs maisons. Il n’y a aucune trace des vôtres. Et je n’ai pas non plus compté les maisons qu’ils ont construites à Gaoua. Quand je vois ce qu’ils ont fait, je suis très content pour eux. À présent, je vous demande de réfléchir beaucoup : si l’homme-là5 arrive, je vous demande de bien vous occuper de lui, il le faut ! Quand il sera de retour il me fera le compte-rendu. À ce moment-là, je serai très content ; je saurai aussi que je suis quelqu’un...
        Un homme a quitté le pays des blancs, je ne le connaissais pas ; il ne me connaissait pas. Je dis que c’est Tangba qui me l’a envoyé. Car si ce n’est pas Thangba, qui l’aurait guidé vers moi alors qu’il y a beaucoup de monde ici ? Pourquoi n’est-il pas aller chez d’autres ? C’est Thangba qui m’a accordé cette chance. En plus, il a décidé de venir faire votre connaissance et vraiment j’en suis heureux. Je remercie le blanc pour son idée. Maintenant c’est à votre tour de me rendre fier de l’accueil que vous lui réserverez. Je saurai alors que j’ai des fils dignes de mon nom. L’un s’appelle Thilyouté ; les autres : Thihuhinté, Fhildité ; Cotunon, et ‘Unfhilé qui est le fils de mon petit frère et est donc aussi mon fils ; une de mes filles c’est Dyogyiléna ; la femme de Thihuhinté s’appelle Nopièra. Je vous salue tous… Comment s’appelle la femme de ‘Unfhilé ?

    Èbagyiléna6 : Nirèbaanan.

    Tyohèpté : Je la salue aussi... Je salue tout le monde... Il ne faut pas qu’on pense que j’en ai oublié ? Je salue tout le monde, tous les enfants...
    Mes bœufs que j’ai, pourquoi suis-je, à mon âge, obligé d’aller les sortir de l’enclos et de faire le berger alors que j’ai des fils qui ont aussi des fils ? Chaque année mes bœufs sont volés. Le dernier de mes enfants est devenu grand aujourd’hui.7 Si vous ne m’envoyez pas un autre enfant, je ne serais vraiment pas content de vous car j’ai besoin qu’on m’aide.

    Pooda8 : Il ne faut pas s’énerver !...

    Tyohèpté : Je ne m’énerve pas, c’est pour les prévenir... Celui qui sait qu’il est mon fils, s’il a trois enfants, il doit savoir que l’un des trois m’appartient et qu’il est mon berger. Ces bœufs ne sont pas à moi seul. C’est à nous tous. Si un malheur vous arrive là-bas aujourd’hui, ces bœufs pourront vous aider. Vous m’avez laissé seul avec ce petit enfant devenu un jeune homme aujourd’hui. Que voulez-vous que je fasse ? Vos enfants sont mes enfants ; sans moi, vous n’auriez pas d’enfants. Je vous salue tous ! Je vous le dis afin que celui qui comprend m’envoie son enfant pour m’aider.
        Celui qui est là, il est élève.9 Au moment de la rentrée, j’ai été obligé de trouver 27 500 F (CFA) ! Si ce n’était pas moi, dans ce pays sec, où aurais-je eu l’argent ? Dis-le à Thilyouté pour qu’il comprenne tout ça. C’est son enfant pour lequel je me bats afin qu’il réussisse. Je ne manque pas de tô10 ; c’est le riz qui est ma nourriture. Quand je n’en trouve pas, je dors sans avoir mangé. Ce n’est pas quelqu’un qui m’interdit de manger le tô, c’est thil* thangba, mon wathil** qui me l’a interdit. C’est à cause du tô que quelque chose advenait à l’un de mes enfants, on dirait que c’est ma faute. Le thil préfère toucher un autre à la place du coupable. Je ne serais alors pas heureux. Je me prive de tout cela pour vous et vos petits enfants. Que Thangba vous protège tous ! Que chacun puisse grandir, me connaître avant ma mort. Alors, là, je saurais que mon nom n’a pas été oublié.
    * Le thil (plur. thila) est une puissance spirituelle (sacrée), intermédiaire entre le Dieu créateur, Thangba, et les hommes - c’est-à-dire, selon la terminologie classique : un génie.
    ** Le wathil est le thil propre à chaque matriclan ; par ailleurs, on appelle aussi wathil, le premier des thila qui apparait à un homme.

    LE 23 DÉCEMBRE 1998, À Gwèdikpo11, EN CÔTE D’IVOIRE, DANS LA MAISON DE THILYOUTÉ, AU CŒUR DU CAMPEMENT D’UNE PLANTATION DE CACAO ET CAFÉ, THILYOUTÉ S’ADRESSE À SON PÈRE.

    Thilyouté Palé : Mon père, je te salue. Les étrangers que tu as fait accompagner par Mangouré12 sont arrivés. Je suis très content et te remercie. Je te remercie beaucoup. Tout ce que tu as dit, je l’ai compris. Il ne faut pourtant pas t’énerver. C’est le monde qui est devenu comme ça aujourd’hui. Avant, personne ne bougeait de chez soi. Quand il13 reviendra chez toi, il saura que tu as des enfants. C’est à la recherche de l’argent que nous sommes tous partis. Je suis le seul qu’il a pu rencontrer en venant ici.14 Tout ce que tu as dit je l’ai compris, mais ne t’énerve pas. Je te salue encore une fois. Les salutations que je devais t’adresser car tu es mon père, je viens de les formuler. Je salue aussi Tyadoné15, Ébagyiléna, tout le monde. Je suis là, je me porte bien, seulement je suis pauvre. C’est la pauvreté qui fait que l’on pense que quelqu’un est mauvais. Si l’argent n’était pas quelque chose à rechercher... Vraiment, j’ai du caractère ! C’est la pauvreté qui fait qu’aujourd’hui l’on pense du mal de moi. Père, laisse la colère. Si Thangba le veut, nous allons un jour nous retrouver. Je ne dis pas que nous allons nous rencontrer dans un mauvais sens... Je parle de nous rencontrer entre père et fils. Je suis également mécontent, plus que toi-même, car je n’arrive pas à faire ce que j’avais souhaité... De tout ce que tu m’as dit , j’ai tout compris. L’histoire des enfants dont tu as parlé, j’ai compris ça ! Tu m’as dit que c’est toi le berger de tes bœufs ! C’est vrai les enfants ne manquent pas. Tu as fait des enfants, tes enfants en ont fait aussi. Mais, ce que je devais faire, c’était te donner Mangouré qui est le plus âgé de mes fils. C’est lui que j’aurais dû te donner comme berger. Mais je l’ai amené s’inscrire à l’école.16 Qui des deux vais-je t’envoyer ? Demain, quand ils seront grands, ils diront que je leur ai fait du mal... C’est à cause de ça que je les ai tous mis à l’école. Sinon, pourquoi te refuserais-je un enfant ? Je pense que tout cela aussi est une richesse. Si l’enfant qui va à l’école parvient à s’en sortir, c’est aussi une richesse. Je te demande pardon, il faut laisser tomber la colère. Mangouré, c’est mon fils. J’aurais pu le garder ici pour qu’il m’aide, mais tu vois, j’ai préféré qu’il aille à l’école  Tous mes enfants sont à l’école. C’est par rapport aux enfants que je viens de parler ! Ton ami, que tu m’as envoyé ici, m’a dit que depuis trois ans vous travaillez ensemble. Gongone qui l’accompagne est là à mes côtés avec lui. Toutes les questions qu’il te posait là-bas, il me les a posées ici. C’est moi qui suis le plus grand de tes enfants, qui t’ai vu jeune, qui ai cultivé avec toi. Nous avons mangé ensemble du tô jusqu’à ce que tes thila te l’interdisent. Il m’a posé des questions par rapport à ça. Je t’ai connu tout jeune, non pas vieux. Je lui ai tout raconté aussi. Mais ce qui me fait très mal c’est que je ne m’attendais pas à ce que tu m’envoies ton véritable ami sans me prévenir. Il m’a surpris ! C’est comme si tu surprenais un homme nu dans sa chambre. Que peut-il faire ?... Tu te présenteras nu toujours... Je ne sais pas où mettre ma tête !... Il y a la joie de les recevoir et la tristesse de ne pouvoir quelque chose pour eux. Si j’avais été informé de leur arrivée, j’aurais pris mes précautions. Pourtant je suis un planteur !... C’est vrai que mon champ est encore jeune mais c’est un champ qui m’appartient entièrement.17 Ça a commencé à produire maintenant. Depuis que je suis entravé en Côte d’Ivoire, je n’ai travaillé pour personne, j’avais toujours eu mes propres champs...18 Le peu que j’ai pu récolter, je n’ai pu le vendre car le prix est mauvais. Par conséquent, les étrangers sont arrivés et m’ont trouvé pauvre. Je ne m’étais pas préparé à les recevoir. Ils m’ont plongé dans la honte. Si j’avais vendu ma récolte, je leur aurais remboursé leur transport aller et retour. Au meilleur des cas, je les aurais raccompagnés au village pour te les remettre. Tout cela me peine. Il ne faudrait pas croire que je suis mauvais, en pensant que je n’ai pas pu faire quelque chose pour eux. Je ne suis pas un enfant gâté. C’est la pauvreté.
        J’ai donné la route à l’étranger pour qu’il te revienne. Quand il arrivera, je te salue beaucoup à travers lui. Ton étranger est arrivé chez moi, je me porte bien ainsi que tous les membres de ma famille. Il m’a dit que tu te portes bien ; je suis très heureux d’avoir de tes nouvelles. L’accueil que je n’ai pu leur réserver, c’est ce qui me peine. Mais c’est partie remise. Pour l’heure, c’est fini ! Ils ont fait le voyage avec Mangouré ; c’est le blanc qui a payé son transport pour venir ; il m’a encore remis 10 000 F (CFA) pour son retour. Ils devaient revenir ensemble mais c’est moi qui ai décidé qu’il resterait car c’est les vacances et ça me permettra de lui trouver quelque chose car il y a longtemps qu’on ne s’est vu… Ils n’ont fait qu’une seule nuit chez moi et ils désirent repartir. C’est pourquoi j’ai retenu mon fils : je n’aurai pu supporter son départ. Je n’ai pas vendu ce que j’avais récolté. Voilà pourquoi je veux qu’il attende pour que je lui trouve quelque chose et qu’il puisse s’en retourner avec. Sinon, je risque de poursuivre la voiture en larmes... C’est après les fêtes que je vais le laisser venir. Il ne faudra pas t’inquiéter pour lui. C’est moi qui le retiens. Et puis, attends -moi ! car c’est sûr que je ne pourrai pas venir cette année. Mais si la mort ne me surprend pas, tu me verras l’année prochaine ou, mieux, au milieu de cette année. Nous allons nous voir, je te salue beaucoup ainsi que tous ceux de la famille. Que Thangba te garde la tête haute. Ce que Thangba te donne, personne ne peut te le retirer. Je te salue. Il y a très longtemps j’étais petit quand les blancs commençaient à venir à la maison pour te voir ; même maintenant ils continuent de venir. Aujourd’hui, voilà que l’un d’entre eux a décidé de me connaître en venant en Côte d’Ivoire. Nul ne peut changer la destinée de l’homme. Je te salue encore une fois et jusqu’à la fin des jours.
        Il y a un fait que je voudrais te raconter ; c’est lié à ma plantation : nous sommes allés à la gendarmerie avec mon tuteur. C’est grâce à Thangba que cela s’est bien terminé. Sinon, tu allais apprendre ça là-bas... À la gendarmerie, on a considéré qu’il avait tort19. C’est ça que je voulais te raconter. Je n’ai aucun problème ici. Je te demande de continuer à nous bénir. Il ne faudrait pas qu’un malheur me trouve ici car je pense beaucoup à toi et beaucoup de bien de toi. Prie Thangba pour moi. Je vais venir un jour. Ma thimir prè...20











    Une ville peuple le mirage de plaquettes glacées, de signes qui font taire ou aboyer de travers
    Une ville ment avec le culturel
    Une ville fait meuh ! à la culture
    Une ville a un lieu d'échange officiel, c'est à l'office de tourisme
    Une ville active son silence
    Une ville n'entend pas
    Une ville plante et n'arrose pas
    Une ville arrose et ne plante pas
    Une ville n'entend pas
    Une ville est une souris qui veut se cacher dans un trou
    Une grosse ville
    Une petite ville
    Une ville moyenne
    Une ville ruisselle
    Une ville ignore le parcours du créateur,
        il n'est pas repérable dans le plan de circulation
    Une ville s'amuse faute de mieux
    Une ville se regarde dans ses feux rouges

    Alors,
    Une grande et belle femme nue se couche sur la ville
    Alors ?
    F. B.

    ***
    peuvent regagner un auditoire qui a été dévoyé. La confidentialité est contraire à ma conception du rôle de l’artiste. Je suis un optimiste par nature. En ce moment je crois voir un tas de choses de qualité qui percent — j’espère ne pas me tromper. Il y a un phénomène de ras le bol — c’est mon explication : quoiqu’on fasse, on ne peut pas priver l’homme de quelque chose qui lui est essentiel. On sort de cette longue période stérile des années 80, de la digestion de la chute du communisme, qui a permis au capitalisme de se montrer sans pudeur. Quelques uns, aussi, commencent à voir la réalité du Système, réalité occultée par la bipolarisation idéologique — quoique quelques Américains, vivant dans un pays où l’éventualité du communisme était exclue, aient depuis longtemps entamé une juste réflexion sur la perversion des média.
        Je suis trop verbeux, trop général surtout. Quand commence-t-on ? Je veux dire : ici, puis-je être utile à quelque chose ?
    J. P.






      

    L’ART DE S’EMBELLIR

    CHEZ LES LOBI


    Hièn Héléra se souvient en ces termes du temps où le port d’étoffes en guise de vêtements était encore l’exception :
    “Quand les habits n’étaient pas arrivés chez les Lobi, les femmes allaient couper des feuilles et les portaient ; pour aller aux cérémonies, c’était nos habits. Quand les habits n’existaient pas c’est ainsi que tu faisais pour plaire et c’était beau.”
    Les femmes apportaient donc un soin particulier à leur corps, leur apparence, à la mise en valeur de leurs attraits : pour séduire comme le disait Hèlèra ; pour attirer sur elles le regard des hommes si l’on en croit Hièn Bakana, potière d’environ 60 ans, aujourd’hui veuve de Khambou Sipiné, l’un des sculpteurs avec lesquels j’ai travaillé avant qu’il ne décède :
    “Pour être élégantes nous faisions ainsi : nous allions chercher des herbes dans la brousse pour faire des ceintures en les tissant à la main avant de pouvoir les porter. Nous y ajoutions des fils que nous achetions, de même que du savon pour les laver et les rendre très claires. Après, nous coupions des feuilles et les portions pour aller aux cérémonies.”
    Outre les ceintures de fibres, les cauris, les perles ou les feuilles, les femmes lobi se tatouaient par scarifications, comme le rapporte Henri Labouret : « Elles le font d’ordinaire entre douze et quinze ans, c’est-à-dire à l’âge où elles commencent à avoir leurs premières aventures sérieuses et veulent plaire. La technique de cet art est simple, c’est généralement l’intéressée elle-même qui opère avec un mauvais couteau, elle coupe légèrement l’épiderme de manière à réaliser le dessin souhaité, puis passe sur la plaie de la graisse végétale à laquelle ont été incorporés du suc d’une plante et du charbon de bois. À la suite de ce traitement, la peau gonfle au bord de la blessure et demeure ainsi, formant protubérance légère. Les endroits qui reçoivent le plus fréquemment des scarifications sont le ventre, autour du nombril, et le dos. »1 Je n’ai pas recueilli d’information sur ce point, mais les termes employés par Labouret qui fréquenta les Lobi durant de longues années laissent à penser qu’ils s’agissait bel et bien pour les femmes de s’embellir. Par ailleurs, elles portaient des boucles d’oreilles, divers bijoux dont les labrets, « lesquels étaient formés de tiges d’herbe ou de mil, de disques en pierre, en bois, en terre cuite ou en métal. Ces corps étrangers [étaient] logés dans deux orifices placés sur la ligne médiane de la face, à égale distance des commissures » À présent seules les vieilles femmes en portent encore. D’après ce que j’ai pu en voir, il sont désormais de petite taille, circulaires, d’un diamètre qui - à tout le moins de visu - ne dépasse pas les deux ou trois centimètres.
    Peut-être les femmes seraient-elles plus nombreuses à porter un labret si, dans les années soixante, une campagne orchestrée par les collégiens ne les avaient plus ou moins contraintes à les ôter pour “paraître plus civilisées, moins sauvages”...
    Ce qu’a pu me dire Bakana sur le sujet semblerait en effet aller dans ce sens car elle aimait personnellement beaucoup ces parures labiales (appelées par d’autres “mutilations labiales”2). C’est ce que laissa du moins entendre sa réponse après que je lui eus demandé comment elle faisait avant pour s’embellir :
    “Tu fais aussi comme ça pour arranger ton corps : il y a les lèvres que tu perces. Tu tailles ensuite des bois que tu laves très très bien et tu les mets pour partir au marché. Ainsi, tu as la bouche bien faite. Si un homme alors te voit, il dit :”Voilà une jeune femme très jolie, tout ce qu’elle porte lui va bien.” C’est ainsi que nous faisions.”
    Et, parce que je lui demandais si elle était souvent courtisée par les hommes, elle me répondit en souriant :
    “Oui. À cette  époque, je sentais que j’étais une jeune femme très élégante, très élégante, mais ils nous ont dit qu’ils nous fallait enlever les labrets alors nous les avons retirés.”

    Sur le plaisir que les femmes avaient à porter un labret, plaisir qui leur fut donc retiré en 1959, Michèle Cros rapporte cette anecdote : « Au lendemain de l’action entreprise par l’Association des jeunes Lobi, les femmes âgées de Gbangbankora utilisaient un subterfuge lorsqu’elles voulaient malgré tout se rendre au marché. Juste avant d’y pénétrer, elles enlevaient leurs(s) labrets(s) qu’elles remettaient aussitôt le chemin du retour emprunté ! »3

    Cette coquetterie, cette attention, ces soins portés au corps n’étaient pas - ne sont toujours pas - l’apanage des femmes, loin s’en faut. Les hommes rivalisaient en imagination, parfois en extravagance, quoi qu’il en soit en originalité afin d’être chacun plus beau, plus attirant et plus séduisant que l’autre…
    Là encore d’anciennes photographies montrent les bijoux, les diverses parures qu’ils portaient, sans compter la complexité ou la variété de leurs coiffures auxquelles l’onction de beurre de karité était souvent aussi nécessaire que la brillantine le fut en France à une certaine époque.
    De plus, les hommes se confectionnaient des coiffes de fibres souvent agrémentées de plumes afin qu’elles soient plus belles (les plumes sont au reste toujours à la mode, comme nous le verrons un peu plus loin). Tyohèpté Palé continue même à garder dans son thilfuu4, les restes d’une semblable parure, et quand on lui demande si elle avait une utilité quelconque, il répond :“C’était pour plaire, ils se trouvaient beaux comme ça. Sinon, nous ne savons pas pourquoi ils faisaient ça, c’était pour plaire.”

    [...]
    Sans qu’on puisse du tout évoquer des “concours” à proprement parler, il paraît évident que lors de fêtes villageoises ou religieuses, soit encore lors du bobuur (les secondes funérailles), et dans une moindre mesure les  jours de marché, les hommes s’affrontaient - plus ou moins pacifiquement - en une sorte de “course à la beauté”, celle-ci s’exprimait tant par la luxuriance et l’harmonie des parures ou coiffures que par la grâce du corps dès que la musique invitait à la danse. Pour toutes ces raisons, sans doute, Arnold Heim, géologue allemand, écrivait en 1934 dans son journal : « Ce sont de grands hommes magnifiques, ces Lobi, et aucun ne ressemble à un autre. (...) Chacun a son propre style, sa coiffure, ses bijoux, sa coiffe. Ils ne sont uniformisés que par le port des mêmes armes (...). L’un est chauve, l’autre a les cheveux tressés, le troisième ne porte qu’une énorme coiffe a


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  • Gwenn Audic

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  • Denis Schmite 

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  •  Marcel Moreau

     

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  •  Éric Meunié 

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  • Denis Schmite 

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  • Barbâtre

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  • Denis Schmitte

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  • Denis Schmite      Claude Esnault 

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  • Gwenn Audic

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