Olivier Deschizeaux, une poésie en transe

« je me suis vu pleurant sous la pluie poète schizoïde décrivant la mort à des chérubins et des gargouilles… » *

En quelques fulgurants recueils, publiés pour l’essentiel aux éditions Rougerie, Olivier Deschizeaux marque le paysage poétique de sa griffe anachronique, il a trouvé sa manière de poser son délire sacré, de le cadrer sans façon, de le dompter sans le taire ; c’est heureux et troublant, et comme nourri d’une pitié sans pitié.

« Les nuits sont des louves, elles parlent des éthers avec mon cadavre encore chaud, le temps lourd d’octobre s’engouffre en moi comme une bête… »** Voilà un poète qui se laisse habiter ailleurs que dans le goulot mental d’une fièvre vaticinante, qui n’a pas honte d’un corps accidenté par l’enfance et la vie, meurtri ou rieur, et l’écoute et l’entend, le traduisant à peine. S’improvisant chaman transi de peurs ou de visions, il développe ses images à la lueur embrasée de fresques bibliques où s’exagèrent des souffrances maquillées en apparitions.

Qu’ils soient un jour d’un soldat mort, les exercices spirituels d’Olivier Deschizeaux n’en réincarne que mieux l’encre des mots surgissant dans ses pavés denses comme granit, et s’il les lâche parfois d’une voix étrangement apaisée ou venue de loin, le poète a bien conscience de signer ici quelques tranches de prières jetées sur psaumes ; de la sorte il s’adresse à celui qui sent « couler des larmes sur les étendards de [son] corps »*** Exercices spirituels, oui, car il y a dans toutes ces pages une tentative obstinée de regarder sa conscience, de la purifier peut-être, en exsudant d’un moi qui n’est pas qu’à soi le pire état intérieur, les frasques de l’atteinte.

Le Christ ou la croix reviennent souvent chez Deschizeaux comme pour, en tant que fétiches culturels ou icônes véritables, jurer sur l’infinie et lassante vérité de la nature déployée au fil des lignes, toujours à la rescousse de sentiments qui sont aussi des chagrins.

« L’enfance semble être un chien étreint par les larmes du deuil, elle semble s’éteindre comme un roc au bord duquel danse le vagabond, l’enfance est une cerise de chrysanthèmes et des pleurs écorchent ta gorge, alors sous le ciel tu ne bois pas que le vin des djinns, la vue t’es mille fois plus insalubre que la myrrhe et la boue, il ne reste plus que la mort à ton bras. »**** Deschizeaux écrit sans doute pour sauver son âme, sa vie, quelque chose de lui qui le regarde, et ce qui ne se raconte pas se donne à entendre autrement, par un tour du monde des douleurs ou de la faim. Un vocable en appel un autre, parfois un presque jumeau, de Christ à croix, de étreinte à éteinte, les mots déboulent par l’oreille, dans la frénésie d’une transe qu’il a fallu calibrer par avance. Sur un mode à la fois enfantin et grave, l’analogie ne trompe personne, jalonnant le chemin d’un mystère qui, quel que soit son lexique, ne se reconnaît pas d’église, condamnant la parole à être souffle, jusqu’à ce que poème s’ensuive.

« Je suis étranger au prêtre qui bénit mon poème, au reflex surréaliste qui rougit ma voix, au sacrifice de l’ange sur le mont d’ébène, mon corps est un don de vieillesse, un mystère sur la primauté du ventre, je veux ignorer le goût de ton sang, celui qui dégouline comme l’azur sur mes lèvres de cendre. » *****

JCL, Mediapart

septembre 2014

* in Je me suis vu, Ed. MLD, 2010.

** in Sinon dans la chair, Ed. Rougerie, 2011.

*** in Au seuil de la nuit, Ed. Rougerie, 2014.

**** in Au seuil de la nuit, Ed. Rougerie, 2014.

***** in Sinon dans la chair, Ed. Rougerie, 2011.

 

Olivier Deschizeaux :

La chambre close, éditions Rougerie, 2004.

Le soldat mort, éditions Rougerie, 2007.

Je me suis vu, éditions MLD, 2010.

Sinon dans la chair, éditions Rougerie, 2011.

Au seuil de la nuit, éditions Rougerie, 2014.

 

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