Entre guerre et barricades, de Pierre Peuchmaurd à Maurice Blanchard
Sur le marbre des cours, de longues traînées de sang. L’eau coule rouge dans
les vasques et les tentures sont noires. On ne sait pas d’où ce sang.
Pierre Peuchmaurd1
L’écriture de Pierre Peuchmaurd devient publique alors qu’il n’a que vingt ans, et que c’est assurément, cette année-là, un bel âge. Son journal des barricades intitulé Plus vivant que jamais2 fait de lui un jeune témoin typique de mai 1968 en même temps qu’un écrivain précoce. « Une raison différente naît de la folie retrouvée. Cette fois, c’est vrai, la poésie est dans la rue. », se réjouit-il. Ayant grandi dans « une maison pleine de livres », il se fera poète par l’écriture et par la conduite. Si par la suite la lutte sociale ne saille plus vraiment dans ses textes, c’est que rien n’est usurpé, l’exigence et le sens du combat se lisent à travers le choix des compagnons, des aventures et du ressort imaginaire.
Dans la page de conclusion de son livre initial, il avait écrit : « Nous sommes passés du vague au précis. Du rêve au vécu, du conceptuel au physique. Nous n’écouterons plus jamais les anciens combattants, nous avons appris la violence. » Son goût des poètes qui ne sont pas que de papier le porte à lire et partager quelques accents notoires de son époque. Mais aussi à leur rendre justice, spécialement à l’auteur, disparu en 1960, de C’est la fête et vous n’en savez rien. Une fête pas vraiment soixante-huitarde, plutôt un véglione redoutable qui annonce les temps de guerre et férocité sur le point de survenir. Maurice Blanchard, combattant de l’ombre, c’est de lui qu’il s’agit, écrit : « Je fais ma lumière moi-même, ma lumière, mon obscurité. »3
Pierre Peuchmaurd s’attelle à lui donner un statut, un éclairage, il écrit un essai pour la collection Poètes d’aujourd’hui, salue un homme en son temps reconnu par ses pairs, (Éluard, Char, Breton, Bousquet, puis Béalu, Mandiargues, Follain) mais trop discret pour exister assez longtemps. C’est aussi, quoique non martial, un homme toujours en guerre. Blanchard n’a pas eu le choix, entrer dans l’armée, c’était pour lui le seul moyen de se former comme ingénieur-mécanicien. Par la suite, conflit mondial oblige, il est pilote dans l’escadrille aéronavale de Dunkerque, en sera parmi les rares rescapés. En 1917, détaché au ministère de l’air, il invente un hydravion de haute-mer, crée plus tard des prototypes pour les constructeurs Farman, Potez ou encore Blériot avec qui il s’est associé.4 Son hydravion bimoteur bat deux records du monde d’altitude en 1924. Cette même année il découvre le surréalisme dans la librairie de José Corti, commence à écrire pour se sortir d’un évident désespoir. Rimbaldiens en diable, ces premiers poèmes se regroupent dans un recueil qu’il fait paraître, puis dans un second. Joë Bousquet publie chez le même éditeur, Debresse, et découvre la poésie de ce prolétaire solitaire, le soutient et le recommande à Éluard. Et sans doute est-ce par ce dernier qu’il rencontre Guy Lévis Mano, chez qui il va publier et atteindre un petit lectorat. Éluard écrit en 1939 : « Nul ne peut nier Maurice Blanchard qui, lui, sait nier par d’exclusives affirmations, à la manière du sang qui sort d’une blessure ou qui revient au cœur – le tout au présent. »5
On sait aussi que le 3 août 1940, Maurice Blanchard écrit et envoie à Pétain la lettre suivante, dont on devine qu’elle n’arriva sans doute pas sur le bureau de son destinataire :
« Monsieur le Maréchal, Chef de l’État français,
J’ai tout fait pour passer en Angleterre où je savais trouver du travail. Je n’ai pu réussir mais je suis coupable et je mérite la mort. Je désire que vos services m’informent de l’heure et du lieu où je dois me rendre pour recevoir les douze balles qui me sont dues ou la lame de la guillotine. Cela vaudra mieux que mourir de faim après deux ou trois semaines de douloureuse agonie. Le gouvernement pourrait peut-être nommer un secrétaire d’État à l’Euthanasie qui appliquerait le même traitement à tous les chômeurs. Seule resterait vivante la race divine des fonctionnaires, divine donc immortelle, et qui comptait tant de créatures bloumeuses qui ont si bien préparé notre défaite.
Mes respects.
Blanchard, chômeur, 4 rue de Copenhague, Paris 8. »
On le voit, Blanchard n’est pas d’humeur à travailler pour l’ennemi. Ce n’est qu’ensuite, une fois entré dans la résistance, à travers le réseau Brutus, qu’il se fait embaucher comme chef du bureau des calculs chez Junkers6, nous sommes en 1942. C’est là qu’il tient un journal d’une teneur tout à fait exceptionnelle. Cinquante ans plus tard, avec la complicité de l’éditeur Patrice Thierry, Pierre Peuchmaurd permet à ces carnets manuscrits7 de passer le stade de la publication, les historiens semblent, pour leur part, négliger ce témoignage d’un poète maltraité par la postérité, ils ont tort.
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Quoique Blanchard soit au quotidien un homme d’une grande bonté, André-Pierre de Mandiargues en témoignera, à l’aune de son mépris8 ses ennemis sont nombreux. Comme résultant d’allergies – allergies à la « bocherie », aux « libido-dominandards », aux fonctionnaires, à la « vieille Putain9 », au binoclard10, etc., sa verve frappe à tout-va, cependant c’est pour chaque fois mieux prendre le parti des victimes, des petites gens, et il trace sans retenue des portraits sanglants de ceux qui les dominent, les trompent, exploitent. Et par dépit, faut-il croire, mais son accablement vient de loin, il conclut : « la race humaine est une saloperie à pattes11. » Peuchmaurd rappelle à juste titre que ce diariste de temps de guerre porte en lui depuis longtemps sa noirceur, il en a trop vu : « Blanchard, il ne faut jamais l’oublier, est un homme qui a vu l’homme sous toutes ses coutures. Les hommes, il sait ce que c’est, il en a tué. Il ne faut pas lui raconter d’histoires. Ne pas l’emmerder avec l’Histoire12. »
Avant qu’une deuxième guerre ne le rattrape, pour Peuchmaurd il était déjà, avec Antonin Artaud, « le plus grand imprécateur de notre littérature ». Le même qui écrivit un jour : « Celui qui est né dans un monde hostile/ vivra et mourra dans un monde hostile. »
Outre cette tonalité extrêmement revêche, ces carnets sont passionnants en cela qu’ils renferment une somme d’observations unique. Blanchard note aussi bien ce qu’il entend dans la queue devant la boutique d’un commerçant que la vie à l’intérieur de l’usine, déroule des épisodes entiers de son passé ou ce qu’il retient des émissions de radio ou des articles de presse entendus ou lus le jour même. Il observe, par exemple, que l’ensemble des journaux adopte au même moment une nouvelle orthographe pour « Fürer », commente : « c’est à cela qu’on reconnaît une presse disciplinée ». Il analyse les nouveaux insignes, détachant leurs caractères sexuels, onanistes bien souvent, puis se moque des intellos qui, parfois, « déconnent à plein tuyaux ». Les cravateux de la littérature en prennent aussi pour leur grade : Céline, Cocteau, Giraudoux, Guitry. À propos de Salmon, il lâche : « J’espère qu’on le pendra, c’est un mauvais poète. » C’est que la poésie, pour Blanchard, vaut mieux que le poète («Le poète n’est rien, ce qu’il cherche est tout. »).
18 août 1943 « Hier soir, Radio-Londres nous a donné un tableau atroce de la vie (ou plutôt de l’agonie) des juifs concentrés en Pologne et torturés de toutes les manières jusqu’à la mort qui leur est une délivrance. Certains auront peut-être pensé que la radio exagérait. Je pense que c’est véridique, car je crois ces sauvages-là capables de tout. Une voisine revient de passer des vacances à Corrèze, en Corrèze. Des réfractaires et des prisonniers en permission sont cachés et recherchés par la police. L’un était à Brive, la police le pistait. L’homme traverse la rue, un gendarme de Brive dit aux Allemands : « Le voici. » Les sauvages se jettent sur lui et lui écrasent la tête à coups de talons. Depuis, le gendarme se cache, car il sait que son pain est cuit. »
Lundi 1er novembre 1943. « Plus d’usine, donc plus besoin du courant électrique. La crise est résolue, comme celle de l’essence : plus de voitures automobiles, plus besoin d’essence. Quand il n’y aura plus d’hommes, d’autres problèmes jusqu’à présent inextricables seront résolus aussi. On peut même assurer que tous les problèmes seront résolus, car les problèmes n’existent que dans la sale caboche de l’homme. »
Dans un contexte ô combien moins tragique, mais prenant un air de raillerie comparable, le jeune poète Peuchmaurd écrit en mai 1968 : « Paris sans essence. Ça fait tout de même plus propre. Comme prévu, la motion de censure s’effondre de la belle manière. Aucune importance, la censure est dans la rue. Détail savoureux : pris de lyrisme, un quelconque ministre – Marcellin ? Jeanneney ? – attribue à Péguy deux vers de Verlaine. C’est beau les études supérieures. »13
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En 2000, Pierre Peuchmaurd publie aux éditions Cadex un vaste choix de citations à son goût, y prédominent Baudelaire, Chazal, Breton, Éluard, Henein, Lichtenberg, Piccabia, Scutenaire. On y croise également Blanchard à deux reprises, pour lire par exemple ceci : « À genoux devant un festin de flamme, meurs-tu de te parler à toi-même ? »14 Et c’est là sans doute, formulé par l’auteur lui-même, un éclairage de ce journal, une raison d’être. Blanchard ne saurait mourir de faire la guerre de l’ombre, et dans l’ombre, à cet égard son journal appartient au combat clandestin, même si, bien sûr, il n’y est pas fait état de la moindre action compromettante15. Il est un réservoir spirituel sans mesure, où la rage du présent se mêle à la remembrance de moments d’enfance, l’exigence réflexive à la part du rêve et des images. Outre ses remarques relatives au quotidien, Blanchard évoque souvent son travail d’écriture, on le voit ainsi à l’œuvre. Lui qui a appris l’anglais pour lire Shakespeare dans le texte, et l’italien pour lire Dante, il continue à travailler sa langue avec ferveur, à saisir l’instant crucial, la vérité qui blesse et éclaire. Il envoie des textes à la revue La main à plume16, qui essaie de garder une place vivante au surréalisme. Elle est animée principalement par Jean-François Chabrun et Noël Arnaud, lequel voue à Blanchard une admiration qui ne se démentira pas17.
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Non encore apparu dans ces lignes, un poète essentiel pour Blanchard. C’est sans aucun doute celui de ses contemporains qu’il respecte le plus, et le seul qui ne le décevra pas. Ils se connaissent d’avant la guerre, s’écrivent, s’admirent, s’encouragent. Leur nombreuse correspondance qui se poursuit pendant l’occupation, alors que tous deux sont des combattants discrets18, est truffée de poèmes en cours d’écriture que les deux amis se partagent et apprécient. Parfois ce ne sont que de fortes et simples marques d’affection, d’amitié. Le 21 mai 1943, Char écrit à son ami : « Mon cher ami, votre lettre m’a navré. Je me représente d’ici la vie à l’intérieur de ce noyau infernal qu’est devenu Paris depuis la guerre. Cher magnan de Blanchard, trouez ce cocon et venez jusqu’aux bruyères de Céreste, jusqu’au bon sable d’un vieux torrent de Neptune aux traits gesticulants du Far West ! Enfin auprès de votre ami qui vous attend les bras ouverts. N’attendez pas juillet qui, malgré son beau nom, est maléfique sous sa pèlerine verte ! Vous avez raison d’avancer vos poèmes. Seuls ont raison ceux qui dressent des colonnes de pépites sur l’éboulement et les fièvres des paludes. Je vous répète que le poème que vous m’avez envoyé est très beau, un vrai grand cratère pour le feu qui nous aime. Je vous envoie toute ma pensée. René Char »
Quelques semaines plus tard, alors que Char fait passer les poèmes de Seuls demeurent à Gallimard, via Parisot19, son ami cherche à le dissuader (le 26 juillet 1943) : « Écrit à Char au sujet de la N.R.F. Je voudrais bien qu’il abandonne cette idée. Je vois la manœuvre. Parisot va faire sa cour à Paulhan ; celui-ci insinue qu’il aime la poésie de Char et que, plus tard, quand Char voudra publier, il verra s’avancer vers lui la main douce et parfumée de la vieille garce de N.R.F., pour peu qu’il en manifeste le désir. »
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Blanchard se fait de plus en plus sauvage au fil des ans. La guerre le laisse plus dégoûté que jamais. Il ne fréquente quasiment plus personne du milieu littéraire. On l’oublie en France, alors on lui fait signe de Belgique20 ou d’Égypte, où Georges Henein et Edmond Jabès le saluent, le publient.
Pour exemple des poèmes que Blanchard publie à cette époque, cet extrait d’un ensemble intitulé L’Offrande, publié dans la revue Le Disque vert, en Belgique, en 1953 :
L’offrande du pestiféré
J’ai tant aimé les arbres, les arbres au bord de l’eau. Enfant, je me tenais sur la plus haute fourche du plus haut de mes arbres, et j’ai revu cet arbre qui me ressemble : alors se balançant au-dessus des jardins, aujourd’hui immobile au-dessus du marécage. La terre est abandonnée, l’arbre est encore debout. J’ai tant aimé l’avenir. J’ai tant souffert !
De dures, de très silencieuses années ont fait mûrir les poisons de mon cerveau. Je vous offre cette tache noire sur le ciel, je vous offre ce nid centenaire abandonné par les corbeaux. C’est la vie, derrière les roseaux inutiles, cette vieille femme penchée sur les oignons.21
Si Blanchard peine à croire à son devenir poétique, pour lequel il ne sacrifie rien, René Char, dont l’aura s’est imposée après la parution des Feuillets d’Hypnos et de Fureur et mystère, ne lui ménage pas sa confiance ; dans une lettre datée du 12 novembre 1949, il lui écrit : « Ne soyez pas trop atteint par l’incompréhension à votre endroit des ‘‘indicateurs de poésie’’. Le moment viendra où, leur presse-purée étant hors d’usage, eux le seront aussi, on verra alors, Blanchard, que vous existez mieux et plus profondément que les affiches prétendues poétiques dont les murs de ce temps sont couverts. Si la chance fait le talent, elle lui crève aussi les yeux. Les voyants eux sont à l’abri de cette grotesque aventure. »
On verra par la suite que les biographes et experts de René Char ne daigneront guère s’attarder sur un correspondant et ami trop peu prestigieux22. Peuchmaurd souligne pourtant à quel point l’écriture de Blanchard a trouvé son acmé dans les dernières années de la vie du poète, en dépit de son isolement. Elle a atteint l’élégance qu’il enviait à Éluard et à Char. Une élégance visionnaire et terriblement sombre.
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Au sortir de la guerre, du temps de l’honneur des poètes et de la gloire du parti, « à la barbe des chiens de garde cégétistes », nous dit Peuchmaurd, il avait distribué dans l’usine où il travaillait un ensemble de poèmes anti-Étatistes et anti-staliniens des plus virulents, Nous autres sans patrie. Une rare violence s’y déploie, un emportement impitoyable. Il injurie volontiers, il frappe, écrase les abuseurs du peuple. Exemple :
« La balle dans la nuque
Guestapeuse guépéhou de Tchékiste et d’Iroquois !
Je me demandais ce que pouvait bien faire cet ébouriffé avec ces yeux de citron pressé et son faciès de bobinard. Il hissa sa chacaleuse bidoche jusqu’à ma porte en soufflant du méthane sulfuré par la gueule et la braguette.
– T’es d’la Cégété ?
– Ta Cégété, je lui chie dans la gueule !
– Et cette punaise éblouie lâcha un rot merdeux, puis bafouilla :
– Et du parti ? Qu’est-ce que tu en penses ?
– Le Parti, je lui pisse au cul pour lui laver les boyaux de la tête !
Et voilà qu’il fiche son camp, ce branleur de macaques, ce sous-génial fils-du-peuple, ce bavasseux bidochard abruti par la lecture quotidienne la « Chacalité », ce perroquet qui pue des pieds, comme deux Livarots de la Mer Noire, cette raclure de boyard à deux boyaux, cette tinette ! Je le guette par la lucarne et je lui chavire mon pot de pisse.
Il reviendra, la Gueule de Vache ! Il reviendra avec des malabars à 1000 francs le cadavre et la bénédiction bourreaucratique du gang des Cent Kilos.
L’arbre ne signe pas de contrat avec le gui. »
Dans le livre du jeune Pierre Peuchmaurd, on retrouve une CGT comme il se doit, jouant si volontiers le jeu du pouvoir (« Mais la liberté, tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. En tout cas ni la CGT ni le Parti, qui mettent en place leur dispositif d’alerte. Pas question que nous allions aux usines. Encore moins d’y entrer. Paraît que le pouvoir n’attend que ça pour ‘‘intervenir’’. »). On peut y lire aussi quelques pages plus avant, des slogans relevés sur les murs de Paris. Parmi ceux-là, quelques vers d’un poème compact et limpide, qui fleure bon son mai émeutier : « La plus belle sculpture c’est le pavé de grès, le lourd pavé cubique, c’est le pavé qu’on jette sur la gueule des flics. » Des mots empruntés à un livre intitulé Malebolge, publié en 1934, signé d’un certain Maurice Blanchard. Lequel, dans une sorte d’indifférence cruelle, des suites d’une chute sur un sol gelé, était mort huit ans plus tôt23.
Cela n’est pas non plus une surprise, Peuchmaurd constate à l’heure du mois de mai que le groupe surréaliste, non plus les héros de La main à plume, mais ceux qui ont pris la relève, le groupe surréaliste est là avec un tract : « Pas de pasteurs pour cette rage. » Et peu après il les aperçoit, a reconnu : « […] Schuster, Jean Benoît et Dionys Mascolo. Schuster me confirme qu’ils sont tous là, qu’ils n’attendaient que ça. Ça fait diablement plaisir. Pour la première fois, je pense à Breton dans tout ça. Je commence à entrevoir que ç’aurait été là sa révolution. Il est un peu amer de l’imaginer la crinière blanche fièrement portée, l’œil en projection, marchant parmi nous, avec nous, et de ne pouvoir que l’imaginer. »
« Ce sont ceux qui savent ce qui se passe dans le monde, qui goûtent ceux qui savent en parler24. » Si Breton n’était plus là, un certain Guy Debord, qui aima se comparer à lui, y joua un certain rôle. Debord qui avait créé dans les années 50 un jeu de la guerre et lisait avec intérêt les livres de stratèges, Machiavel et Clausewitz en premier lieu25. Et c’est Pierre Peuchmaurd, notre passeur averti, qui écrivait en 1981, à propos de Blanchard : «[…] chacun de ses livres pourrait passer pour un manuel de stratégie, […] chacun d’eux (chaque poème presque) développe à sa manière une stratégie furieuse, une stratégie de la charge et de la rage. En pure perte, forcément… » 26
Forcément ?
J-C L (Europe n° 1999-1100, nov.-déc. 2020)
1) Pierre Peuchmaurd, L’Œil tourné, Cadex, 2005.
2) Pierre Peuchmaurd, Plus vivant que jamais, éditions Robert Laffont, 1968 – éditions Libertalia, 2018 (préface de Joël Gayraud).
3) Maurice Blanchard, Les Voies lactées in Le monde qui nous entoure, 1951.
4) Cf. Michel Fauré, Histoire du surréalisme sous l’occupation, La Table Ronde, 1982.
5)in Maurice Blanchard, Les barricades mystérieuses, suivi de Les périls de la route, éditions GLM, 1974. En guise de préface, ce texte écrit jadis pour les Cahiers GLM et non publié alors.
6) Junkers, société métallurgique allemande, construit des avions, notamment les fameux bombardiers Stuka.
7) Le concours de Jean et Isabelle Blanchard, fils et petite-fille du poète, fut aussi des plus précieux.
8) Dans sa préface à Danser sur la corde, Pierre Peuchmaurd rappelle cette note de Blanchard, datée du 7 octobre 1945 : « Ce qui me tient debout, vivant, c’est le mépris. » Le 24 novembre 1942, il observait : « Nous vivons dans le monde du Plus Grand Mépris. » Le mot mépris revient souvent dans ce journal, comme un caractère de l’époque.
9) Pétain.
10) Pie XII.
11) Maurice Blanchard, Danser sur la corde, éditions Patrice Thierry-L’Éther Vague, 1994, page 384 (à la date du 23 septembre 1943).
12) in Pierre Peuchmaurd, Maurice Blanchard, éditions Seghers, coll. Poètes d’aujourd’hui, 1988.
13) Pierre Peuchmaurd, Plus vivant que jamais, éditions Robert Laffont, 1968 – éditions Libertalia, 2018.
14) in Pierre Peuchmaurd, Encyclopédie cyclothymique, éditions Cadex, 2000.
15) Pour autant, son travail de renseignement pour Londres lui vaudra une deuxième croix de guerre (la première lui ayant été donnée après la guerre précédente), avec citation explicite : « Agent informateur ayant fait preuve d’une volonté tenace de servir, en même temps que d’une grande compétence en matière aéronautique. A donné au réseau de renseignements un travail particulièrement remarquable par sa précision et sa valeur technique, apportant ainsi une aide des plus efficaces au combat et à la victoire. »
16) « […] La Main à plume, ce groupe de jeunes gens au frais passé néodadaïste et qui vont reprendre le flambeau du surréalisme en exil. C’est Noël Arnaud, c’est Jean-François Chabrun, et autour d’eux Jacques Bureau, Christian Dotremont, Édouard Jaguer, Marc Patin, Robert Rius, Boris Rybak, Gérard de Sède et bien d’autres. Ceux-là ne se paient pas de mots, on les paiera de mort. Ils sont une vingtaine, peut-être : huit d’entre eux périront sous les balles ou dans les camps nazis. » Pierre Peuchmaurd, extrait de la préface de Danser sur la corde. Cf. Michel Fauré, Histoire du surréalisme sous l’occupation, La table ronde, 1982.
17) Cf. Noël Arnaud : Nos respects à Maurice Blanchard (Intervention à la maison des Lettres, 1er avril 1950) et « Maurice Blanchard est mort… (Tel Quel n° 2, été 1960).
18) À la tournure d’une de ces lettres, on peut supposer que Char savait que son ami appartenait au réseau Brutus. Blanchard, quant à lui, apprend seulement en septembre 1944, par un coup de fil de Georgette Char que René est actif en tant que chef maquisard. [Cf. la belle notice d’Antoine Coron in Dictionnaire Char, éditions Garnier 2015]
19) Extrait de la lettre de Char à Blanchard, datée du 19 juillet 1943 : Cher Blanchard, j'ai terminé "Seuls demeurent", l'ensemble de mes poèmes des années 39-43. Georgette les emporte dans sa valise, ils doivent être présentés à Gallimard par Parisot, mais le résultat est douteux, car je possède dans cette maison de solides inimitiés…[Cf. également A. Coron in Dictionnaire Char, op. cit.]
20) Fernand Verhesen, poète et éditeur bruxellois, prend contact avec Blanchard par l’intermédiaire de GLM et publiera en 1949 L’homme et ses miroirs. Cf. Vincent Guillier, Maurice Blanchard, l’avant-garde solitaire, éditions L’Harmattan, 2007.
21) Des fragments de ce poème apparaissent dans une lettre adressée à André Pieyre de Mandiargues, que ce dernier cite dans un article, Pour saluer Blanchard, repris dans Deuxième belvédère, Grasset, 1962.
22) Sauf erreur, il faut attendre la publication du Dictionnaire Char (éditions Garnier), en 2015, pour qu’une vraie place soit donnée à celui qui fut un temps un des trois amis à qui Char soumettait ses poèmes fraîchement écrits, les deux autres étant Paul Éluard et Gilbert Lély (Cf. Antoine Coron). En attendant la publication de ces correspondances, a priori autrement instructives que les échanges épistoliers de Char avec Celan publiées en 2015…
23) À noter qu’en 1960, année de la mort de Maurice Blanchard, la revue Réalités secrètes, de Marcel Béalu et René Rougerie, rendait hommage à l’auteur de Le pain, la lumière. Y étaient réunies des interventions de René Char et Jean Follain et un témoignage de Béalu sur sa relation à Blanchard, de qui il s’était rapproché les dernières années. René Char avait envoyé cette lettre : « Cher Marcel Béalu, Je crois que Maurice Blanchard – avec qui j’étais lié depuis 1935 – est l’un des poètes les plus certains de ce pays. Blanchard souffrait, le disait, en marchant à rebours du vent et des offrandes ; cela se voyait, se lisait sur les traits de ses poèmes. Ceux-ci sont une espèce d’annonciation et de renonciation souveraine et abaissée. Combien de pas a fait Blanchard, le véloce, le discret, le noueux, le bleuté, le déchirant Blanchard, sur la terre où nous respirons ? DÉJÀ, on les remonte, mais là seulement où l’herbe est oscillatoire, silencieuse. Amicalement à vous. René Char »
24) in Guy Debord, Cette mauvaise réputation…, Gallimard, 1993.
25) La librairie de Guy Debord, Stratégie, éditions l’Échappée, 2018.
26) Texte repris in Pierre Peuchmaurd, Colibris princesses, éditions L’Escampette, 2004. Signaler également le dossier que Pierre Peuchmaurd consacré à Maurice Blanchard dans la revue Le Grand Hors Jeu, éditions du Rewidiage, 1992. Sous le titre Le matériau résiste encore, on peut y lire un traité scientifique de Blanchard tout ce qu’il y a de sérieux sur la résistance des matériaux, avec cependant quelques digressions-surprises à la manière de son auteur.