AUTOUR de la Cosmogonie/Cosmologie d’Hildegarde von Bingen (VI)
Chapitre : Physique, Astrophysique Métaphysique
Sous-chapitre : Entrée en Matière et Gravitation « autour » de l’Infini
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Pour finir, enfin pour ma part et pour le moment, retour à Ossip Mandelstam, si vous le voulez bien, car il a introduit de nombreuses touches insolites dans le phrasé de ses images musicales, Mandelstam. Á un moment il s’interroge sur « qui incarnerait aujourd’hui un poète épris de synthétisme » et puis il avance une proposition. « Je pense…à quelque Verlaine de la culture…A travers lui, les idées, les systèmes scientifiques, les théories sur le gouvernement, deviennent chant, tout comme l’étaient, chez ses prédécesseurs, rossignols et roses ». C’est un peu vous ça, non ? demandai-je rieur au Maître en modernité. Puis, il ose cette étrange suggestion : « L’origine de la révolution serait, dit-on, une famine dans les espaces interplanétaires. Il faut répandre du blé à travers l’ÉTHER » (1). Là, ce n’est plus du tout vous mais c’est une superbe proposition quand même : envisager l’éther comme un possible champ de Culture et les poèmes comme des grains de blé qu’il conviendrait d’y semer afin de rassasier les habitants de toutes les planètes…tout du moins c’est comme ceci que je l’entends. Et puis, s’appuyant sur une brève analyse de la poésie de Maïakovski, il donne une définition bien à lui du poème en utilisant un langage que l’on pourrait qualifier de géométrique, tout du moins formellement : « C’est un théâtre de marionnettes raffiné dont la strophe est brisée par le poids d’une antithèse, saturée de métaphores HYPERBOLIQUES, soutenue par une brève MÉTRIQUE uniforme » (2). Il est surprenant de parler de la poésie des avant-gardes en conservant une approche aussi classique. Pour un peu on se l’imaginerait comptant les syllabes de chacun de ses vers sur les doigts de sa main et déclamant ses poèmes comme n’importe quel Malraux ses éloges funèbres. Mais non ! Ossip Mandelstam était un poète sublime, ô combien épris de liberté et perméable à toute humanité ! Et pour « l’enfin » de mon « pour finir », cette supposition étrange dénichée dans les brouillons de son entretien sur Dante qu’il n’accompagne d’aucune illustration ni commentaire : « Il se peut que Dante ne se comprenne que grâce à la théorie des QUANTAS » (3). Soutiendrait-il que Dante aurait construit sa Divine Comédie à partir de minuscules grains de matière poétique, toujours les grains, et d’infimes paquets d’énergie créatrice ? Chez Mandelstam tout est musique, et la Science moderne est une partition, assez mystérieuse sous sa plume, parmi de très nombreuses autres.
Toutes ces belles citations avaient été puisées dans mon petit carnet personnel, on l’aura compris, car décidément j’aimais beaucoup Mandelstam et sa musique.
Mandelstam, bien sûr ! Mandelstam, évidemment ! Mais, je m’étonnerai toujours de ces interventions de Mandelstam dans notre conversation. Pour ce qui est de l’éther, c’est à peu près ce que vous avez raconté mais il faut détailler quand même car il s’agit d’une sacrée construction cet éther, intervint le Maître en modernité qui trépignait d’envie de reprendre absolument la parole. Mais tout d’abord, je dois vous remercier pour toutes vos jolies pensées à propos de la Grèce et pour vos critiques, ô combien justifiées, à l’égard d’Allemagne. Je suis Grec et même un peu plus que cela encore. Je vous expliquerai sans doute un jour ce que j’entends par là, annonça-t-il d’un ton empreint de mystère. Bon ! Il faut déjà aller regarder du côté de l’Ionie et plus précisément de l’École de Milet fondée par Thalès (4), l’un des introducteurs de la Géométrie et de l’Astronomie dans ma chère Grèce. Lui ne parle pas de l’éther mais son disciple, Anaximandre, et le disciple de ce dernier, Anaximène, ont énormément inspiré Anaxagore, qui lui en a parlé beaucoup. Ils l’ont influencé par l’étendue de leurs savoirs, d’une part, et par leurs modes de pensée, leur méthode d’approche de la Compréhension, d’autre part. Pour Thalès, il y a un élément dominant, l’eau, duquel procèdent tous les autres. On pourrait même parler d’un principe premier car la vie dépend de l’eau. La Terre flotte dessus et est soumise à ses oscillations comme une vulgaire barcasse, oscillations parfois paroxystiques, les tremblements de terre. Mais l’eau symbolise l’unité du Monde, son harmonie. Avec Thalès la vie est partout, même dans les minéraux, par exemple dans les aimants, de par leur nature, et dans l’ambre, quand on le frotte très fort sur sa manche. Tout est mouvement ou capable de conférer un mouvement, et ça c’est fondamental. Pour Anaximandre, la Terre est un cylindre dans un Univers sphérique donc parfaitement symétrique, et ce sont précisément les lois de la symétrie qui maintiennent le cylindre/Terre au centre de l’Univers, ce qui lui assure l’équilibre à cet univers. Pas d’autres forces en jeu. Bien qu’il accorde un rôle majeur à l’eau à l’instar de Thalès, l’eau source du vivant, chez lui le principe premier, le principe des origines, est « l’ÁPEIRON », c’est-à-dire l’Infini, le sans-limite tant spatiale que temporelle. Étant totalement immatériel, l’Ápeiron n’a pas de qualité propre et pourtant il les contient toutes, et comme il est en mouvement perpétuel, ces qualités se sépareront de lui sous la forme de dualités, froid/chaud puis humide/sec, qui constituent des couches superposées autour du cylindre/Terre comme l’écorce enveloppant un tronc d’arbre. Ainsi de par son mouvement l’Ápeiron est source de création continue, et à partir de ceci Anaximandre fabrique une cosmologie compliquée où tout est en mouvement. Pour Anaximène, la Terre est un disque plat qui est porté par l’Air, mais l’Air est très léger bien sûr et pour que la Terre ne s’effondre pas il faut qu’elle soit en mouvement. Il distingue deux lois pour l’Univers : le mouvement et le changement. Le changement s’opère par deux processus : la condensation et la raréfaction. Les deux principes agissent sur l’air au moyen des deux processus et ils lui donnent une autre nature. Par exemple, l’air raréfié et échauffé par un mouvement rapide devient le feu. Mais, rien n’est figé et il y a un va-et-vient continuel entre les deux processus. Donc, le MOUVEMENT est au cœur des travaux réflexifs des Milésiens. Je considère que c’est là leur grand apport dans la longue marche vers la compréhension des choses, leur contribution à la Connaissance. C’est alors que survient Anaxagore qui n’est pas originaire de Milet, lui, puisqu’il l’est de Clazomènes, mais disons que Clazomènes c’est, à l’époque, la banlieue de Milet. Son Noûs doit beaucoup à l’Ápeiron, me semble-t-il, en tant que principe premier totalement immatériel et sans limite. Mais son monde est dualiste, on l’a vu, puisqu’à côté du Noûs il y a la matière primordiale qui peut prendre des états différents sous l’effet du mouvement tourbillonnaire du Noûs. La matière, porteuse de qualités, est divisible à l’infini. Le Noûs révèle ces qualités. Il discrimine, condense, amalgame, combine. On a vu tout ça. Ce qui est important c’est qu’il n’y a pas a priori de distinction entre l’inerte et le biologique, si ce n’est par « la quantité de qualités » qui compose les produits de la matière originelle. Une fois révélées les qualités ne disparaissent jamais. Elles sont inaltérables. La mort de l’objet matériel se traduit par un nouvel amalgame, une nouvelle combinaison des qualités. En gros, « rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme », on a déjà vu ça aussi, et on le reverra encore, inévitablement. Et puis cette idée de la matière unique primordiale ! On a déjà évoqué la Grande recombinaison, époque de la formation des atomes avec la baisse significative de la température de l’Univers, moins de trois mille degrés Kelvin, à peu près deux mille sept cent vingt-six degrés Celsius, qu’en ressort-il ? Uniquement des atomes de lithium, d’abord et un tout petit peu, d’hélium, ensuite et encore juste un peu, d’hydrogène, enfin et beaucoup, énormément même, considérablement. Mais avant les atomes, des particules élémentaires, c’est-à-dire des fermions avec leurs antiparticules, et des bosons vecteurs de forces, limitées dans leur variété…Enfin, peut-être puisqu’à ce jour toutes les particules sont loin d’être identifiées. Mais, il y a bien une matière primordiale ! Pour en revenir à Anaxagore, le merveilleux tourbillon du Noûs provoque la différenciation de l’Air, sa scission en l’air proprement dit et en l’ÉTHER toujours en mouvement, tellement rapide ce mouvement qu’il entraîne sa fusion. L’éther d’Anaxagore ressemble beaucoup au feu d’Anaximène.
Il se tut, puis reprit assez rapidement son cheminement. Cette aisance langagière n’avait de cesse de me surprendre. Quel souffle ! Le Maître en modernité était un orateur inépuisable et redoutable, redoutable parce qu’il laissait peu d’interstice dans son discours où insérer un quelconque argument à lui opposer. Encore eût-il fallu en disposer, je veux dire d’arguments à lui opposer. Face à un tel monument d’érudition ! Ça pouvait énerver les gens, je l’ai bien souvent constaté.
Chez les Pythagoriciens, rapporte Diogène Laërce, il n’y a pas distinction nette entre l’Air et l’Éther (5). En fait, eux, les Pythagoriciens, ne parlent que d’Éther, d’un éther fixe qui enveloppe la Terre habitée par les simples mortels, et au-delà, dans les régions supérieures où sont installées les créatures divines, d’un éther en constant mouvement. Ils peuvent évoquer aussi un éther froid assimilable à l’Air, un éther épais correspondant à la mer et à tout ce qui est humide, et un éther chaud, he bien… correspondant à l’Éther. Chez Platon il y a une évolution de la réflexion au fil de ses dialogues. Dans le Timée, il ne considère que quatre éléments, la terre, l’air, l’eau et le feu, la « quaternité de la Nature ». Dans le Phédon, l’éther n’est qu’une variété de l’air, la plus pure où sont accrochés les astres. Dans le Cratyle, l’éther coule à flot autour de l’air vulgaire. C’est Aristote qui élève l’Éther au rang d’élément, le cinquième, la Quinte essence, mais pour lui il ne peut être de feu, à la différence de celui d’Anaxagore, et il n’est même pas chaud. La dualité Chaud/froid relève du « monde inférieur » car toute dualité définit ce monde. L’Éther relève du « monde supérieur » et ne peut donc pas être chaud. En fait Aristote distingue deux types de chaleur. D’une part le feu qui est par nature destructeur, d’autre part le « pneuma » c’est-à-dire le souffle nécessaire à tout ce qui est vivant et qui est contenu dans ses germes, la bouffée chaude de la vie. Si l’Éther était de feu, il serait détruit et le monde avec lui. Le chaud, comme je viens de le dire, appartient au monde inférieur. Pour Aristote, l’Éther est incorruptible et toujours en mouvement, circulaire ce mouvement. Voilà donc, les idées des Anciens sur le « monde supérieur », et j’ai déjà évoqué la postérité de ce « concept d’Éther », et j’ai même laissé entendre qu’il s’agissait bien davantage qu’un concept puisque de nos jours les astrophysiciens emploient volontiers le terme de « quintessence » pour qualifier l’énergie noire… Si ! Encore quelques mots avant de quitter la Grèce. Vous connaissez Héraclite d’Éphèse, évidemment ?
Pas personnellement, lui répondis-je, mais ce que j’en connais me le fait tenir pour l’un des créateurs, si ce n’est LE créateur, de la Dialectique, et je sais aussi qu’on l’a surnommé « l’Obscur » parce qu’on ne comprenait pas grand-chose à ce qu’il racontait, pour ne pas dire pratiquement rien. Á sa décharge, il reste si peu de lui, quelques fragments d’écrits seulement, un gros paquet d’aphorismes, enfin je crois. Son « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », et son « Tout s’écoule, rien ne demeure », ont beaucoup fait discuter, amorce de la Dialectique et prise de conscience de l’Impermanence, et moi ça m’a amené à réfléchir dès que j’ai été en âge de m’y essayer, assez maladroitement je l’avoue sincèrement. Et puis, j’aime bien son « Nous sommes et nous ne sommes pas » parce qu’il ouvre la boîte où se pelotonnera bien plus tard le chat de Schrödinger. C’est là tout ce que j’ai pu retenir de lui.
Bon ! Ça n’est déjà pas si mal ! approuva le Maître en modernité. Savez-vous que d’autres considèrent Zénon d’Élée, le penseur paradoxal que l’on a déjà rencontré alors qu’Achille s’épuisait dans sa course contre la tortue, comme étant le véritable inventeur de la Dialectique, parce qu’il était systématiquement apporteur de contradiction à toute affirmation qui lui était présentée, ou à toute hypothèse avancée, quelle qu’elle soit, toujours livreur ou délivreur d’une antithèse face à n’importe quelle thèse. Vous, vous devriez aimer Zénon, moi pas trop ! Peu importe ! En fait rien n’importe véritablement, je suis d’accord avec vous là-dessus. Je ne l’ai pas toujours été, absolument pas même, résolument pas, j’en conviens. J’ai changé ! Donc, bien qu’obscur, Héraclite était LE zélateur du Logos, le verbe, la parole, la raison du Monde, car disait-il, ou à peu près, c’est le logos qui gouverne l’Univers, que toutes les choses procèdent de lui et répondent à sa loi, et il déplorait que les Hommes ne le comprennent pas toujours, ou même l’ignorent totalement, c’est-à-dire ne l’écoutent pas. Héraclite estimait aussi que le feu est le principe de toutes choses car « celui qui vit éternellement » était présent aux origines et le sera encore au crépuscule de l’Univers, au début et à la fin de chaque cycle cosmique, et même pendant. Donc, on peut en déduire que le Logos est feu et que le feu est Logos. Ne pas écouter le Logos c’est avoir « l’âme humide » car c’est l’eau qui éteint le mieux le feu. C’est là tout ou partie de l’héritage que le christianisme a reçu de la Grèce, l’Éther, l’Empyrée, le Mouvement de l’Univers, le Logos, le Feu, l’UN entouré des autres hypostases, et par voie de conséquence la fortune transmise à Hildegarde von Bingen, son douaire, elle aux visions ignées porteuses du Logos. Et ces Grecs anciens, scientifiques en leur temps, philosophes et poètes, n’ont pas eu à attendre le retour hypothétique des compagnons d’Alexandre, futurs colporteurs selon vous de toutes les légendes et croyances de l’Inde, pour nourrir l’imaginaire de l’Occident chrétien en son entier des riches fruits de leurs méditations sublimes. Hypostase ! Voici l’un des autres noms du Principe premier qui se déclinera en la Perfection, l’Un, Dieu et/ou les Nombres, et la matière nécessairement vile en regard de cette perfection.
Jean dira que la Parole est l’hypostase de Dieu. « Au commencement le Verbe était et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu…tout fut par lui et sans lui rien ne fut », énonce-t-il en prologue de son évangile, clamai-je pour montrer que je l’avais bien suivi dans les méandres subtils de son raisonnement. Le Verbe s’est fait chair en la personne de Jésus ce que même l’Islam admet et proclame bien qu’il lui dénie toute ascendance divine. Jésus n’est que l’avant-dernier prophète d’une assez longue série inaugurée par Abraham, mais un prophète qui compte vraiment aux yeux de l’Islam.
Je vous retrouve, bien là, vous et vos bondieuseries ! ironisa telle la résonnance d’un écho lointain le Maître en modernité, car l’écho est toujours moquerie.
On pourrait avoir aussi une sorte de conception météorologique de l’Univers d’Hildegarde von Bingen ce que n’aurait sans doute pas désapprouvé Thalès, l’un des grands météorologues en son temps, poursuivit-il. Ainsi, il suffirait d’avancer que les roues rouges, initialement jaunes, et les ténébreuses, qui expriment la « toute puissance » et le « zèle de Dieu », à peu près son jugement suprême, par leur mouvement et leur ardeur rétractent l’éther et donnent naissance aux vents régulateurs et logophores. Ces derniers, par leurs souffles orientés et brûlants, feraient onduler une partie de l’éther et durcir une couche de l’air en contact avec lui. Ce mince anneau d’air dur telle une peau de crème sur un bol de lait encore chaud ferait se condenser l’air toujours un peu humide en nuages vraiment gris, voire franchement sombres, qui déverseraient sur la terre des déluges ou des ondées nécessairement fertilisantes, en fonction du besoin divin ou de la saison. D’un point de vue doctrinal, il s’agit de la Parole qui diffuserait, sous forme de chaleur ou de pluie, dans tout l’Univers et imprègnerait fondamentalement et irrémédiablement la Terre où vivent les Hommes. En un mot tout et le Tout sont soumis au Logos, tout et le Tout ne sont plus que Logos. Comme l’a dit, un ancien Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi dont nous serons amenés à reparler, le Grand inquisiteur, « Le christianisme doit se souvenir qu’il est la religion du Logos. C’est la foi en le « Creator Spiritus », le Saint-Esprit par qui procède tout ce qui existe » (6) …
Le Maître en modernité s’arrêta subitement et me pria de l’excuser car il devait s’absenter un petit moment en raison d’un besoin dont la satisfaction ne pouvait plus attendre. Bref ! Il avait envie d’aller pisser, et puis aussi de se mettre un petit quelque chose sous la dent car ses entrailles commençaient à réclamer leur dû, et puis encore de boire un grand coup d’eau car il se sentait la gorge abominablement sèche. Il me demanda fort obligeamment si je voulais qu’il me rapporte quelque chose. En gros, il manifestait toute son humanité, ou la retrouvait, ce qui ne pouvait qu’être rassurant. Évidemment, cela était arrivé à maintes reprises, à lui et à moi aussi, au cours de notre interminable échange. Mais, était-il bien utile que je signale chaque fois où il nous fallait satisfaire des besoins aussi basiques. Cependant, je profiterai de cette interruption-ci pour RE-préciser un point fondamental. Souvent on m’interpelle, on s’agace, on proteste, on s’insurge, on vocifère, on me dit que ça n’est absolument pas possible, qu’on ne parle pas du tout comme ça dans la « VRAIE » vie, avec un langage aussi châtié et une construction de phrase aussi pure, et puis qu’on ne discute jamais autour de thèmes aussi vastes et compliqués, sur une aussi longue durée, dans la « VRAIE » vie, que ce n’est pas comme ça du tout que les gens discutent, que j’invente, que j’affabule, et même…et même que le Maître en modernité il n’existe tout simplement pas, que c’est un pur produit de mon imagination, que je suis sujet à hallucinations, certains, des médisants, vont même jusqu’à évoquer un dédoublement de personnalité etc. etc. Tout d’abord, en commençant par la fin, le Maître en modernité est fait de chair et de neurones, ce qui veut dire qu’il existe bel et bien. Je l’ai rencontré la première fois à Bruxelles, devant « La chute d’Icare », le tableau de Brueghel, j’ai déjà raconté ceci (7), et depuis nous nous croisons assez régulièrement parce que nous fréquentons à peu près les mêmes lieux. J’ai déjà raconté tout ça. Par ailleurs, avec le Maître en modernité nous ne bavardons pas, nous ne discutons pas, jamais, nous ne nous contentons pas de parler, nous CON-VER-SONS. La conversation est l’une des choses les plus rares qui puisse survenir dans une vie d’Homme. Il s’agit d’un ÉCHANGE véritable, peu importe le thème, peu importe l’endroit, peu importe le temps qui s’écoule, en fait le temps s’efface totalement, un échange qui réclame la plus grande attention, qui exige la plus grande concentration, la meilleure écoute, où l’on donne autant que l’on recueille, qui mobilise l’esprit, qui stimule la mémoire et la réflexion, et qui, finalement, permet de ressentir quelque chose que je n’hésite pas à qualifier de plaisir, le sentiment d’avoir progressé, celui d’être devenu meilleur …si on ressent le besoin de cet échange, de cette CONVERSATION, évidemment. Une conversation, bonne au sens où je l’entends moi, est un joyau qui orne la vie d’un Homme. Une conversation est un évènement exceptionnel. Pour finir, ce que je m’applique à faire, ici et ailleurs, c’est de rapporter le plus fidèlement possible les propos qui ont été tenus, ce qui n’est pas une tâche toujours aisée quand on a en face de soi un interlocuteur du niveau du Maître en modernité, et de rendre cette « relation » la plus vivante et la plus agréable possible en arrondissant quelques mots, en polissant quelques phrases, par-ci par-là. Pour moi, l’écriture et la sculpture c’est du pareil au même. On retranche ou on ajoute de la matière, on façonne continûment l’argile scripturale avec un stylo-ébauchoir. En tant que rapporteur, il me faut confesser un certain nombre d’erreurs et d’omissions, inévitables dans ce contexte. Il ne faut en aucune manière s’en offusquer. Je ne suis pas un professionnel de la chose. Voilà tout !
Le Maître en modernité revint assez rapidement, manifestement revigoré.
Ça va mieux, confirma-t-il, beaucoup mieux ! La quaternité de la Nature telle que pressentie par Empédocle et Platon, est aujourd’hui totalement dépassée, bien sûr, reprit-il aussitôt sans préambule aucun, comme s’il n’avait jamais interrompu sa longue dissertation. Á chaque temps sa vision ou sa version des choses, comme on voudra. Françoise Combes, cette insatiable lectrice de l’Univers dit « observable », mais qui, à n’en pas douter, voudrait poursuivre sa lecture bien au-delà de celui-ci, reste pourtant acquise à cette image, je veux dire celle de la quaternité de la Nature, mais elle substitue aux éléments antiques, feu, air, eau, terre, les baryons constitutifs de la matière ordinaire, les photons transporteurs de la force électromagnétique, les neutrinos, particules voyageuses enfantées par les réactions thermonucléaires intrastellaires et les explosions de supernovae, la matière noire dite exotique puisque non baryonique. Et, en sus de cette quaternité actualisée, elle conserve la quintessence, l’éther d’Aristote, l’énergie noire, à la fois cinquième élément et cinquième force de l’Univers…si tant est que cette énergie, que cette force, puisse être clairement définie ! C’est là un très gros problème et qui ne trouvera probablement jamais sa solution ! À l’instar de l’univers d’Hildegarde von Bingen, celui d’Albert Einstein est résolument statique. Mais s’il a un début, celui décrit dans la Genèse, et une fin, celle énoncée par l’Apocalypse, s’il est strictement fini, pour la première, il est immuable et n’a pas besoin de limites, en un mot il est parfaitement fixe, pour le second. En fait, ni le commencement, ni la fin, ni la bordure éventuelle de l’Univers, ne concernent véritablement Einstein. Ce qui l’intéresse c’est la gravité à grande échelle et on peut dire que la Relativité générale est LA théorie de la gravité universelle. Mais alors Newton ? Pour Newton la gravité est déterminée par la masse des objets en présence, c’est tout. Pour Einstein elle provient non seulement de la masse, donc aussi de l’énergie du fait de l’équivalence masse-énergie, mais aussi de la pression qui correspond à une injection d’énergie nouvelle, et qui aura pour conséquence une augmentation de la masse. Pour ouvrir un sachet de bonbons, vous le pressez jusqu’à ce qu’il explose et que vous foutiez des bonbons partout, mais peu importe, vous avez injecté de l’énergie dans le sachet pour l’ouvrir, et ça a marché. Il ne reste plus qu’à ramasser. Ce qui est important c’est que la gravitation déforme l’espace-temps, et aussi que, si rien ne l’arrête, eh bien toute la matière va s’attirer, s’agglutiner, puis s’effondrer sur elle-même. Un univers trou noir, voilà à quoi ça aboutirait ! D’où l’idée d’une « constante cosmologique » représentant une gravité répulsive pour stabiliser l’Univers, c’est-à-dire pour éviter qu’il s’effondre. La constante cosmologique est un « simple » chiffre, une valeur fixe introduite dans les équations de la Relativité générale, rien de plus, et Einstein n’est pas content du tout parce qu’il estime qu’avec cet ajout ses équations sont beaucoup moins belles et, on en a déjà parlé à propos de la Vanité et de Léonard Susskind, la Beauté pour un physicien réside précisément en l’élégance de ses équations. Cette élégance s’exprime dans leur simplicité et leur unicité, comme pour une théorie du reste. Je vous rappelle que l’unicité d’une théorie, repose sur deux pieds : l’absence d’ambiguïté et l’inéluctabilité, c’est-à-dire son caractère définitif. Donc, la Relativité, restreinte ou générale, et ses équations sont élégantes, et Einstein estimait que sa constante, la constante cosmologique, les alourdissait. Il n’était pas au bout de ses déceptions ! Pourquoi ? L’Univers n’est pas statique ! Einstein ne se considérait pas lui-même comme un grand mathématicien. Sa méthode c’était plutôt les expériences de pensée, comme pour l’histoire du train et du talus. Ça donnait à peu près ceci : imaginons un très long train sur une voie ferrée qui longe un talus à une vitesse proche de celle de la lumière etc. etc. (8) Nombre d’autres physiciens étaient de grands mathématiciens. Werner Heisenberg, par exemple, mais on dit qu’il a eu énormément de mal à obtenir son doctorat de Physique. Il s’est rattrapé par la suite puisqu’il a récolté le Nobel. Bref ! Des grands mathématiciens ont fouillé les équations de la Relativité générale et les ont poussées très très loin. C’est le cas de Gorges Lemaître, un jésuite certes mais aussi l’un des astrophysiciens les plus puissants de son siècle. À peu près en même temps qu’Alexandre Friedmann, un Russe, Lemaître conçoit ce que lui appellera la « Théorie de l’atome primitif », que d’autres nommeront par dérision le Big Bang, une boule de matière hyperdense et hyper-chaude subissant une expansion considérable du fait de son intense rayonnement, donc un commencement de l’Univers ne correspondant pas exactement, par la lettre et par l’esprit, à la Genèse, mais tout à fait conforme aux calculs de Willem de Sitter, un autre explorateur des équations de la Relativité générale, constante cosmologique incluse, et aux observations de Edwin Hubble, grand découvreur et recenseur de galaxies devant l’Éternel. Lemaître a même prédit qu’il devrait subsister une trace de son grand évènement dans le rayonnement cosmique, « un écho disparu de la formation des mondes » selon ses propres termes, jolis, en gros le fond cosmologique micro-onde. Là encore, Einstein, pourtant pourfendeur de nombre d’idées pluriséculaires, un briseur de certitudes et d’absolus considérables, l’espace et le temps, s’est montré plutôt réticent quant à l’usage qui était fait de ses équations, pour lui la théorie de Lemaître n’était pas belle, elle lui déplaisait même profondément, mais au bout de quelques années il a fini par se rendre à l’évidence : l’Univers n’était pas statique mais dynamique. L’Univers a eu un début et aussitôt il a connu, et connait encore, une expansion formidable, ce qu’Hubble a confirmé, depuis son observatoire du mont Wilson, en voyant avec le temps la lumière des galaxies qu’il avait identifiées se décaler vers le rouge, témoignage que celles-ci s’éloignaient de la Voie Lactée, et puis on constatera le même phénomène, bien des années plus tard, en traçant la lumière produite par les explosions de de supernovae de type Ia. Les ondes lumineuses sont étirées avec l’expansion inflationnaire, la longueur d’onde varie en même temps que la taille de l’Univers, et plus l’onde est longue plus la lumière émise par la galaxie, ou tout autre objet, la supernova par exemple, devient rouge. C’est ça le « redshift ». Mais quelle interprétation peut-on donner à « l’atome primitif » de Lemaître aujourd’hui ?
C’est l’œuf de Brahma peut-être ? intervins-je pour le taquiner.
Bien sûr, il faut revenir aux fluctuations quantiques du vide, poursuivit le Maître en modernité sans prêter attention à ma remarque, et aussi à la théorie quantique des champs. On l’a vu, il y a accumulation de l’énergie primordiale, l’énergie du vide, puis libération de cette énergie dans une inflation qui amplifie les fluctuations quantiques, le bouillonnement moussu de particules virtuelles, pour les faire passer au niveau macroscopique à une vitesse supérieure à celle de la lumière. Ce sont ces fluctuations qui constitueront les anisotropies du fond cosmologique micro-onde, les tavelures de mon olive, les taches de rousseur de ma Véronique, qui deviendront elles-mêmes les grandes structures de l’Univers, galaxies et amas de galaxies. Comme on ne sait pas trop qualifier cette énergie issue du vide et qui se répand comme un fleuve en crue ou un raz de marée, on a créé une particule primordiale hypothétique, un concept, l’Inflaton, avec le champ qui va avec, le champ d’Inflaton, sachant que ce terme est de nature à couvrir des « formes », des « réalités », bien différentes, en suivant ce que l’on pourrait appeler l’embryogenèse et les phases de développement de l’Univers. Quelques-uns évoqueront une énergie noire initiale, une gravité répulsive donc, mais la gravité s’est-elle déjà dissociée des autres forces ? Peut-être…ou peut-être pas, mais tout va si vite ! Et puis, il faudrait franchir le mur de Planck pour savoir, et ça ce n’est pas possible. Quoi qu’il en soit la gravité est une force bien mystérieuse, notamment parce que sa particule élémentaire, le graviton, demeure un boson hypothétique car jamais capturé jusqu’ici dans les grands collisionneurs. C’est la force « la moins forte » de l’Univers mais elle est partout dans l’espace. La gravité est l’une des propriétés de l’espace. C’est aussi un fantastique réservoir d’énergie dans lequel va puiser l’Inflaton, énergie qu’il va accumuler avaricieusement puis libérer subitement dans « une salve d’expansion », une déflagration d’énergie noire. C’est comme ça qu’on peut expliquer les choses, mais ce n’est pas facile à comprendre, je le reconnais. Moi, je serais plutôt tenté de voir dans le champ d’Inflaton un formidable aspirateur d’énergie gravitationnelle rendant la gravitation de plus en plus négative, de plus en plus répulsive, le grand usineur d’énergie noire pourrait-on dire, et par conséquent LE promoteur de l’inflation. Certes, je ne suis pas le plus autorisé pour avancer cette idée mais toutes les hypothèses peuvent être émises puisqu’on ne sait à peu près rien. On doit se contenter d’aligner des postulats, avec force équations et graphiques, et c’est ainsi que l’on glisse « scientifiquement », mais sûrement vers la Métaphysique. Et ce n’est pas fini ! En tous cas pour l’inflation le champ d’Inflaton c’est bien pratique. Oui, mais « l’atome primitif » de Lemaître dans tout ça ? Il faut donner des chiffres. Entre dix puissance moins trente-cinq seconde, trente-cinq zéros avant le un et dix puissance moins trente-deux seconde, trente-deux zéros avant le un, l’expansion de l’Univers est de dix puissance trente, trente zéros APRÈS le un. Sa taille est passé de dix puissance moins vingt-sept mètre, vingt-sept zéros avant le un, à dix puissance trente mètre, trente zéros APRÈS le un. Une fantastique énergie développée au sein d’infimes grains de la poussière du temps ! « L’atome primitif » de Lemaître pourrait bien résider dans ces dix puissance moins vingt-sept mètre, un atome absolument subatomique, ou dans un possible encore moins, une infinitésimale graine d’espace. Mais, soyons bien clair, toutes ces choses et la plupart de celles qui vont suivre, ce n’est pas Lemaître qui les raconte mais la théorie quantique des champs et donc tous les astrophysiciens qui lui ont succédé à Lemaître. Lemaître, je le répète, c’est « l’atome primitif », une infime boule hyperdense et hyperchaude, ainsi que l’expansion de l’espace due à l’intense rayonnement qui a suivi le « Big Bang ». Donc, très vite, si très vite a un sens, l’énergie du champ d’Inflaton, ou l’énergie issue du vide, ou l’énergie noire initiale, comme on voudra, va s’épuiser et donc l’inflation va ralentir, « décélérer » comme disent les physiciens. L’énergie qui s’est épuisée dans l’expansion inflationnaire, tel un athlète à l’issue d’une course de vitesse, n’est pas perdue pour autant. Sous l’effet de la gravitation, elle va se condenser en particules qui sont celles de la matière « que nous connaissons », la matière baryonique, et aussi se diffuser en rayonnement, ce qui va conduire au réchauffement de l’Univers. Et puis durant cette pause laborieuse, laborieuse car ça fabrique plein de particules, le champ d’Inflaton continue de subir des fluctuations quantiques, d’où accumulation progressive d’un formidable potentiel énergétique qui en se libérant va provoquer une nouvelle expansion, exponentielle cette expansion comme se plaisent à le dire les astrophysiciens. Donc seconde déferlante d’énergie noire qui dilate l’Univers et contribue à son refroidissement. Ainsi tout se passe par à-coups même si l’inflation est permanente. C’est un peu comme si Dieu, celui des Chrétiens ou celui des Autres, soufflait très fort dans la baudruche/Univers puis s’arrêtait pour reprendre sa respiration, en n’omettant pas de serrer, toujours très fort, l’embout entre deux de Ses doigts pour que l’air, ou plutôt l’éther puisqu’il s’agit de Dieu et de l’Univers, ne s’échappe pas, et au bout d’un moment reprenait Son gonflage à peu près là où il l’avait arrêté, mais jusqu’à quel point osera-t-Il aller avant que ça n’éclate ? Pour le moment, l’enflure de l’Univers se poursuit, la dérive des objets cosmiques et le décalage vers le rouge de la lumière qu’ils émettent le prouvent, et l’opinion la plus partagée, l’idée la plus communément admise, est que celle-ci sera éternelle.
Récemment, à l’issue d’un exposé brillant fait par une cosmologiste à propos de toutes ces choses que vous êtes en train de me décrire, me permis-je d’intervenir, et ce n’était pas là une impolitesse de ma part car je n’avais rien dit depuis un bon moment, donc pour clôturer la leçon à laquelle j’assistais sur la structure, qu’elle appelait « squelette », de l’Univers et l’expansion de celui-ci, l’auditoire fut invité à s’exprimer et à poser des questions. Un monsieur avoua alors son désarroi profond car lui, déclara-t-il, il croyait fermement en l’Infini, c’est-à-dire en un univers infini, et il ne comprenait pas comment il pouvait y avoir une expansion d’un infini dans l’Infini. Effectivement ! Il lui fut répondu, très courtoisement, par la conférencière qu’il s’agissait là de philosophie, qu’elle se contentait, elle, de rapporter les observations qu’en tant que scientifique elle avait faites, c’est-à-dire en remontant le temps au moyen de toutes ses machineries bizarres, toutes ces histoires de redshift et tout ça, et qu’elle ne pouvait dans ce cadre précis aller au-delà de ce qu’elle venait d’exposer. Il m’a semblé que c’était là une bonne réponse…mais tout à fait insuffisante quand même. Ce qui est infini c’est l’espace, c’est-à-dire le vide, et le vide contient l’Univers qui se développe en lui, comme vous l’avez expliqué. On peut considérer l’espace comme le contenant de l’Univers, l’espace infini dont je parle, ou bien en tant que contenu de l’Univers, l’espace intergalactique, ou l’espace interplanétaire aire de jeu pour les États-uniens ou autre peuple mégalomaniaque, mais tout à fait fini. On peut déplorer un manque de précision du vocabulaire, comme pour le terme « Monde », planète ou univers. Quoi qu’il en soit, les scientifiques observent, font des hypothèses, calculent, mettent en équation, construisent des modèles, observent à nouveau, élaborent des théories, font des spéculations qui seront ou non vérifiées. Une hypothèse, une théorie, même en s’appuyant sur un système, un bloc d’équations solides, si on sait qu’elle est à tout jamais invérifiable, relève-t-elle encore de la Science ? Non ! C’est de la pure Métaphysique ! Et l’astrophysique contemporaine est bourrée de théories séduisantes, telle la Théorie des Cordes pour ne citer qu’elle, à tout jamais invérifiables, donc elle est emplie de Métaphysique. L’expansion éternelle de l’Univers est, elle aussi, une hypothèse invérifiable. Quant à l’Infini on n’en sait rien non plus. Je sortais à peine de l’enfance lorsque j’ai entendu une petite fille formuler la question sur un mode extraordinairement intelligent : s’il est difficile de se représenter un univers infini, c’est encore plus difficile de l’imaginer fini. Indiscutablement, cette petite fille m’avait fait naître à la Métaphysique. Cependant, je dois humblement avouer que depuis je n’ai pas progressé dans cette discipline comme il eût fallu. Je suis resté un adolescent en Métaphysique, comme en Science du reste, et en bien d’autres choses encore. Bref ! La philo ce n’est toujours pas trop mon truc. Pour en revenir à la conférencière, elle, elle se maintenait du côté du tangible, du scientifique dure, la toile cosmique, les écoulements de matière dans les filaments, l’éloignement progressif des galaxies les unes des autres, mais pas question d’aller au-delà, or l’expansion de l’Univers conduit inévitablement à un incommensurable au-delà, l’Infini, un inconnaissable durable, voire éternel lui aussi.
Vous avez tout à fait raison à propos de la Métaphysique et de l’Inconnaissable, me concéda le Maître en modernité. Aujourd’hui, on considère que l’Univers contient cinq pour cent de matière ordinaire, entre vingt et vingt-cinq pour cent de matière noire, et entre soixante-dix et soixante-quinze pour cent d’énergie noire. En dehors du fait que l’énergie noire, la quintessence, imbibe tout l’espace, dans le sens intergalactique du terme, sans qu’on n’ait la moindre idée de ce qu’elle pourrait bien être, champ d’énergie qui exerce une pression négative sur l’Univers, qui l’étire tel un vulgaire morceau de caoutchouc, s’il y a un boson spécifique qui la supporte et la transporte, il faut admettre qu’il y a près de QUATRE-VINGT-QUINZE pour cent du contenu de l’Univers qui est hors de notre portée, qui nous échappe complètement et durablement, éternellement sans doute. C’est énorme ! Un colossal Inconnaissable ! C’est par la gravitation et la déformation de l’espace-temps résultante que s’est révélée la matière noire et on n’en sait guère plus sur elle, bien que ce ne soient pas les hypothèses qui manquent. C’est par le décalage vers le rouge de la lumière des objets cosmiques que s’est révélée l’énergie noire et on n’en sait guère plus sur elle non plus. Mais, la matière, baryonique et noire, ayant été donnée une fois pour toute en quantité et en masse, avec l’expansion sa densité va diminuer progressivement, elle va être diluée dans l’Univers et l’énergie noire représentera à terme près de CENT POUR CENT du contenu de ce dernier qui de surcroît va considérablement se refroidir. Voilà, le scénario prévisible si l’expansion est éternelle, et la majorité des scientifiques estiment qu’elle l’est. On peut considérer l’énergie noire comme étant l’énergie de la constante cosmologique d’Einstein à ceci près, comme je l’ai déjà dit, que la constante cosmologique assure l’équilibre d’un univers statique, donc c’est un point fixe, tandis que l’énergie noire assure la dynamique de l’Univers et la stabilité de la matière. Dynamique, puisqu’elle est le souffle de l’expansion, le souffle de Dieu qui gonfle la baudruche/Univers. Facteur de stabilité puisqu’elle empêche la matière de s’effondrer et, à l’inverse, elle permet aux atomes et aux structures de se constituer. Par conséquent, et c’est bizarre, sa valeur, ou plus précisément le rapport entre la gravitation négative et la gravitation positive, doit être extrêmement faible pour assurer simultanément ces deux fonctions, expansion de l’Univers et cohésion de la matière. « La gravitation est l’ange gardien de la matière », dit joliment Brian Greene. Bon ! Au-delà de cette vignette teintée de religiosité, force nous est donnée de constater que nous aussi nous décalons quelque peu vers le rouge par rapport à Hildegarde von Bingen, à ses visions et aux images qu’elle nous livre d’elles. Elle nous a fait voguer très loin sur ses lignes mélodiques puis elle nous a conduit sur des fluides étranges qui sont aussi nommés champs d’énergie, nos voiles gonflées par divers logos, Hildegarde. Et finalement nous dérivons vers l’Infini et l’Inconnaissable, nous mettons le pied sur de multiples rivages, philosophiques, scientifiques, artistiques, et nous osons même jeter des ponts entre des mondes qui restent à déchiffrer ou même à défricher, quelques nouvelles « terras incognitas ».
Le vide, la matière, le mouvement, l’Infini et la multiplicité des mondes aussi, tout ceci nous renvoie une fois encore à la Grèce, et plus particulièrement à Leucippe et à Démocrite, les philosophes atomistes desquels il ne reste aujourd’hui aucun écrit, ou alors, peut-être, au fond de quelque bibliothèque secrète, sur quelque rayonnage dissimulé derrière les iconostases des moines du mont Athos, mais ils ont été amplement commentés par nombre de gens de leur temps et de bien après, des doxographes et philosophes de tout poil. Vous connaissez tout ça beaucoup mieux que moi évidemment, dis-je au Maître en modernité.
Celui-ci hocha la tête pour marquer son approbation et il m’invita courtoisement à poursuivre, courtoisement parce qu’il connaissait bien les atomistes grecs, évidemment.
Enfin, Leucippe et Démocrite, si on peut faire la différence entre les deux, s’ils sont bien deux, le Maître et l’élève, il convient d’amplement les citer car ce sont de véritables visionnaires ces deux- là…même s’ils ne sont pas deux (9). Ils ont hérité des Milésiens et d’Anaxagore, desquels vous venez de raconter l’histoire, la conception d’un univers dynamique, mais pour eux, les Atomistes, le mouvement repose sur deux principes : les atomes, évidemment, et le VIDE. « Tout le reste n’est qu’opinion », affirme l’incontournable Diogène Laërce (10), opinion s’entendant comme un pseudo-savoir, la Doxa. Les atomes c’est la matière évidemment, mais c’est l’Être aussi, et le vide c’est le Rien, donc le Non-Être. « Être », « Non-Être », « Opinion », ce sont là des concepts repris aux philosophes d’Élée, dont les augustes représentants sont Parménide et son disciple Zénon, le dialecticien paradoxal qui est incontournable lui aussi, Zénon le maître de Leucippe si toutefois il y eût Leucippe. Mais, pour les Éléates, le vide n’existe tout simplement pas, le Monde, l’Univers, est immobile, tandis que pour les atomistes le vide est la condition même du ou des mouvements qui anime(nt) l’Univers, et pour du mouvement il y en a ! Le vide est le lieu du mouvement et il permet aux atomes qui sont très agités, qui bougent sans cesse, de traverser l’Univers en tourbillonnant. Bien sûr les atomes de Leucippe et Démocrite ne s’intègrent pas du tout dans le modèle planétaire d’Ernest Rutherford avec des électrons orbitant autour d’un noyau massif chargé positivement (11), et encore moins dans les modèles développés un peu plus tard par Niels Bohr et les physiciens quantiques, évidemment. D’abord, ils sont insécables, comme les pilules qu’on cherche quotidiennement à nous faire avaler, autrement dit les atomes sont les particules élémentaires de l’époque. Ils sont en nombre infini, leurs formes et leurs tailles aussi. Il y en a des ronds, des concaves, des convexes, des crochus, des pointus, des polyèdres divers et variés, etc. etc. Il y en des légers et d’autres lourds en fonction de leurs dimensions, grandeur et grosseur, et certains doxographes et théologiens estiment même qu’il pourrait y avoir un atome gros et grand comme un monde, ou comme le Monde. Les atomes c’est comme une foule, quand ils sont trop nombreux, quand il y a trop de monde, ça se bouscule, ça se presse, ça se querelle, c’est ce qui explique les orages, les vents violents, les tremblements de terre, et nombre de calamités. Le premier mouvement des atomes est « un éclaboussement en tous sens » dit, je crois, Simplicius, un néoplatonicien fameux commentateur d’Aristote, ou peut-être Aristote lui-même. Je ne sais plus. Diogène Laërce, lui, discerne, si ce n’est de la rationalité dans tout ceci, tout du moins un certain ordre des choses, que Démocrite nomme « nécessité ». Rien n’est rationnel car tout relève du hasard, c’est-à-dire d’une absence d’intention et non pas d’un défaut de causalité, car la causalité est bien présente. Il y a des enchaînements purement mécaniques sans volonté démiurgique aucune. La nécessité réside dans cet enchaînement stochastique en même temps que causal. Chez les atomistes il n’y a pas de divinité créatrice et même pas de divinité du tout. Donc, Diogène Laërce explique la conception des Abdéritains, c’est-à-dire de Leucippe et Démocrite tous deux natifs d’Abdère…enfin pour Leucippe il y a débat car certains disent qu’il est d’Élée et d’autres de Milet…On rigole de cette obsession des origines aujourd’hui mais à cette époque ça pouvait avoir son importance…aujourd’hui encore d’ailleurs… pour certains, mais pas du tout des philosophes ceux-là. Donc Diogène Laërce explique la chose suivante, à partir de Démocrite, et il l’explique bien : « Les atomes sont infinis quant à leurs grandeurs et quant à leur nombre, ils se déplacent dans tout l’univers en effectuant des mouvements tourbillonnaires, et c’est de la sorte que se forment tous les composés : feu, eau, air, terre…Tout est engendré conformément à la nécessité, le mouvement tourbillonnaire étant la cause de la formation de toutes choses, et c’est celui-ci qu’il appelle précisément “nécessité”… » (12). Moi, ce mouvement tourbillonnaire me renvoie à ce que vous m’avez raconté sur Moritz Escher et ses « whirlpools », cette tessellation de poissons volants déglutie par un tourbillon et engloutie par un autre. Les « composés » résultants peuvent être perçus comme une tessellation d’atomes. C’est réjouissant ! J’aime les spirales cosmogoniques de Leucippe et Démocrite. Pour Aristote, ça ne l’est pas du tout réjouissant. Certes, il cite les Atomistes mais c’est pour critiquer leur physique qui concède une large place au mouvement sans l’expliquer véritablement, sans en donner la cause si ce n’est par une « nécessité » mal définie, une sorte d’ordre « hasardeux ». Ce n’est pas la seule chose qu’il leur reprochera du reste, mais Aristote a souvent la dent dure à l’égard de ceux qui ne sont pas lui. Toujours à partir de Démocrite, Diogène Laërce explique que, du fait que les atomes sont en nombre infini, les mondes le sont tout autant. « Les mondes sont en nombre illimité, ils naissent et ils périssent. Rien ne se créé de ce qui n’est pas, rien ne se perd dans ce qui n’est pas » (12). En d’autres termes, le néant n’existe pas, tout naît du vide et des atomes agités par la nécessité, que ce soient les éléments, c’est-à-dire la quaternité de la Nature, les mondes, et même l’âme, tout, absolument tout est composé. Certains « composés » peuvent être plus grands que d’autres tout en étant moins lourds, soit parce qu’ils sont constitués d’atomes légers, soit parce qu’ils contiennent plus de vide et moins d’atomes. Logique ! Une grande idée aussi des atomistes réside dans le fait que « le semblable se porte vers le semblable » et il en va ainsi pour tous les composés. C’est à partir de celle-ci que Démocrite explique le magnétisme, nous dit Alexandre d’Aphrodisias, un péripatéticien : « l’aimant et le fer sont constitués d’atomes semblables, mais ceux de l’aimant sont plus fins…[l’aimant] est moins dense et possède plus d’interstices vides que le fer. Ses atomes étant, à cause de cela plus mobiles, se déplacent plus aisément vers le fer. En pénétrant dans les pores du fer ils mettent en mouvement ses corpuscules en se glissant à travers eux grâce à leur finesse, tandis que les atomes du fer se répandent en dehors et s’écoulent sous forme d’émanations vers l’aimant ». C’est amusant ! C’est aussi à partir de ce « rassemblement des semblables » que Leucippe décrit la formation des mondes comme le rapporte Diogène Laërce. En gros, les atomes de tous types surgis de l’infini forment un grand tourbillon dans le vide et c’est dans ce tourbillon que se fait le tri des semblables. Les plus légers sont éjectés du vide intérieur vers le vide extérieur, puisqu’en dehors des atomes tout est vide, et les autres forment petit à petit une membrane sphérique, une baudruche qui continue de tourbillonner et qui gonfle en capturant d’autres atomes. Certains se regroupent en son cœur, là encore « le semblable se rapproche du semblable », et forment la Terre, mais comme la membrane n’arrête pas de tourbillonner d’autres groupes d’atomes s’échauffent et puis s’enflamment pour former le monde stellaire. Ainsi différents cercles se forment autour de la Terre, plus ou moins de feu en fonction de leur distance par rapport à cette dernière. « De même qu’il y a des naissances de mondes, il y en a des croissances, des dépérissements, selon une sorte de nécessité, sur la nature de laquelle [Leucippe] ne donne pas de précision », conclut Diogène Laërce. Aetius, un doxographe compare la membrane tourbillonnante à un filet muni d’hameçons jeté par Leucippe et Démocrite dans le vide pour capturer les atomes qui y nagent et ainsi nourrir le Monde. Donc beaucoup de mouvement dans l’Univers, mouvement autorisé par le VIDE et enrichi par le rassemblement des semblables, mais Épicure, continuateur des Abdéritains, attribuera un mouvement « libre » aux atomes, le « clinamen », comme le rapporte son lointain disciple Lucrèce, un poète, car d’Épicure il ne reste pas beaucoup d’écrits non plus. Là encore il faudrait pouvoir fouiller des caves aux greniers tous les monastères des Météores. Le clinamen est une « légère » déviation de l’atome lors de sa chute dans le vide, mouvement qui semble échapper à tout déterminisme, comme si l’atome affirmait une réelle volonté, mais qui provoque son entrechoquement avec les autres atomes et déclenche toute la machinerie cosmogonique. Sans cette « légère » déviation, les atomes tomberaient tout droit comme de la pluie, ou comme des météorites, et ne se rencontreraient jamais, ne se heurteraient jamais. Pas de monde(s) possible(s) alors. Dans sa très belle lettre à Pythoclès, l’un des rares textes qui reste de lui, Épicure donne sa conception de l’infini et de la multiplicité des mondes : « Un monde est une portion du ciel enveloppant les astres, la terre et tout ce qui apparaît, qui constitue une section prélevée de l’infini, se terminant par une limite ténue ou dense…en rotation ou au repos, et de contour rond, ou triangulaire, ou de toute autre forme…Que de tels mondes soient infinis en nombre, on peut le concevoir, comme aussi le fait qu’un monde de ce type puisse naître aussi bien dans un monde que dans un intermonde, c’est ainsi que nous appelons un espace intermédiaire entre des mondes, dans un lieu en grande partie vide…certaines semences appropriées ayant afflué – depuis un unique monde ou un intermonde ou depuis plusieurs mondes – produisant peu à peu des adjonctions, des articulations et des migrations vers un autre lieu – au gré du hasard -, ainsi que des pluies de matériaux appropriés, jusqu’à un état d’achèvement et de stabilité… » (12). Voilà ! Le vide, la matière, l’Infini, le mouvement, la multiplicité des mondes, tout y est !
Je ne récitais pas par cœur, bien sûr. Je m’appuyais sur quelques notes que j’avais prises à propos des Atomistes, car j’aimais les spirales cosmogoniques de Leucippe et Démocrite, je l’ai dit, et puis j’aimais l’ambiguïté du clinamen d’Épicure aussi, ce vacillement au bord du libre-arbitre.
Savez-vous que certains, des anciens, attribuaient à un dénommé Mochos de Sidon, un proto-philosophe phénicien perdu dans le brouillard des siècles, un mythe peut-être, la paternité de la théorie atomiste, et que Démocrite pouvait donner le nom « d’idées » ou celui de « formes » aux atomes ? intervint le Maître en modernité. « Idées » ou « formes » puisqu’infinis ils pouvaient et donnaient forme à une infinité de choses. Toujours est-il on voit bien à quelle source Giordano Bruno, auquel nous nous sommes intéressés il y a peu, a pu s’abreuver pour ses propres idées sur l’infini, l’univers et les mondes, même si lui n’abandonnait pas son démiurge, surtout pas, poursuivit-il, parce que doté d’une « capacité infinie » Il ne pouvait se satisfaire d’un monde fini. « En Lui pouvoir et faire ne font qu’un », souvenez-vous. Bon ! À la matière on y reviendra parce que j’ai beaucoup de chose à dire à son propos, et puis il faudra bien aborder la question de l’âme car les Grecs et nombre de leurs successeurs, chrétiens ou non, s’en sont préoccupés, et moi parmi eux, à ma manière, un peu moins que les autres probablement, proposa-t-il. L’Univers est-il fini ou infini ? L’espace est-il fini ou infini ? Et enfin, existe-t-il d’autres univers en dehors du nôtre ? Les physiciens et astrophysiciens contemporains, quoi qu’ils veuillent bien en dire, à l’instar de votre conférencière prudente, sont traversés par ces questions, et certains émettent des hypothèses audacieuses, échafaudent des théories subtiles, et, comme pour se disculper d’une manière d’enfantillage, ils transforment leur science en un jeu savant pour lequel ils fabriquent des mathématiques nouvelles, alignent des équations complexes qui frisent l’insoluble. Un jeu ! Mais, en dernière analyse, la réponse est : on ne sait à peu près rien, et de toute façon on ne pourra jamais vérifier quoi que ce soit. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a bien eu un début et que l’Univers pourrait être âgé d’un peu moins de quatorze milliards d’années-lumières (13). Mais du fait de l’expansion, un objet qui dès l’origine émettait de la lumière se trouve aujourd’hui situé à plus de quarante milliards d’années-lumière, ce qui représente l’horizon cosmologique actuel, c’est-à-dire la limite de ce qu’il est théoriquement possible d’observer, et ne nous renseigne absolument pas sur la finitude ou l’infinitude de l’Univers. Regarder l’Univers, c’est comme feuilleter un album de famille dans lequel on ne parviendrait toujours pas à retrouver ses photos de la prime enfance ni, pour cause, découvrir celles de l’avenir, celles d’après notre mort. Tout comme nous l’Univers est bien né comme l’estimaient également les Atomistes pour leurs mondes multiples, qui naissent, croissent et disparaissent conformément à la nécessité, mais pour eux ce qu’ils appelaient l’univers, c’est-à-dire le vide et les atomes, était infini, immuable et éternel. Ils se sont trompés pour les atomes, évidemment, comme ils se sont trompés pour le temps qu’ils déclaraient éternel aussi…tout en le confinant à une simple apparence, celle née de l’alternance des jours et des nuits.
Sommes-nous en droit d’évoquer une erreur, confrontés que nous sommes à d’aussi belles images produite par une telle intelligence intuitive ? lui demandai-je tout empreint d’une certaine émotion. Ne sont-ce pas les philosophes physiciens de la Grèce qui ont créé la vraie mythologie, une mythologie purement scientifique, c’est-à-dire vidée du divin, tandis que les beaux aèdes en ont créé une, tout aussi onirique certes, mais certainement trop pleine de dieux trop humains ? Et puis, bien sûr le théâtre tragique, qui a parfois approfondi la mythologie des aèdes, Prométhée, Héraclès, révélé des universaux, Œdipe, Philoctète, posé entre autres la problématique du Droit, Antigone, Oreste. En fait, toutes les mythologies sont essentielles parce que représentant les fondations mêmes des civilisations, mais la nôtre la plus obscurantiste de toutes, je parle de la civilisation, sans avoir même songé à en retirer une quelconque leçon les a sans doute oubliées, définitivement. Alors, en dehors de quelques érudits majoritairement confinés dans leurs universités, qui se souvient encore d’Empédocle et de ses principes d’amour et de haine, de Démocrite de ses atomes et de son vide, d’Anaximandre et de son Ápeiron, d’Anaxagore et de son Noûs, pour ne citer qu’eux ?
Vous n’avez pas tout à fait tort, convint le Maître en modernité, mais attardons-nous un instant, …ou plus, à l’Espace, ou au Vide comme nous l’avons vu, si vous le voulez bien, et puis à cette nouvelle question qu’est la pluralité des mondes. Presque tous estiment que l’Espace, contenant de l’Univers et non pas son contenu, est infini. Dans l’Infini, les fluctuations quantiques ne peuvent être qu’en nombre infini, ça doit bouillonner de partout, bien sûr, et il est probable que différents champs d’Inflaton se soient développés, et se développent encore, et se développeront toujours, en différents endroits de l’Espace, si le terme « endroit » peut avoir un quelconque sens quand il s’agit de l’Infini, donc accumulation d’énergie ici ou là, ou même partout, pourquoi pas ?, des poches de potentialité partout, qui à partir d’un certain niveau peut déclencher, ici où, là des salves d’inflation, éclatement des poches de potentialité ou gonflement subit de celles-ci dans l’espace infini, pluralité des mondes, tessellation de l’espace, tissage d’un « multi-univers façon patchwork », comme le nomme Brian Greene, moi je préfère le terme de MULTIVERS à celui de multi-univers (14). D’autres envisagent la création d’univers-bulles, comme le gonflement d’une nouvelle baudruche/univers à l’issue de chaque pause dans l’expansion inflationnaire, ces pauses prises par l’énergie dont la fatigue se condense en particules et se diffuse en rayonnement, brasero auquel se réchauffe l’Univers, la plus grandiose structure fractale, comme la décrit Françoise Combes, lorsqu’elle, cette investigatrice obstinée du noir, trou, matière, énergie, se prête à rêverie, comme une grappe de raisin en constant mûrissement, le multivers-bulles pas Françoise Combes, dans laquelle chaque grain correspondrait à un monde, à peu près semblable au nôtre ou totalement différent du point de vue de ses valeurs de champs, Inflaton, Higgs, etc., ou de ses constantes, la charge de l’électron, la masse du proton, ou l’intensité de la force électromagnétique etc. etc. La Mécanique quantique et la Théorie des cordes qui en est une extension, et quelle ! , une excroissance absolument inouïe, ou bien une franche hétérodoxie, comme le bouddhisme par rapport à l’hindouisme pour reprendre une image qui vous est chère, donc chacune des deux a développé une ou plusieurs hypothèses, et même un peu plus que des hypothèses puisqu’il s’agit de véritables modèles théoriques reposant sur un arsenal mathématique complexe, à propos des univers multiples, du multivers, dans leur grande quête de ce que je me permettrai d’appeler, au risque de faire hurler les physiciens, l’ÉQUATION DE DIEU. Cette équation, une image bien sûr, pourrait surgir de, ou être approchée par, ce qu’on appelle la « théorie du tout », unification des quatre forces fondamentales dans une « superforce », ou la « Théorie M », unification de la Relativité générale et de la Mécanique quantique, ou produit de l’unification des cinq théories des cordes et de la supergravité. Tout ceci est très compliqué et je tenterai d’être un peu plus clair, bien entendu, sans toutefois être certain d’y parvenir. Le cœur de diamant de la Mécanique quantique, on l’a déjà amplement dit, c’est la théorie quantique des champs, mais en fait ce cœur est triple parce qu’il y aussi les relations d’incertitude de Heisenberg, qu’on connait déjà aussi, et puis l’équation de Schrödinger. Pour faire simple, la Mécanique quantique est la physique de l’infiniment petit, celle des particules élémentaires, et dans l’infiniment petit on ne sait jamais trop où sont les choses ni où elles vont. Donc on essaye d’y regarder de plus près, mais on ne peut regarder, ou mesurer, qu’une chose à la fois : soit la vitesse, soit la position d’une particule. Les deux, ensemble, ça n’est pas possible en raison de l’influence, de l’action, de l’appareil de mesure sur ce que l’on regarde. En gros, les photons émis pour regarder ce qui se passe affectent le comportement de la particule et plus leur énergie est élevée, afin de regarder précisément, pire c’est. C’est Heisenberg qui nous explique tout ça, et vous le savez déjà. On utilise aussi et surtout les probabilités. En physique quantique la probabilité est reine car elle seule permet d’approcher au plus près de la réalité, le comportement d’une ou des particules. Une particule à telle probabilité d’être ici et telle probabilité d’être là. Ça, c’est le domaine de Schrödinger ! Cet usage permanent des probabilités énervait beaucoup Einstein, un tenant absolu du causalisme, d’où le fameux « Dieu ne joue pas aux dés » qu’on lui a fait dire à Niels Bohr, mais tout le monde connait cette histoire. Où je veux en venir, c’est que s’il existe une probabilité, même faible, pour qu’une particule soit quelque part c’est qu’elle y est, dans ce monde… ou dans un autre. Pour les physiciens quantiques tout ce qui est probable est appelé à se réaliser dans ce monde…ou dans un autre. Enfin, les physiciens n’ont pas toujours vu les choses sous cet angle. Tout d’abord, il faut rappeler ce qu’il faut entendre par « probabilité » en physique quantique. Pour reprendre l’image d’Einstein, une particule ce n’est pas un dé. On n’a pas une chance sur six de gagner en donnant sa bonne position après l’avoir jetée. Non ! C’est plus compliqué ! Une particule est aussi une onde, la fameuse dualité onde-particule, ou plutôt onde-corpuscule, qui se déploie dans le temps. Une onde est tordue comme un bossu. Ç’est tout en creux et en bosses une onde, ou en dépressions et en sommets, ou en vallées et en pics, comme on voudra. Quand on est face à une machine à deux fentes, la machine de Young, et qu’on envoie une particule, un photon, ou un électron, ou quoi que ce soit d’autre, l’onde qui lui est associée passe par les deux fentes en même temps, mais sur l’écran détecteur situé derrière les deux fentes on constate un seul impact, celui de la particule. Si on en envoie alors un gros paquet d’électrons ou autres dans le même dispositif, sur l’écran on voit une alternance de bandes sombres et de bandes lumineuses que les physiciens appellent « figure d’interférence ». Ce sont les ondes qui ont interféré en passant les fentes et les particules se sont rangées en bon ordre, en fonction des pics et des creux des ondes. Si les ondes sont en phase, c’est-à-dire si les pics, ou les creux, se correspondent, pic avec pic, creux avec creux, elles se cumulent, et il y a une très grosse probabilité de trouver les particules. Si les ondes ne sont pas en phase, si les pics de certaines correspondent aux creux d’autres, elles s’annulent, et il y a une très faible probabilité de trouver les particules, voire aucune. Ainsi, depuis Max Born, on appelle l’onde associée à une particule une « onde de probabilité ». Par définition une onde ça ondoie, c’est-à-dire qu’elle se déploie dans le temps et Schrödinger avec son équation cherche moins à circonscrire très précisément la particule qu’à suivre l’onde dans son ondoiement, dans son déploiement, et même à prévoir comment sa forme va évoluer avec le temps parce que ça n’est pas une simple sinusoïde cette onde-là. Il y a des obstacles sur sa route, les fentes par exemple mais pas que. On peut découper un tronçon d’onde pour l’analyser, c’est-à-dire regarder ce qui se passe sur celui-ci. On y voit des pics de différentes hauteurs ainsi que des vallées au pied des pics. La probabilité de trouver la particule est fonction de la hauteur du pic. Plus le pic est haut plus la probabilité de la trouver cette particule est importante. Dans les vallées, la probabilité est égale à zéro.
Le Maître en modernité parut réfléchir intensément alors qu’il continuait de parler, puis il s’arrêta, le front plissé comme s’il était saisi d’un doute.
Pourquoi, suis-je entrain de discourir sur tout ceci, je veux dire les ondes et les probabilités ? demanda-t-il un peu anxieux, à moi comme à lui-même.
Beeein…je ne sais pas trop moi ! lui répondis-je un peu pris au dépourvu…Nous évoquions l’infini, l’inconnaissable, l’espace, la matière…Ah oui ! et puis aussi la pluralité des mondes.
C’est bien ça ! confirma-t-il. Excusez-moi ! Le multivers quantique, évidemment ! Á Copenhague, pour Niels Bohr et son équipe si on observe, c’est-à-dire si on mesure, la position d’une particule, cette dernière se fixe sur le pic le plus élevé de l’onde et tout le reste disparait. Le pic correspond donc, à partir de ce moment précis, à la probabilité maximum, cent pour cent, et on dit qu’il y a « un effondrement » de l’onde de probabilité. Elle n’existe plus. Seul reste la particule figée au sommet du pic, comme elle pouvait l’être sur l’écran détecteur derrière les deux fentes. Niels Bohr était bien content avec ce résultat, sauf que… A Princeton, Hugh Everett soutient une autre thèse, vraiment audacieuse celle-là, et c’est celle de son doctorat. Everett a pour directeur de thèse John Wheeler, un incontournable à la manière de Diogène Laërce puisqu’on l’a déjà rencontré souvent Wheeler, au sujet des trous noirs, de la mousse quantique et du primat de l’information. Le monde est bien plus petit qu’on veut le croire, et c’est d’autant plus normal ici puisqu’il s’agit du monde quantique ! Donc, dans sa thèse, Everett affirme, en gros parce que ce n’est pas facile à comprendre, que l’équation de Schrödinger ne permet pas l’effondrement de l’onde de probabilité, ou alors en apparence et seulement dans un monde, que s’il y a une probabilité non nulle pour une position de la particule, un pic, eh bien celle-ci se réalisera ailleurs, dans un monde qui lui est propre, et que s’il y a plusieurs pics eh bien ils se réaliseront eux aussi ailleurs, dans des mondes qui leur sont propres. Si derrière chaque fente de la machine de Young on place un écran détecteur spécifique, un écran pour la fente de droite, un écran pour la fente de gauche, et qu’on envoie le flux de particules. Les deux fractions d’onde sont définitivement disjointes et ne pourront donc jamais former la figure d’interférence, l’alternance des bandes verticales lumineuses et sombres sur le plan d’un unique écran. Il y aura seulement un paquet d’impacts sur l’écran de droite et un autre paquet sur l’écran de gauche. Les deux fractions d’ondes ont évolué différemment et chacune se réalise sur un écran qui lui est propre, un univers qui lui est propre. On dit qu’elles ont décohéré. C’est comme le chat dans la boîte avec la fiole de poison (15). Tant qu’on n’a pas enlevé le couvercle il est vivant ET mort. La probabilité qu’il soit vivant et celle qui soit mort sont les mêmes. On enlève le couvercle et on sait, mais on sait dans notre monde. La probabilité de l’autre état, non nulle, se réalisera aussi dans un autre monde, obligatoirement. Le fait d’enlever le couvercle amène la décohérence. Avec son équation, Schrödinger ne ment et ne se trompe jamais. Everett dit également que les mathématiques de la physique quantique s’appliquent non seulement au monde subatomique mais aussi au monde macroscopique puisque les êtres et les objets qui l’habitent sont constitués de particules. Les particules de l’observateur, de sa machine à observer, ou à mesurer si on veut, et la particule observée appartiennent au même monde. Quelque part elles sont liées, non seulement entre elles mais aussi à un même réel. Ce fut au tour de Niels Bohr de ne pas être content puisqu’Everett remettait en cause son interprétation du réel, l’interprétation de Copenhague. Wheeler, lui, était enchanté mais il a voulu ménager son ami Bohr, et on dit qu’il aurait demandé à Everett d’édulcorer un peu sa thèse, sa thèse de doctorat.
Il est vrai que c’est drôlement tordu comme thèse, tout autant que l’onde qui ondoie irrégulièrement, commentai-je enjoué.
Et encore ici je l’ai faite simple, voire même un peu simpliste, s’excusa le Maître en modernité affichant un air tout aussi enjoué.
Nous fîmes une pause tout rigolards que nous étions mais il n’est pas sûr du tout que cette histoire soit de nature à amuser grand monde.
Bon ! L’équation de Dieu ! annonça-t-il rapidement en tentant de reprendre son sérieux. Très tôt, est née l’idée, l’envie, le désir, de regrouper toutes les lois de la Nature sous le même toit d’une théorie dès lors vraiment générale, de réaliser « un modèle qui tisserait toutes les forces de [ladite] nature en une seule étoffe mathématique », comme l’énonce de manière plus élégante Brian Greene (14). Déjà ça avait fait rêver Einstein, et on serait presque tentés de dire « facile » puisqu’il n’y avait que deux forces connues en son temps de jeunesse, l’électromagnétisme et la gravitation, et que la Relativité générale avait fait plus qu’entamer un bien gros travail de débroussaillage de la Physique. Ben non ! Ça n’était pas facile du tout ! Et après ça, très rapidement, on a rajouté deux autres forces, la force nucléaire faible et la force nucléaire forte, sans compter le retour de la quintessence, et une nouvelle théorie, celle des quanta. Pour la Relativité générale qui s’attache aux objets très massifs la gravitation joue LE rôle majeur. Pour la Mécanique quantique qui épluche les objets subatomiques il ne saurait y avoir de gravitation… enfin, peut-être que si quand même, car celle-ci pourrait être prise dans un filet fait de quanta d’espace, nous dit-on, dans les boucles d’un sidérant tapis cosmique, ou bien encore dans un entrelacement, un invraisemblable tunnel mathématique, de dimensions surnuméraires. C’est toute la question de la gravité quantique qui est posée là, mais j’anticipe. Pour le moment, les deux théories se croisent dans les singularités (16) de ces deux carrefours de l’extrême que sont le Big bang et les trous noirs. C’est du foyer allumé par cette idée et attisé par cette envie, de l’embrasement de ce désir, que jaillit tel un Phénix, mais pas renaissant puisque jamais entrevu jusqu’ici, la Théorie des cordes. Souvenez-vous ! La Théorie des cordes on l’a déjà approchée, abusivement c’est probable, à propos de l’œuvre spatiale de Kazimir Malevitch, un intuitif qui se revendiquait comme tel, de son obsession de l’attraction, davantage magnétique que gravitationnelle il est vrai, de son « sentiment » de l’Univers, de sa « sensation d’une vague mystique » aussi, manière d’onde parcourant la surface picturale et mentale, et surtout de ses « Supremus » où les couleurs formées traversent en diagonale la toile tels de vertigineux objets cosmiques dérivant dans l’espace infini et qui s’attirent les uns les autres par aimantation ou par aspiration. Cette fois-là déjà, sous le prétexte de l’Art, nous parlions l’un et l’autre de Physique tout autant que de Dieu, et ça c’est vraiment bizarre car si nous adorons la première, eh oui vous aussi je crois l’avoir compris, nous ignorons résolument le Second. Quelles sont ces cordes avec lesquelles on a lié ladite théorie ? D’infimes objets élastiques, dont la taille est de l’ordre de la longueur de Planck mais qui sont extensibles, peut-être à l’infini, qui vibrent dans des espaces complexes formées par un enchevêtrement de dimensions imperceptibles car compactifiées, donc une nouvelle géométrie, et qui, de par leur mode vibratoire, qui dépend lui-même de leur niveau énergétique, confèrent toutes leurs propriétés aux particules élémentaires, aussi bien fermions que bosons, donc une nouvelle Physique. L’objectif de cette physique est l’unification de la Relativité générale et de la Mécanique quantique, objet du désir brûlant que je viens d’évoquer, et de proposer au passage une théorie quantique de la gravitation puisque s’en était la condition sine qua non. Dans la théorie des cordes tout, absolument tout, est mathématique…une sublime SPÉCULATION mathématique comme un bassin insondable au milieu duquel les chercheurs vont courir le risque de se noyer dans l’épais bouillon de la Complexité. Un enjeu plus que prométhéen ! Une spéculation savante sur l’Inconnaissable ! Dès le départ, pour surmonter certaines difficultés rencontrées dans la résolution des équations, se fait sentir âprement le besoin de dimensions venant en sus des dimensions ordinaires, les trois d’espace et celle de temps, des dimensions spatiales, vingt au démarrage puis ramenée à six puis portées à sept, expression de l’évolution de la théorie, enroulées sur elles-mêmes ou nouées entre elles dans des formes étranges et compliquées, les Calabi-Yau, à l’origine espaces strictement mathématiques sans visée physique particulière (17). Le mode vibratoire des cordes est influencé par ces formes prises par les dimensions supplémentaires. Il y a une certaine musicalité dans tout ça, les Calabi-Yau pouvant être assimilées à des tables d’harmonie percées de nombreuses ouïes dans lesquelles vibrent les cordes pour jouer la partition de la Matière, et quand je dis matière c’est non seulement celle d’ici, de notre univers, mais aussi d’ailleurs, celles d’autres univers. Les instrumentistes de ce formidable ensemble, les physiciens « cordistes », indiquent « qu’ils ont » un mode vibratoire de corde correspondant au fameux et hypothétique graviton, et ce dans toutes les dimensions spatiales supplémentaires, car n’oublions jamais que la gravité est une propriété de l’espace. Ainsi, la gravité s’est bien installée dans la théorie quantique et on a même pu lui accoler le qualificatif de « super », la supergravité donc en tant que combinaison de la Relativité générale, théorie einsteinienne de la gravitation, et de la « supersymétrie ». Ah ! Que ce soit en Art ou en Physique, on retombe toujours sur cette bonne vieille symétrie. On a déjà dit ailleurs que pour les physiciens l’Univers était beau parce qu’il était symétrique, c’est-à-dire que les mêmes lois s’appliquaient partout, que des phénomènes variés et complexes dépendaient uniquement de ce petit paquet de lois universelles. Voilà ! Mais la Théorie des cordes va plus loin encore en affirmant que l’Univers pourrait être SUPER-symétrique, que chaque particule du système standard pourrait avoir un partenaire, une particule aux caractéristiques un peu étranges qui lui serait appariée et que l’on qualifie de « super » elle aussi, un superpartenaire, et aussi que les modes de vibration des fermions et des bosons pourraient fonctionner par paires. Les physiciens sont obsédés par la symétrie, il faut bien l’avouer. Bon ! À partir d’ici, ça se complique furieusement ! En fait, il n’y a pas une mais cinq théories des cordes, correspondant chacune à un angle d’attaque particulier du problème, à un décorticage de vibrations spécifiques, celles des bosons, celles des fermions, ou des deux à la fois, pour faire très simple, théories qui se combinent avec la supergravité pour former la théorie M aux arcanes si peu pénétrables. En fait, c’est le propre des arcanes cette difficulté de les pénétrer. Le Tout ne saurait se laisser déflorer sans opposer une vive résistance, évidemment.
Le Maître en modernité commençait à s’essouffler, non seulement du fait de son débit qui s’accélérait immanquablement au fil de ses développements, mais aussi de l’enthousiasme qu’il manifestait toujours en racontant des choses compliquées. Il adorait ça raconter des choses compliquées. L’accélération et l’enthousiasme, il n’arrivait toujours pas à les maîtriser malgré son énorme expérience des amphithéâtres et des symposiums. Il prit une profonde respiration puis poursuivit.
Les cordes sont des objets à une dimension, elles ne sont que longueur même si celle-ci est moins que minuscule, mais les mathématiques créées par leur théorie, devenue Théorie des supercordes avec l’introduction de la supersymétrie, autorise des objets multidimensionnels, infimes ou excessivement volumineux, « les branes ». J’ai déjà presque tout dit sur les « branes », lors de cette fameuse conversation que nous avons eue à propos de Kazimir Malevitch quand nous en sommes arrivés à ses « supremus ». Souvenez-vous. Nous nous sommes arrêtés sur le « Supremus n°57 » et son triangle d’azur que vous qualifiez, vous, « d’œil de Dieu » et moi de véritable « trou noir à l’horizon d’évènement bleu », une couleur formée qui paraissait attirer tous les objets et autres couleurs formées qui dérivaient dans ses parages. En tout cas, je voulais voir dans le Supremus n°57 une intuition qu’aurait eue Malevitch d’une brane-univers. C’était osé j’en conviens. Une brane est définie par son nombre de dimensions, ainsi une Une-brane pourrait représenter une corde qui n’est que longueur, même si elle est moins que minuscule comme je viens de le dire, et une Trois-brane un univers entier, le nôtre par exemple. Une Zéro-brane est un simple point dans l’espace-temps, telle une particule, un électron par exemple, mais avec les dimensions supplémentaires de la théorie des cordes, la P-dimensions-brane pourrait accueillir plusieurs univers, donc un multivers. Par l’un de ses aspects, la Théorie M pourrait être considérée comme la théorie des « branes », contraction probable de « membranes », mais personne ne sait véritablement. Je rappellerai que les cordes peuvent être ouvertes, des bruns, ou fermées comme des élastiques. Une corde ouverte, un brin, est fixée à la Trois-brane/univers par l’une de ses extrémités mais peut glisser sur elle, circuler sur elle. La corde fermée, qui n’a pas d’extrémité puisqu’elle est ronde comme un élastique en anneau, peut se déplacer librement dans l’espace-temps et même quitter la brane pour voyager dans le multivers…s’il existe. Les cordes ouvertes concernent la matière et les vecteurs de forces non gravitationnelles. Les cordes fermées correspondent aux gravitons. L’attraction gravitationnelle entre deux corps se ferait par échange de gravitons, ce n’est pas plus compliqué que cela, déclara tout content le Maître en modernité. Mais on avait déjà bien débroussaillé tout ceci avant, non ? me demanda-t-il.
C’est vrai ! lui répondis-je, mais ce rappel ne m’est pas du tout inutile car de ces choses on n’en débat pas tous les jours, vous en conviendrez sans doute…enfin, en ce qui me concerne je n’ai pas trop l’occasion…
Ce qui est intéressant, reprit-il toujours tout content, c’est, qu’à l’instar des particules, les branes ont un champ, le champ de brane, et ce champ, comme tous les autres, implique un flux, une espèce de brouillard enveloppant et énergétique, qui imprègnerait les Calabi-Yau, ces espaces définis par l’enlacement des dimensions supplémentaires, et influencerait ainsi leurs formes, les façonnerait en quelque sorte, les sculpterait. Il pourrait y avoir une quantité monstrueuse de formes de Calabi-Yau, dix puissance cinq cents estiment les « cordistes », et peut-être autant d’univers. UN suivi de cinq cent zéros, autant dire l’Infini ! Hallucinant ! A titre de comparaison, on estime que l’Univers contient dix puissance quatre-vingts atomes, un suivi de quatre-vingts zéros. Quand je dis l’Univers, il s’agit de l’univers observable, ou prétendument, c’est-à-dire « à peine plus » de quarante milliards d’années-lumière dans toutes les directions, et ça ne devrait représenter que quelques pour cent, deux ou trois peut-être, de l’Univers dans sa totalité, mais rien n’est sûr puisqu’on ignore totalement si l’Univers est fini ou infini et qu’on ne le saura jamais. On a fait cette estimation du nombre d’atomes à partir de la composition d’une étoile moyenne, du nombre moyen d’étoiles dans une galaxie moyenne, et de l’estimation du nombre de galaxies dans l’univers observable. Il n’y a dans tout ça qu’une superposition de couches d’estimations, une sédimentation de chiffres certes considérables mais tout de même fortement sujets à caution, et donc rien n’est sûr, mais ça donne tout de même une idée. Entre UN suivi de cinq cents zéros et UN suivi de quatre-vingts zéros il y a de la marge. Mais, soyons vraiment catégorique. ON NE SAIT RIEN, mais on a arraché de haute lutte certains nombres proposant un réel abstrait, pour ne pas dire fictionnel, à des équations inédites et complexes, des constructions mathématiques hypersophistiquées, des algorithmes alambiqués, et tout ceci ne peut qu’interroger la Science puisque l’on gratifie du terme « scientifique » des théories que l’on pressent éternellement invérifiables, qui ne constituent en fait que de pures spéculations métaphysiques. Les Mathématiques, que j’adore pourtant, quand elles sont poussées à ce point ne sont plus qu’un jeu infiniment raffiné, un sublime défi qu’elles jettent comme un gant à leur propre face en se colletant à la Métaphysique. Héritage lointain de Pythagore, le Nombre est redevenu divin car de lui tout procède. Diogène Laërce, trop imprégné de platonisme sans doute, évoquait le « Mémoire pythagoricien » en ces termes : « De la monade et de la dyade indéfinie viennent les nombres, des nombres les points, des points les lignes, des lignes les figures planes, des figures planes les figures solides, des solides les corps sensibles, dont les éléments sont au nombre de quatre : feu, eau, terre, air » (18). La monade est la cause et le principe premiers, l’Un, c’est-à-dire Dieu, comme la nommera plus tard Giordano Bruno, la dyade étant déjà elle-même un nombre, le deux ouvrant sur la dualité et puis aussi sur la matière, et par conséquent sur la quaternité de la Nature. Donc, les Nombres seraient les fils de Dieu en droite ligne et seraient Ses mandataires pour la Création. Bon ! La physique théorique n’est faite que de mathématiques et les physiciens considèrent que la Nature, le Monde, l’Univers, le possible multivers, comme étant essentiellement mathématiques. Selon eux, il n’y a pas d’autre réalité que mathématique, et cependant, moi qui les adore les mathématiques, comme je viens de le confesser, je ne peux me résoudre à concevoir les choses uniquement sous cet angle, ce qui reviendrait au bout du compte, me semble-t-il, à abaisser la Science au niveau d’une religion fondée sur un gros tas de spéculations, Mathématiques contre obscurantisme, à jamais invérifiables, telles les dix puissance cinq cents univers possibles de la Théorie des cordes. Observons, émettons des hypothèses, expérimentons, confrontons nos hypothèses et le résultat de nos expériences au réel, et seulement après avoir suivi toutes ces étapes bâtissons une théorie, pour des siècles ou pour l’éternité. C’est ça la démarche scientifique ! Tout le reste n’est que Métaphysique ! Non ! Le Nombre n’est pas divin. Le Nombre se doit d’être un moyen pour poursuivre puis atteindre un objectif, parfaire notre savoir afin de passer à l’action, et non le simple fruit de calculs très savants destinés à construire des fictions et à nourrir un langage réservé à une coterie d’initiés. On m’objectera que bien des choses ont pour ainsi dire benoîtement surgies des équations des physiciens avant d’être révélées par l’observation, telle l’antimatière tout droit sortie du cerveau mathématique de Paul Dirac et ce bien avant qu’on en trouve des traces dans le rayonnement cosmique. On ne manquera pas d’évoquer aussi Karl Schwarzschild qui, très tôt, en poussant les équations de la Relativité générale, très loin, afin de déterminer la déformation de l’espace-temps en présence d’un objet extrêmement massif et immobile, se sera approché des « trous noirs », qualificatif donné par Wheeler à ces objets initialement nommé « étoiles noires », une superbe conjecture sur laquelle s’escrimeront des générations et des générations de physiciens tout au long du siècle vingt.
Soudain, il s’arrêta en affichant de nouveau un air profondément dubitatif et quelque peu théâtral.
Ambivalence des sentiments. Personnellement, je suis tourmenté, déclara-t-il…je suis constamment plongé dedans, l’ambivalence de sentiments, à l’égard des Mathématiques et des mathématiciens durs. J’adore les premières et je respecte profondément les seconds, mais…dans le même temps, je me défie de leurs excès à eux, les mathématiciens durs, de leur quête obsessionnelle et rigoureuse d’une explication de tout et du Tout, de leur surpoids de rationalisme, de leur absolutisme et de leur foi en le définitif. Moi j’aime l’idée que l’on ne parvienne jamais à tout expliquer, qu’il demeure dans plein de domaines de vrais vides de la Connaissance, et puis aussi que les savoirs les mieux établis, en apparence, soient périodiquement remis en question. Et en même temps, j’estime qu’il faut toujours réserver une place de choix au rêve et à un merveilleux pas du tout mathématique. S’il ne devait plus rien rester à connaître, plus rien à découvrir, si tout le calculable était déjà calculé, si tout le dénombrable était déjà dénombré, si tout le démontrable était déjà démontré, ne serait-ce pas se condamner à mourir d’une absence de buts et de sens, d’un manque de beauté et de poésie, en définitive à mourir d’ennui ?
Pour ma part, j’ai eu beaucoup à manipuler les chiffres, c’est comme ça que j’appelais les Nombres, moi, souvent très gros ces chiffres, et on m’a même reconnu un certain savoir-faire en ce domaine, mais les physiciens, que j’admire, et leurs équations, et leurs algorithmes, m’ont toujours parus relever d’un autre univers, crus-je bon d’ajouter…plus ou moins à bon escient du reste.
C’est normal vous n’êtes pas un scientifique, vous ! rétorqua le Maître en modernité avec un air goguenard. Malgré l’intérêt que vous semblez manifester pour tout ce que je vous raconte et ce que vous avez pu apprendre ici ou là, vous n’êtes encore qu’un néophyte en ces matières. J’aime bien converser avec vous parce que vous savez former vos phrases mais vous n’avez pas l’esprit scientifique. C’est évident !
C’était sans appel !
Ne vous formalisez pas, m’enjoignit-il en riant, on ne peut pas être tout et je reconnais que vous faites de gros efforts. Je vous taquine juste un peu, c’est un travers chez moi. Il reste encore quelques spéculations audacieuses et donc passablement surprenantes à propos des multivers, spéculations sur lesquelles je ne m’étendrai pas, poursuivit-il plus sérieusement. Je me contenterai de les citer seulement, d’autant plus qu’elles sont un prolongement de ce dont on vient de parler, les univers-bulles et la Théorie des cordes. S’il y a deux univers suffisamment proches, des univers-bulles, avec pour l’un une valeur de champ d’énergie haute, le Higgs ou la constante cosmologique, et pour l’autre la valeur du même champ à un niveau plus bas, l’univers le plus énergétique peut pénétrer l’autre, en totalité ou plutôt en partie, pour une faible portion, comme si on plantait une graine d’univers dans une pelouse, par effet tunnel. Nous avons déjà évoqué « l’effet tunnel » lors de notre conversation assez houleuse sur les nanotechnologies et je n’y reviendrai donc pas. On ne peut pas revenir constamment sur les choses parce qu’on finirait par s’ennuyer, non ? La graine d’univers va se développer à l’intérieur de l’univers d’accueil pour devenir un nouvel univers-bulle et sa valeur de champ va chuter en dessous de celle de ce dernier. Donc les univers-bulles pourraient s’emboîter les uns dans les autres comme des poupées russes, image que l’on utilise trop souvent peut-être les poupées russes.
Moi, j’aurais bien voulu qu’il revienne un peu sur l’effet tunnel, parce que c’est vrai, maintenant qu’il le disait, on en avait un peu parlé, il y a longtemps, mais depuis j’avais oublié. C’est toujours la même chose, on en dit tellement que je ne peux pas tout retenir, et puis de l’effet tunnel on n’en parle tous les jours avec les gens. C’est difficile à placer dans une conversation « normale », l’effet tunnel. Dans les faits, une particule ça bouge tout le temps, ça gigote en continu, les atomes qui sont composés de particules eux aussi ils gesticulent. Si la particule rencontre un obstacle quelconque, une paroi métallique par exemple, elle ne va pas arrêter de rebondir dessus jusqu’au moment où elle va trouver un passage en profitant d’un interstice laissé, dans leur agitation, par les atomes constituant la paroi. Le microscope qui joue sur ce phénomène, le bien nommé « microscope à effet tunnel », est utilisé pour trier, comme un tas de lentilles, puis assembler les nanoparticules qui entrent dans la composition de tout un tas de produits dont beaucoup qui ne servent pas à grand-chose, pour ne pas dire à rien, mais qui constituent un réel danger pour la survie de l’Humanité. Les nanotechnologies, l’un des quatre cavaliers de l’Apocalypse, selon moi. Le Maître en modernité ne partageait pas du tout ce point de vue. Nous nous étions presque disputés à ce propos. En gros voilà !
En vue de bâtir son modèle d’un multivers holographique, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer avec vous cette transposition « scientifique » du mythe de la caverne je crois, Juan Maldacena, un physicien des cordes, a postulé un empilement de branes qui déformerait l’espace-temps, attirerait tout ce qui passe près de lui, et ralentirait le temps, un drôle d’objet qui fonctionnerait donc comme un trou noir. On peut donc qualifier de « brane noire » ce bloc de branes, source d’une formidable gravitation. Il existerait donc deux espaces, celui à la surface de la brane noire et celui extérieur à la brane noire, un espace, l’espace total, duquel la brane noire serait l’enveloppe en raison de la déformation de l’espace-temps. Il s’agit d’un modèle, je le répète, utilisant des cordes de basse énergie, c’est-à-dire des cordes ouvertes de très faible masse qui ne subiraient donc que très peu la gravitation et qui continuerait de se déplacer, comme si de rien n’était, à la surface de la brane noire. Les cordes fermées, elles, se déplaceraient librement dans l’espace totale mais perdraient de leur énergie en se rapprochant de la brane noire. Donc cordes ouvertes et cordes fermées n’interagiraient pas du tout entre elles. Sur la brane noire, espace à quatre dimensions, c’est la théorie quantique des champs, nous dit-on, qui s’appliquerait ici, une théorie quantique des champs non gravitationnelle, c’est-à-dire hors Relativité générale. L’espace extérieur à la brane noire, l’espace enveloppé par elle, relèverait de la Théorie des cordes, nous dit-on toujours, puisqu’espace à dix, ou onze, dimensions. Ces deux espaces appartiendraient à la même physique, obéiraient aux mêmes lois de la Nature. Ce qui se passe sur la surface de la brane noire, l’espace à quatre dimensions, serait la traduction, l’image, de ce qui se passe dans l’espace extérieur, mais enveloppé, à dix ou onze dimensions. Tout comme l’horizon d’évènements du trou noir, sa surface qui marque la limite à ne pas dépasser, le point de non-retour pour la matière et le rayonnement, contiendrait toute l’information contenue dans le trou noir, sans qu’on sache trop en quoi consiste cette information, et pourtant ce n’est qu’une surface et non pas un volume, mais une surface qui est strictement proportionnelle au volume, tout comme la feuille de plastique contient toute l’information de l’image 3D, l’hologramme, information qu’elle révèlera lorsqu’elle sera balayée par un laser, tout comme l’ombre sur la paroi de la caverne est une représentation plane de l’extérieur multidimensionnel. Seule l’ombre nous est accessible à nous pauvres Hommes, l’extérieur multidimensionnel relevant de l’Inconnaissable. Le modèle de Maldacena explique ce que pourrait être un multivers constitué de deux univers parallèles mais en neutralisant la gravitation qui exigerait le recours à des mathématiques complexes. Ce qui est paradoxal c’est que c’est par la singularité de la brane noire, une gravitation maximale, que sont paralysés les gravitons, vecteurs de la force gravitationnelle, dans leur action.
Savez-vous qu’avant Platon et sa caverne, ce pourrait bien être Euripide le premier à utiliser le principe holographique dans une proposition tout à fait originale concernant les causes de la guerre de Troie, intervins-je tout fier de moi car j’avais à peu près compris ce qu’il venait de raconter. C’est à Hélène, protagoniste ô combien important, qu’il laisse le soin de conter toute l’affaire. Tout d’abord Zeus n’aimait pas les Hommes, ce dont nous avaient déjà informé Hésiode et surtout Eschyle, et là il trouve qu’ils sont vraiment trop nombreux. Le remède à ça c’est la guerre. « Car s’il porta la guerre à la terre des Grecs ainsi qu’aux malheureux Troyens, déclare Hélène, ce fut pour soulager notre mère la Terre du fardeau des mortels qui allaient se multipliant » (19). Puis il y a l’histoire de la pomme que n’a toujours pas digéré Héra, l’épouse de Zeus, et qui pour se venger substitue à Hélène, promise par Aphrodite à Pâris, …un hologramme. « Héra… fit que Pâris, croyant m’étreindre, ne saisit que du vent, explique Hélène, elle lui accorda, non ma personne, mais un fantôme semblable à moi, fait d’éther et par elle animé. Le roi fils de Priam crut donc me posséder quand il ne tenait qu’un mirage ». Un hologramme ! On pourrait s’étonner que Pâris se contente de faire l’amour avec un hologramme, évidemment. C’est toujours Hermès, le fils à papa chargé de tous les mauvais coups, qui va kidnapper la vraie Hélène pour la porter en Égypte au palais de Protée. « Hermès m’avait enlevée aux replis de l’éther, cachée dans un nuage… ». Curieux retour de l’éther tout de même ! La vie est un songe, fera dire beaucoup plus tard Calderón de la Barca à Sigismond. Tout n’est qu’illusion ! Que valent nos perceptions ? Ce ne sont que « simulacres » a répondu il y a bien longtemps Démocrite. « Nous voyons grâce à la pénétration de simulacres [dans l’œil] » (12), et plus généralement toutes nos sensations, c’est-à-dire les impressions reçues par les sens, sont dues aux mouvements des atomes dans le vide, ce qui amène à les qualifier de « simulacres atomiques ». « Convention que le doux, convention que l’amer, convention que le chaud, convention que le froid, convention que la couleur : en réalité il n’y a que des atomes et du vide » (20). Et finalement que ressort-il de tout ça ? « En réalité nous ne savons rien, car la vérité est enfouie dans l’abîme » ou bien encore « elle est au fond du puits », le puits dans lequel serait tombé Thales, dit-on, alors qu’il contemplait le ciel et les étoiles ?
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(1) De la poésie in « Œuvres en prose ».
(2) Le Moscou littéraire in « Œuvres en prose ».
(3) Brouillon de l’entretien sur Dante in « Œuvres en prose ».
(4) Voir Antoine Dauchin - « Physiciens d’Ionie » sur normalesup.org
(5) Voir Pierre Boyancé - « Notes sur l’éther chez les Pythagoriciens, Platon et Aristote » in « Revue des Etudes Grecques » - tome 80 (1967).
(6) Cardinal Joseph Ratzinger, futur Pape Benoît XVI – “On Europe Crisis of Culture” (Catholic Education Resource Center – 2005). La Congrégation pour la doctrine de la foi est la petite-fille de l’Inquisition.
(7) Mon texte « Les laboureurs ».
(8) Image fournie par Albert Einstein pour expliquer certains effets de la Relativité restreinte, dilatation du temps, contraction des longueurs, particulièrement sensibles à des vitesses proches de celle de la lumière. Un observateur placé sur un talus en bordure d’une voie ferrée (donc en repos) regarde passer un train (donc en mouvement). Á ces deux effets il faut ajouter l’augmentation de la masse avec la vitesse.
(9) Certains philosophes antiques ont douté de l’existence de Leucippe.
(10) Diogène Laërce, déjà cité à propos des Pythagoriciens, est un biographe et doxographe du début du troisième siècle, auteur de « Vies et doctrines des philosophes illustres », ouvrage qui recense tous les philosophes grecs antiques. Un doxographe compile et commente les textes des penseurs de son temps et/ou des temps d’avant.
(11) Ernest Rutherford (1871-1937), l’un des pères de la physique nucléaire, prix Nobel de chimie en 1908.
(12) Toutes les citations relatives à Démocrite sont extraites de « Démocrite - Fragments et témoignage - Les atomes, l’âme, le bonheur », traduction de Maurice Solovine révisée par Pierre-Marie Morel (Bibliothèque des textes philosophiques - Librairie philosophique J. Vrin - 2020) ou de Diogène Laërce « Vies et doctrines des philosophes illustres » - Traduction sous la direction de Marie-Odile Goulet-Cazé (Librairie générale française - 1999 - La Pochotèque - Classiques Moderne).
(13) Tout le monde s’accorde sur 13,7 milliards d’années-lumières.
(14) Brian Greene - « La réalité cachée - Les univers parallèles et les lois du cosmos » (Robert Laffont - 2012). Un titre abominable pour un livre très technique et très beau paru chez un éditeur abominable qui, lui, voulait vendre un livre d’ésotérisme.
(15) Toujours l’expérience de pensée d’Erwin Schrödinger : le paradoxe du chat.
(16) En astrophysique, une singularité est un point de densité de matière infinie où les lois de la Physique ne s’appliquent plus, une déformation maximale de l’espace-temps.
(17) Eugenio Calabi et Shing-Tung Yau sont deux mathématiciens spécialistes de la géométrie différentielle et qui sont à l’origine des espaces dits de Calabi-Yau.
(18) In « Vie et doctrine des philosophes illustres ».
(19) Hélène in « Euripide - Tragédies complète » - Traduction Marie Delcourt-Curvers (Gallimard - 1962).
(20) Sextus Empiricus - « Contre les mathématiciens » in « Démocrite – Fragments et témoignages ».