Jean-Pascal Dubost, par cœur à l’ouvrage
« Je ne suis pas indifférent à ce qui ne se passe pas, et toute occasion est bonne pour que. »
Que l’on se moque ou non de mes avis grattés, j’ai déjà eu l’occasion de noter ici tout l’intérêt de l’écriture de J-P Dubost, et j’ai horreur bien sûr de me répéter sciemment. Par facilité, décidément, je me penche non pas sur les deux très beaux livres parus cette année à L’Atelier contemporain, remarquables pour leur singularité et leur facture, mais sur un troisième ouvrage aux apparences plus modestes.
« Je ne suis jamais sûr de rien, c’est pourquoi j’avance certainement. »
Quoi qu’il écrive, Jean-Pascal n’abandonne pas son poste, et nous voici avec lui dans les rouages de son cœur à l’ouvrage, une salle des machines qui n’a rien d’infernal, où la mine du crayon ne connaît pas ses lignites, et où il est pourtant toujours intéressant de respirer les vapeurs de la sueur du travailleur – j’ai l’air de plaisanter, croyez-vous, mais croyez-vous que J-P Dubost n’aime pas plaisanter ? Je parlerai donc plutôt de ce maigre volume nourri de phrases spontanées – l’esprit ne l’est-il jamais ? – si peu prétentieuses que la simplicité y confine sans relâche à la modestie, et comme le disait Érik Satie : « Moi, pour la modestie, je ne crains personne. »
« Caressant la langue à contre-poil pour reprendre du poil de la bête hirsute en somnolence. »
Les éditions Rehauts publient heureusement ce volume sautillant – vif et gai –, petit livre au 120 pages du plus réjouissant et utile, suis-je assez clair ?, des notes confisquées au plein éveil d’une attention obsédée par la langue des uns et des autres, et donc la sienne, et à la gravité d’un paysage dans lequel vit l’osteur de ces Compositions, l’osteur étant celui qui ôte, comme lui-même le rapporte après lecture du Godefroy – car le zigue est amateur de dictionnaires davantage que d’escargots (?).
Occasion aussi pour lui d’encore nommer ceux qui le nourrissent, ses contemporains comme les auteurs les plus oubliés, lointains dans le temps. Ils s’appellent Novarina, Roubaud, Emaz, Suel, Deleuze, Laporte, Théophile de Viau, Ferrand, etc. Mais dire en sus que cohabitent ici la phrase entendue dans une librairie de Rennes ou cette autre dans un café de Nantes avec une citation érudite de tel auteur que sacralise un étrange et incontournable prestige. Ce méli-mélo s’avère savoureux, stimulant.
« La poésie contemporaine a quelquefois tendance, en raison de la suffisance de la gent poétique, à se prendre pour les Écritures. »
Quoi donc de plus composé que ce Compositions ? De simples notes, dopées de vitesse, de fulgurance, sur un carnet, comme le murmure d’une promenade avec un ami inconnu qui n’aurait pas la grossièreté de vous bavarder la parole, et se contenterait plutôt de ce rien-dire sur un bout de papier sous la semelle. C’est ce que je ramasse si volontiers et j’en fais mon pain pour la journée et celle du lendemain, certains moineaux n’ont pas d’autre viatique. Ils se disent peut-être que tout cela qui les tient en vie est soumis à un ordre, à une composition.
« À l’éternelle question du pourquoi-faire-compliqué-quand-on-peut-faire-simple, je n’ai pas de réponse plus simple à donner que je ne peux faire autrement que complexifier ce qui est apparemment simple et que le simple n’existe pas, et que derrière chaque chose simple, il y a un complexe, au sens « d’ensemble d’éléments divers, le plus souvent abstraits, qui, par la suite de leur interdépendance, constituent un tout plus ou moins cohérent », et ce complexe-là n’est nullement aisé à saisir, n’est aucunement transparent, clair ni facile d’accès ; tout complexe est complexe ; et dès que je pose une phrase simple qui lance le poème, il faut aller chercher le complexe invisible qui la soutient et la développera. »
Ce que dit la page de l’éditeur à propos de ce livre et qui me semble le présenter parfaitement, et d’un trait : « Notes de carnets dans lesquelles l’auteur se livre chaque jour à ses exercices lyriques : ‘‘Le carnet est le non-journal des atermoiements d’un sempiternel apprenti de l’écriture.’’ »
« Une accumulation de grands vides peut-elle amener à quelque chose qui soit constructif ? »
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Jean-Pascal Dubost, Compositions, Rehauts, 2019.
Site de l’éditeur
Également cette année :
Jean-Pascal Dubost, Du travail, L’atelier contemporain, 2019.
Jean-Pascal Dubost, Lupercales, L’atelier contemporain, 2019.