Conversation à propos d'une exposition Jacques Reumeau en l'an 2000En 2000, à l'initiative d'Alain Guesné, Serge Paillard et l'association Les Chats-huants, une exposition Jacques Reumeau est organisée dans l'ancien Prieuré d'Olivet (53), outre les prêts de divers collectionneurs le musée d'Art naïf (dépositaire du fond Jacques Reumeau) prête pour l'occasion plusieurs dizaines de tableaux.

Ici Estelle Soleillant, alors étudiante en préparant un devoir de maîtrise sur Jacques Reumeau et Alain Guesné, ami fidèle de Jacques Reumeau, sont en conversation avec l'artiste défunt.

 

 

   Jacques Reumeau, Combat-Duel, gouache, craie blanche, pastel sur papier, 1974,

Musée d'art naïf et d'art singulier de Laval (53).

 



Alain Guesné : Je trouve que le lieu convient bien. Un prieuré....

Estelle Soleillant : Ce qui est montré, c’est votre choix, celui de proches de Reumeau : Serge Paillard, Alain Guesné, Marc Girard.

Alain : Les Chats-Huants n’avaient rien vu. Ils ont cru un peintre, Serge Paillard, Chat Huant lui-même qui leur a parlé de toi, Jacques Reumeau, et leur a proposé le projet de cette exposition.

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Alain : Tu étais très préoccupé par une profonde insomnie très ancienne qui était une souffrance permanente.
    En regardant au fur et à mesure les cartons où les œuvres sont classées par années, je me suis dit “ce gars-là, il n’a jamais dormi, il travaillait sans cesse.” Comme s’il y avait une épaisseur de travail qui était là, présente, et que moi je n’avais pas senti avant.

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Estelle : A celui ou celle qui ne connaît pas l’artiste et qui veut en savoir plus, qu’est-ce qu’on lui dit avant ou après sa visite de l’exposition ?

Alain : Ben, je lui dis que je ne sais pas. Ou alors j’évoquerais peut-être le droit au secret... C’est que pour moi c’est difficile. Je peux pas me dégager de toi et de la relation qu’on avait ensemble. Quand j’étais avec toi, tu ne me parlais pas des autres, tu étais dans ton monde et dans notre relation. C’était comme si tu avais été absolument seul dans ton univers et que moi, au moment où j’étais avec toi, je faisais partie de cet univers. C’était passionnant.
    Ce que tu m’as montré de ton travail c’était dans ce contexte là. Je débarquais chez toi avec un camembert et un bout de pain, j’étais dans la magie de l’homme et de son voyage, plus que dans ta peinture proprement dite.

Estelle : Est-ce sa peinture qu’on aime, ou est-ce l’artiste ?

Alain : Moi, en fait, je savais pas que c’était de la peinture...

Estelle : C’est que c’est une peinture sensible. Pourtant, je ne sais pas si j’aurais été autant émue sans avoir étudié le personnage. Et je me demande si les gens qui vont la voir pour la première fois vont avoir la même impression, vont être directement sensibles à cette œuvre.
Alain : J’ai envie de dire “est-ce que les gens vont être sensibles à Jacques Reumeau ?”

Estelle : On ne peut pas dégager le personnage de ce qu’il a fait.

Alain : Pour moi, c’est difficile de parler de Jacques Reumeau comme artiste-peintre. Il aurait pu être égoutier, pour moi ça aurait été la même chose. C’est seulement après que j’ai appris à lire...
    Moi, je sais le bien que tu m’as fait, et toi et ce que j’ai vu de Ton travail. Cette idée là est confortée par des gens qui t’ont connu et ont été confrontés à ton travail, et j’ai entendu le bien que ça leur a fait. Alors, il faut proposer ça, aujourd’hui, pour que les gens soient moins bêtes. Avant de mourir.


Estelle : Je pense aux gens de mon âge. Ils ont du mal à se rendre compte qu’il y a vraiment eu une vie artistique dans la région. J’ai découvert que dans les années 70 il y avait eu un foyer artistique qui était important, avec des gens qui avaient des idées. Des gens comme vous, Jacques Reumeau, comme Stani Nitkovski. Je trouve que c’est intéressant de mettre ça en valeur, parce que ma génération a besoin de ce passé là.  
    D’ailleurs, y a plein de gens que je rencontre qui me disent “oui, Reumeau, ça me dit quelque chose”, ou “oui je le voyais dans les rues, je le voyais errer”. Vous étiez un personnage qui faisait partie de Laval, pas aussi connu que Tatin, qu’Alfred Jarry, qui n’a pas fait des choses aussi imposantes mais qui a compté dans la vie artistique. Il y a des gens qui travaillent aujourd’hui et qui sont encore inspirés par vous.


Alain : Tu étais quelqu’un qui était apparent. Pas quelqu’un de caché. Tu étais habillé tout en noir bien avant que ce soit la mode. Tu menais une vie d’artiste-peintre. Tu te présentais comme tel, autant dans ton allure que dans tes vêtements... Tu revendiquais. Porteur de rêve, porteur de sentiments.

Estelle : Je vous imaginais comme un bon vivant, alors qu’il paraît que pas du tout.

Alain : Il y a un très beau portrait de toi qui a été fait par un artiste mayennais, qui dit assez bien ça. Ce travail réalisé avec tes pastels te représente avec la nuit qui t’environne. Tu es un personnage de la nuit, Jacques, des profondeurs de la nuit...



D’une conversation
du Jeudi soir 17 février 2000,
à l'Hôtel des voyageurs, à Mayenne (53).

 

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