Nous n'attendrons plus
nous n’attendrons plus jamais
ni la fin ni son début
ni l’espoir ni la patience
jamais plus otages des comptes à rebours stériles
élections pièges à complices louchant
sur toquantes et tocsins
des illusions perdues pour rien
des projets sans destin
espérer veut dire attendre en y croyant
nous ne sommes crédules que de l’heure présente
et encore !
tout a été tué des lendemains
et l’heure avance sur nos vies
avec plus d’assurance que les partis en place
ou les futurs garages des utopies noircies
tous les marrons grillés sortis du feu
où nos mains brûlent
nous n’attendrons plus jamais
que tombent les feuilles des arbres
après de nouveaux Tchernobyl
le feu frimeur des armées d’Occident ou d’ailleurs
ne chauffent guère nos cœurs
nous n’attendrons ni printemps ni automne
pour mieux attraper la seconde qui reste
et la partager sans peur
la main amicale d’un passant négligé
l’angoisse d’un autre qui en sait trop
le sourire neuf d’un enfant éperdu
attraper la graine avant qu’elle ne pourrisse
attraper le mot avant son mensonge
attraper l’instant à l’instant même
nous n’attendrons plus jamais
de la justice
après les meurtres déniés
Rémi Fraysse ou Babakar Gueye
Zied et Bouna, Adama Traoré,
Amine Bentounsi et tous les autres
les faits effacés par la police
après les yeux crevés
après les manigances des milices
et la raideur des importants
plus rien à pardonner
rien à concilier
un mur s’est dressé
entre pierre et ciment
une hache a fendu
le ruisseau rouillé des habitudes
nous n’attendrons plus jamais
d’un revers de fortune
d’un contrat signé par vous
perchés sur l’autre bord
d’une vertu lénifiante
(la vaisselle de gala s’est brisée
elle tranche)
d’un volcan révulsé
quand la terre gronde
elle tremble encore
peu importe ouverts ou fermés
les yeux sont rouges
d’un gaz ordinaire
curieux maquillage
en deçà de l’ordre indécent
à odeur de matraque
où nous échouons
de ne savoir faire nombre
et renverser la force
contre les rares et les couards
armés jusqu’aux dents
amis de la mort
et des jeux trop sanglants
nous n’attendrons plus jamais
que l’éclair surgissant
d’un hasard magicien
que le sourire magnétique
d’un ami qui embrasse
la douceur rescapée
d’un amour inédit
et qu’advienne une saison
pour nous autres
quelque part un espace prenant figure
de bonne compagnie
nous ne survivrons pas
mais nous vivons déjà
l’esprit ouvert
dans l’aujourd’hui malade
interloqués de tant de haine
de sécheresse
nous nous tenons debout
jour et nuit
frères effarés
mais solidaires
crachant et œuvrant
indéfectiblement
frères effarés
mais solidaires
à calculer l’ennemi
à questionner le néant
à prolonger la veille.