Julien Bosc (par André Bernold)
Il y a des gens aux mérites solides, reconnus, récompensés, possesseurs tranquilles de leur réputation. Ils ont reçu leur dû, en tout ou en partie. Ils sont la légitimité. Notre pensée ne s’arrête guère à eux. Il n’y a pas lieu.
Et puis il y a les autres, toutes sortes d’autres. Et parmi ces derniers, ceux auxquels nous ne cessons de penser. Ils nous font songer, sans fin. Non, ils ne sont pas, à proprement parler, maudits. Et ce n’est pas même toute la classe des grands malheureux. Ils ont l’étoile au front. Mais cette étoile est très étrangement configurée. Elle est même, le plus souvent, invisible, ou terriblement offusquée par des événements funestes.
Malgré tout, la confusion n’est pas possible, ni avec les premiers, ni même avec ces autres, grelottant à l’extérieur, dont ils n’ont cessé d’être intégralement solidaires.
Car ceux dont je parle, eux, ils nous émeuvent d’une manière indicible.
Pourquoi ?
Objectivement, par peu de choses.
Ils ont fait quelque chose d’extrêmement, d’absolument beau. Quelque chose de définitif, que l’oubli engloutira, sans pourtant y trouver la moindre prise.
Ce peut être un geste, un regard, une seule action imperceptible et sublime, sans prix, que tout l’univers ne contrebalancera pas.
Ce peut n’être qu’une page, une seule, ou quelques pages, quelques feuillets, un petit livre, peut-être, couvert de symboles, d’images, ou de mots.
Ce sont ceux-là qui forcent l’universel respect.
Ce sont eux qu’on aimera toujours.
Je le dis ; tout à l’heure un autre le dira à ma place ; il dira exactement ce que je dis, et le dira des mêmes êtres, exactement, ceux, méconnus, qui seuls, en définitive, auront été irremplaçables.
Aujourd’hui, je suis le passant qui, de loin, se découvre, non pas machinalement, mais parce qu’il sait que c’est un vraiment Grand qui passe. Je suis le peuple à l’heure de sa lucidité. Je suis le chœur antique.
Et celui que je salue en pleurant, c’est Julien Bosc.
Julien Bosc était un GRAND POÈTE.
J’ai eu, de justesse, la chance de pouvoir le lui dire. Et de lui, c’est tout ce que je sais. Mais je le sais avec une certitude inébranlable.
Oui, il y a dans ce mince volume, 49 pages, si humble, et pourtant (pour qui sait voir vraiment) si somptueusement publié, en octobre 2015 par les éditions la tête à l’envers, quelques pages fulgurantes dont j’affirme calmement que je ne connais aucun équivalent dans l’ensemble de ce qu’on appelle la littérature universelle.
Adieu, Julien.
Vous fûtes terriblement malheureux.
La traversée dont vous parliez dans votre lettre de janvier, la simple traversée de cette année, nous n’avons pu l’achever.
Mais ce que vous fûtes, vous le restez à jamais, même dans l’imperceptible, même après l’extinction du soleil : un grand, un très grand poète.
Je risque un blasphème : les portes de l’enfer n’ont pas prévalu contre vous.
À jamais vôtre, André Bernold
29 septembre 2018, 3:30 am
Julien Bosc, De la poussière sur vos cils, La tête à l'envers, 2015, 13,50 €. Site des éditions, ici