Errare humanum est, sed perseverare diabolicum *

Toujours le même réflexe, devant un dicton, le même dicton-réflexe : Je fais comme Lautréamont dans Poésies I-II, je prends la contrapposée, ou comme ici, j’inverse les termes : Errare diabolicum est, sed perseverare humanum. Et, à supposer que ce genre de proposition puisse, de quelque manière, être vrai, ce qui est très loin d’être établi, il me semble qu’ici on est déjà mieux dans les parages du vrai qu’avec la sentence originale. Quoi qu’il en soit de l’erreur, sous bénéfice d’inventaire, persévérer est « humain », c’est-à-dire « recommandable » (inutile de chercher ici à « humain », un sens profond). À vol d’oiseau, tout le monde, peut-être, sera d’accord, mais puisque le proverbe prétend nous faire évaluer l’indice de réfraction de deux conduites en quelque sorte mises en présence l’une de l’autre, peut-être faut-il aussi entendre ceci : ce n’est pas tant l’erreur que la persévérance dans l’erreur qui est profondément humaine. LE DIABLE POND L’ERREUR, ET LE BIPÈDE SANS PLUME LA COUVE.
Pourquoi est-ce que je m’obstine, par exemple, à écrire des dizaines et, l’année finie, des centaines de lettres à des gens qui, sauf exceptions, non seulement n’y répondent jamais d’aucune façon, mais en éprouvent malaise et désagrément ? Parce que je continue une expérience déraisonnable, mais qui teint ma vie, lui donne sa tinctura, depuis mon adolescence, et lui ajoute certaines nuances qu’elle n’aurait pas autrement. Ce n’est pas seulement « bon qu’à ça », c’est aussi « bon comme ça ». Cette expérience se déploie dans un champ, sur un domaine.
Un étudiant de Sorbonne, un élève de mon ami Jérôme, un jour, vient prendre congé de son professeur. C’est ce dernier qui me l’a raconté. Adieu, Monsieur, lui dit-il, je rentre chez moi, chez lui c’est l’Australie. Tiens. Encore. Je rentre chez moi, et ne reviendrai jamais plus en France. Car la France est le pays de la non-réponse.
PS : Selon l’estimation très récente de la charmante personne qui préside maintenant aux destinées du bel établissement lyonnais où je me fournis, exclusivement, en papier, encres, stylos, PERREYON 1884, j’ai consommé en 2017 quinze flacons d’encre de 50 ml, ce qui est exactement le chiffre que j’ai établi moi-même pour 2015 en comptant les flacons vides que je n’avais pas jetés : soit l’équivalent du contenu d’une bouteille de Bordeaux. En vain. En pure perte. Ce qui donne le résultat suivant : bon an mal an, j’ai écrit dans ma vie environ dix mille pages, évaporées dans la nature, et pour lesquelles je n’ai pas reçu l’ombre d’un remerciement. Telle est l’époque. (Frédéric Martin, peintre et graveur à Lyon, est dans le même cas).
André Bernold (23 nov. 2017)
* L'erreur est humaine, l'entêtement [dans son erreur] est diabolique. NdE
2 Donc, ce n’est pas l’inverse. NdE
3 Le Juif de Linz, Wittgenstein, Hitler et leur bataille secrète pour l'esprit. NdE
4 Vladimir Slepian, Fils de chien, éditions du chemin de fer, 2015.