Ailleurs dans la ville, des silhouettes s'approchent, s'effilent entre deux lampadaires, faisant revivre à leur manière les fragments d'un passé qui ne veut pas disparaître. Si je bifurque et me dirige, juste avant le pont qui surplombe Villebois-Mareuil, en direction de la plaine de Baud avec arrêt devant les friches métalliques de la zone Chardonnet, c'est le comédien François Le Gallou qui sort de l'ombre. Il se déplace comme il le faisait auparavant. Il est debout sur scène. Il a un grand rôle dans Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès dont la première (mise en scène de Christophe Rouxel du théâtre Icare de Saint-Nazaire) se jouait, début juillet 1992, dans un lieu qui semblait prédestiné. La pièce avait trouvé refuge dans un hangar désaffecté. En bruit de fond, on entendait la mer essoufflée des clapots réguliers, des cornes de brume, des éclats de voix, des pneus de voitures qui crissaient et de tristes abois de chiens… Le Gallou apparaissait en un éclair. Il sortait de nulle part. Il venait d'essuyer uneFrançois Le Gallou, par Jacques Josse tempête de neige. Il arrivait bien campé sur ses jambes, portant un long manteau… Sa stature était fragile et imposante… C'est ainsi que je l'aperçois à nouveau, inquiet, étonné, debout sur un quai qui n’existe que dans mon souvenir. Il communique à ceux qui le lui demandent les heures d'arrivée et de départ d'un ferry qui ne viendra pas et qui essaie pourtant, depuis des années, de repérer l'invisible chenal qui lui permettrait de trouver l'entrée du port. Je l'aperçois mais je ne peux plus lui parler, le sachant désormais loin de la ville, loin de tout, loin du tchèque Bohumil Hrabal dont il interpréta, dans des salles situées en périphérie, certains textes avec fougue, loin, de même, de ce soldat, retour de guerre, Comme un ange après temps de misère, à qui il donna jadis sa voix, son corps, sa force, sa hargne et sa sensibilité. Je me contente de lever un bras vers l'ouest, puis je le laisse retomber, espérant toucher ainsi le bas du Méné Bré, visant approximativement le cimetière de Bégard où je le sais assigné à résidence.

« Regarde les autres : tous, ils sont partis, tous ils se font du pognon ailleurs, autrement. Il faut savoir partir quand il est encore temps. Il ne faut pas prendre le chemin qui est trop bien tracé pour nous » (Koltès)

Jacques Josse

in Terminus Rennes, Apogée, 2012

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